Faut-il monter aux échelles pour mieux voir les fleurs ?

Pour débuter cette année 2012, la Société Française d'Ecologie (SFE) vous propose le regard de Jacques Tassin, chercheur au CIRAD, sur les échelles de la biodiversité.

Pour débuter cette année 2012, la Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose le regard de Jacques Tassin, chercheur au CIRAD, sur les échelles de la biodiversité.

Lorsqu’aux Feuillantines, Madame Hugo raisonnait ses deux fils, leur disant : « jouez mais je défends qu’on marche dans les fleurs et qu’on monte aux échelles », je veux croire qu’elle se révélait visionnaire… C’est que pour l’écologue que je suis, le rapport entre les fleurs et les échelles n’est pas si lointain.

Comme Abel et Victor, et comme chaque écologue, je n’ai pas obéi à ma mère et suis monté aux échelles. D’abord, pour mieux voir les fleurs, sans doute, mais probablement plus encore pour découvrir le grenier, admirer le jardin, espionner la rue voisine, et pourquoi pas, apercevoir les collines voisines ou, plus loin même, deviner la plaine du Loir. J’ai cependant découvert, au terme de mon ascension, que les barreaux dont sont munies les échelles nous élèvent souvent mais nous malmènent aussi quelquefois.

Les points de vue culturels dépendent des échelles auxquelles on se réfère

La première de mes échelles, ce furent mes deux jambes. Depuis que j’ai appris la marche, elles m’ont uni au monde tangible : « plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté » pour ne citer qu’eux. Un monde fait de diversité locale ou « alpha-diversité », m’enseignera-t-on plus tard, en prise directe avec mes sens, mon vécu quotidien. Par la suite, j’ai pédalé vers d’autres paysages puis, devenu adulte, j’ai rejoint d’autres pays en prenant l’avion. La mémoire et quelques lectures aidant, j’ai acquis une représentation mentale de la diversité globale ou « gamma-diversité », si vaste et étendue qu’on ne peut l’embrasser du seul regard… Du plus haut de mon échelle, j’ai ainsi découvert la biogéographie, merveilleuse de mondes lointains où j’ai eu la chance de me rendre parfois. Si j’avais creusé vers le bas, mettant à jour des barreaux plus obscurs, j’aurais également pu découvrir le vertige génétique, mais le destin ne m’y a pas convié.

Comme chacun, l’homme que je suis devenu s’est forgé un regard qui sait s’ajuster, presque instantanément et par sauts brutaux, à l’étendue qu’il envisage. Ce qui à mes yeux vaut pour une fleur ou un oiseau ne vaut plus nécessairement pour un paysage, une région, ou un biome. Je saute à chaque fois de référentiel culturel. Mes propres valeurs basculent d’une échelle à l’autre. Je ne crois pas être différent de mes semblables sur ce point : mes points de vue culturels dépendent des échelles auxquelles je me réfère.

Le domaine des « plantes invasives » illustre à merveille, me semble-t-il, cet ajustement mental et culturel permanent qui opère à mesure que l’on gravit ou descend les échelles. Ainsi, mon jardin est empli de plantes introduites que j’entretiens, que j’arrose, et que j’aime voir croître et fleurir. Que j’en sorte cependant pour arpenter un peu la garrigue voisine, et je ne puis alors m’empêcher de distinguer les exotiques des indigènes. Une distinction purement culturelle, qui ne repose sur aucun fondement biologique (Thompson et al., 1995). Pas plus qu’aucun autre, je n’ai donc échappé à l’apprentissage de seuils spatio-temporels qui séparent ainsi la représentation du vivant en parties distinctes (Warren, 2007). Des seuils que, précisément, l’on doit à notre irrépressible manie de gravir les échelles ! Immanquablement, les regards que je porte sur mon jardin, son paysage environnant, ou même la région qui m’entoure, éveillent en moi des valeurs différentes. Je pense l’un et l’autre séparément.

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