Les espèces végétales invasives sur Achill Island (Irlande): impressions et commentaires

Les invasions biologiques constituent l'une des premières menaces qui pèsent sur la biodiversité. En Europe, les régions sous influences maritimes ne sont pas épargnées par ce phénomène.

Les invasions biologiques constituent l’une des premières menaces qui pèsent sur la biodiversité. En Europe, les régions sous influences maritimes ne sont pas épargnées par ce phénomène. Un récent séjour dans le Comté du Mayo (côte Ouest de l’Irlande) et plus particulièrement sur Achill Island, m’a permis de constater l’ampleur du phénomène. Achill Island est la plus importante île de la côte Irlandaise. Bien que très touristique, elle demeure peu urbanisée et présente une faible densité de population (18 habitants par km²). Près de 9/10 éme de son territoire (146 km²) est occupé par des formations tourbeuses pour partie exploitées. Son littoral très découpé représente un linéaire côtier de 130 kilomètres.

Sur ce territoire, outre la présence de nombreuses espèces invasives fréquemment rencontrées dans l’hexagone (Fallopia sp. & Reynoutria sp., Impatiens balfouri Hook.f….), trois espèces présentent un comportement invasif extrêmement virulent au point de modifier notablement le paysage littoral du territoire et, de fait, la fonctionnalité des milieux. Il s’agit de Rhododendron ponticum L., Fuchsia magellanica Lam. et Gunnera tinctoria (Molina) Mirbel. Si le caractère invasif de ces trois espèces en Irlande n’est pas récent et semble bien documenté, il est intéressant d’observer leur impact, parfois combiné, sur des territoires dont la « naturalité » est souvent revendiquée.

Selon le programme européen DAISIE (Delivering Alien Invasive Species In Europe), Rhododendron ponticum L. appartient à la liste des 100 espèces les plus invasives au travers le monde. Sur Achill Island, cette espèce est omniprésente. En compétition avec les ajoncs (Ulex sp.) dans les landes littorales, avec les saules (Salix sp.) dans les saulaies tourbeuses ou en sous-étage des peuplements forestiers mâtures de chênes et de hêtres, Rhododendron ponticum tend également à envahir de manière plus discrète les landes basses à éricacées et les prairies humides littorales. Son comportement invasif lui permet également de coloniser les tourbières récemment étrépées. A plusieurs reprises, j’ai pu notamment observer la colonisation linéaire de l’espèce en limite du « front d’étrépage » des tourbières exploitées.

Colonisation
Colonisation « par piquetage » de Rhododendron ponticum (intérieur de l’île)


Fuchsia magellanica Lam. est probablement l’autre espèce arbustive la plus invasive d’Achill Island. Espèce très ubiquiste, sa présence semble toutefois d’avantage cantonnée aux proximités des réseaux routiers et viaires. Parfois associée aux haies bocagères et fruticées, cette espèce invasive, par nature peu sociale, est plus généralement présente de manière exclusive dans les milieux qu’elle a colonisée. Sa colonisation en « synergie » avec Rhododendron ponticum peut parfois être observée. Espèce « appréciée » du grand public, le fuchsia est parfois considéré comme un atout touristique. Sur Achill Island, il n’est pas toujours évident de distinguer les espaces où le fuchsia est souhaité voire favorisé de ceux où il est malvenu.

Envahissement de Rhododendron ponticum et Fuchsia magelanica aux abords d'une route du littoral
Envahissement de Rhododendron ponticum et Fuchsia magelanica aux abords d’une route du littoral


Gunnera tinctoria (Molina) Mirbel – giant rhubarb en anglais – est une espèce dont la naturalisation sur la côte Ouest irlandaise et plus particulièrement dans le Connemara est connue depuis longtemps (Micheline Sheehy Skeffington and Kieran Hall , 2011). Si son caractère invasif n’est pas exclusif à Achill Island, le développement de cette espèce sur l’île est bien documenté. Sa présence sur Achill Island est plus localisée que pour les deux espèces pré-citées car généralement cantonné aux espaces littoraux. Fréquemment observé de manière très dense à la périphérie des espaces urbanisés, Gunnera tinctoria peut localement former des populations très importantes (plusieurs milliers de mètres carrés voire plusieurs hectares) avec un recouvrement proche de 100 %. En dehors des milieux très perturbés (friches, zones en cours de construction, pelouses d’arrière-dune rudéralisées…), l’espèce s’implante dans des prairies humides non loin des zones urbanisées. Des pieds isolés ou en nombre restreint s’implantent parfois dans les pelouses littorales, prairies humides et fossés tourbeux à des distances très éloignées des zones habitées.

Population de Gunnera tinctoria sur la côte ouest d'Achill Island
Population de Gunnera tinctoria sur la côte ouest d’Achill Island


Achill Island est un « cas d’école » qu’il m’ait paru intéressant d’exposer à travers ce court article qui n’a valeur que de témoignage. Ce territoire où la colonisation de trois espèces allochtones ont réussi, en quelques décennies, à apporter de profondes modifications aux paysages littoraux illustre à mon sens parfaitement les conséquences encore parfois sous-estimées du phénomène invasif en Europe occidental.

Références consultées :
http://www.europe-aliens.org
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%8Ele_d%27Achill
– Sheehy Skeffington,M. and Hall, K. 2011 The ecology, distribution and invasiveness of Gunnera L. species in Connemara, western Ireland. Biology and Environment: Proceedings of the Royal Irish Academy 111B. DOI: 10.3318/ BIOE.2011.13.

David Happe

Nota : cliquer sur les photos pour les voir en plus grand.

—–
Images d’illustrations de l’auteur

7 commentaires

  1. Bonjour,

    La phrase d’introduction en exergue de votre article m’a fait mal au coeur.
    Ce terme, « invasives », mérite encore beaucoup de réflexion et, je pense, demande une grande finesse quant à son utilisation. C’est pourquoi ce genre de slogan globalisant (je me permets de donner mon avis) est dommageable, vu la facilité avec laquelle il peut se propager dans le sens commun, alors qu’il attend, selon moi, encore son argumentation.

    De plus, vous n’êtes pas sans savoir que le comportement et l’impact de ces organismes prêtent difficilement à la comparaison, tant ils peuvent différer d’une situation à l’autre. Je regrette de ce fait de voir un slogan global côtoyer un exemple insulaire, qui représente encore un cas particulier (qui malheureusement sera peut-être la norme, vu le rythme de la fragmentation des milieux…).

    N’y voyez bien sûr aucune sorte d’agression ou de grief, mais j’ai depuis quelque temps du coeur à lutter contre la généralisation et la simplification du phénomène d’invasion biologique, et tous les jugements de valeurs qui les suivent…

    Si vous avez envie d’un échange, n’hésitez pas!

    Cordialement,
    Lucas Deschamps

    1. Bonjour

      Il me semble pourtant que les travaux de Pysek et Richardson (sans compter tous les autres chercheurs qui ont travaillé sur cette thématique, tant dans le domaine animal que végétal) ont bien démontré ce phénomène d’invasions biologiques et leurs impacts sur les écosystèmes d’une manière générale, impacts plus ou moins importants et dommageables suivant les contextes!

      Bien cordialement

      Christophe

    2. Bonsoir,

      Je note que mon témoignage fait réagir et c’est tant mieux. Pour ma part, j’ai souhaité partager cette « expérience » en tant que simple botaniste généraliste (je ne suis pas un spécialiste des espèces invasives). Cela étant, je considère pour ma part que la définition d’espèce invasive telle que rédigée par l’UICN semble parfaitement correspondre au phénomène que j’ai pu récemment observer. Je vous la livre telle que notée dans une publication du CBN de Brest (revue Erica – n°21): « une espèce invasive est une espèce exotique qui devient un agent de perturbation nuisible à la biodiversité autochtone des écosystèmes naturels ou semi naturels parmi lesquels elle s’est établie ». Sans vous être rendu sur le site d’Achill Island, vous noterez par exemple que la 3 éme photo de mon témoignage (illustration d’une population de Gunnera tinctoria dans une formation herbacée littorale) est assez évocateur des perturbations que cette espèce peut générer au milieu.
      Vous évoquez l’utilisation simplifiée et généralisée de cette notion et des jugements de valeurs qui y sont associés. Je partage totalement votre avis. En particulier, il n’est pas systématiquement démontré qu’une espèce allochotone qui a une dynamique de colonisation et « d’envahissement » élevée génère des perturbations notables. Cela étant, je pense que pour les trois espèces citées dans mon témoignage: les références existantes le prouvent assez aisément. J’aurais effectivement pu employer d’autres expressions pour caractériser ce que j’ai pu observer mais, quelque soit la sémantique, le débat sur la manière d’appréhender ces espèces a lieu et génère des points de vue différents et parfois très contrastés. Je vous accorde donc parfaitement le fait qu’il convient d’être prudent et nuancé dès lors que la délicate question des invasions biologiques est posée ou suggérée. Cela étant, certaines situations sont tellement extrêmes que, pour ma part, elles ne me paraissent pas relever de la nuance.

      Bien cordialement,

      David HAPPE

    3. Je suis bien d’accord qu’il faut rester tout à la fois « très humble » et prudent dans la qualification des phénomènes de déploiement d’sp allochtones observés et le terme « invasif » mérite effectivement réflexion. D’ailleurs au lieu de parler « pompeusement » de « gestion des sp. invasives » tel qu’on peut le voir écrit et l’entendre ici ou là je pense qu’on devra bientôt admettre que l’on va seulement s’accommoder « au mieux » de la compagnie « dérangeante » de ces sp. toujours plus nombreuses qui n’arrêtent pas d’arriver… Je suis moi-même de retour d’Irlande et particulièrement du Mayo où j’ai fait exactement la même observation (a priori pris une photo avec le même point de vue… ) que celle qui est rapportée sur Achill Island mais je porte un constat cependant encore plus pessimiste car j’ai observé le Gunnera notamment sur des routes perdues au coeur des tourbières où manifestement la plante a déjà migré… loin des habitations. C’est le cas (encore moindrement?) non seulement dans le Mayo mais aussi dans le Connemara mais aussi au Burren mais aussi dans le Kerry… Et ici en Bretagne les marais littoraux à Liparis de Loesel et Spiranthes aestivalis tout juste soulagés provisoirement à quel prix!!! de Cortaderia selloana et encore encombrés de Baccharis hamilifolia sont maintenant infestés de cotonesters (dif… sp.) et de Pyracantha… et bientôt de Miscanthus et de stipas et de bambous divers et variés… çà explose de partout!!!!

    4. votre débat appelle ma réaction , puisque je lutte par l’arrachage des plantes contre le phytolacca americana en france ,en forêt de fontainebleau ; à partir du moment ou une espèce colonise un terrain sans laisser la place à autre chose , on peut considérer qu’elle devient invasive ? je ne suis pas botaniste , ni amateur ni autre , mais je suis bien obligée de constater la réalité des choses au quotidien , et de savoir que la lutte , même perdue d’avance , est la seule option à mettre en place … que laisserons nous à nos descendants , une planète dans le style « jungle » ou un environnement relativement préservé ?

  2. Merci pour vos réactions!

    Quand on épluche la bibliographie autour des invasives, on se rend compte que « l’intégration » (comment délimiter ce terme?) des espèces invasives est parfois bien avancée, et le Phytolacca à fontainebleau est un exemple tout à fait intéressant. Il paraît, en effet, que ce sont des oiseaux frugivores locaux qui participeraient à sa dispersion!

    Cette histoire d’espèces invasives pose aussi un problème assez important, dans la conception de la science contemporaine : parler d' »espèces invasives » c’est aussi donner une valeur négative à tout un ensemble d’organismes, ce qui paraît contradictoire par rapport a la vision scientifique du monde, et celle de ses experts, détenteurs de l’objectivité (paraît-il!) 😉 Je ne défends pas cette objectivité, mais j’affirme que parler d' »espèces invasives » implique une modification des présupposés scientifiques. Canguilhem en parlait déjà, il me semble.

    C’est bien pourquoi mon message ne visait pas à remettre en cause les constats sans aucun doute désastreux sur cette ile (je ne connais même pas la situation!), mais bien plutôt de mettre en garde sur les usages abusifs (et sans doute instinctifs…).

    Je me réjouis de voir un tel échos!

    Pour répondre au dernier commentaire, je pense personnellement qu’il faudrait mieux arriver à vivre dans la jungle, en sachant bien l’observer, que de passer du Round Up en démantelant des gènes en laboratoire, mais c’est un avis personnel et quelque peu caricatural!

    1. Je suis néanmoins toujours aussi choqué par l’aridité des paysages dévastés par les invasives, quand les bords de nos rivières haut-savoyardes sont couvertes de renouée du japon…
      Mais même cette « attaque » n’empêche pas de voir fleurir ça et là des poches assez dingues ou se mêlent les espèces alluviales, ou même de trouver des rivières totalement préservées, malgré leurs crues nivales!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.