Les cèdres de la dernière chance

SECOND APPEL INTERNATIONAL EN FAVEUR DU CÈDRE DE L’ATLAS MAROCAIN

« Ce qui va contre la nature est injuste, mauvais,
et ne résiste pas au temps. »
Alexander von Humboldt, naturaliste-explorateur allemand (1859-1769)

La cédraie de l’Atlas est-elle un biopatrimoine de l’humanité ou une « fabrique de moutons » ?

Un grand merci aux journalistes, ainsi qu’aux personnalités marocaines et européennes qui ont bien voulu relayer notre première alerte lancée en décembre dernier, sous le titre Ultimatum.

Par ce second appel à Nature en danger, nous comptons sur un nouvel écho médiatique afin que nul n’ignore le dommage encouru par l’anéantissement du dernier écran vert entre le Sahara et l’Europe, en l’espoir que des dispositions soient prise pour la sauvegarde du plus somptueux des arbres du monde méditerranéen. Touchons du bois !

Si vous disposez du temps pour prendre connaissance de ce message et de ses dossiers en ligne, vos initiatives et vos suggestions seront encore et toujours les bienvenus. Un geste rapide et utile consiste à divulguer, à faire passer cette information.

Si nous abusons de votre attention en revenant encore sur le sujet, c’est en raison de l’urgence du soulagement que demande la cédraie marocaine. Naturalistes, écologues, connaisseurs et amoureux de ces contrées, notre éthique nous interdit de nous taire, nous oblige à témoigner. Nous n’avons ni les réponses, ni le pouvoir des remèdes, mais nous espérons poser les bonnes questions. Notre souhait est de réveiller les consciences, que les décideurs mandatés pour veiller à la bonne gouvernance de ces régions parviennent au plus vite à inverser les tendances, à trouver une solution consensuelle autre que celle se satisfaisant de la gestion des préjudices. Ils disposent des moyens légaux et budgétaires adéquates, de conseillers nationaux et internationaux suffisamment éclairés qui doivent se mettre au travail pour en finir une fois pour toutes avec ce laisser-aller ordinaire, aux conséquences incommensurables. Aujourd’hui, la finitude de l’abus d’usage de cet écosystème et de bien d’autres saute aux yeux et condamne irrémédiablement l’avenir. Quand les ressources devenues non renouvelables sont ainsi taries, ce qui est pris n’est plus à prendre.

Même si, non visionnaire de l’actuelle démographie galopante et du consumérisme à tout va, l’ancestrale règle coutumière n’indiquait pas de limitation d’effectifs du cheptel, il n’est personne pour contredire que le parcours forestier dans son excès est un antagonisme de la biodiversité. La charge pastorale des écosystème maghrébins, et particulièrement de la cédraie marocaine, est jusqu’à dix fois supérieure à celle officiellement conseillée, a fortiori dans les figures dites de protection que sont les parcs, les réserves et les aires protégées. Pour ces derniers espaces, on peut d’ailleurs se demander de quoi sont-ils protégés, et compte tenu de la disparité entre la théorie et la pratique, entre les textes et la réalité du terrain, en conclure pathétiquement à des concepts schizophréniques induisant des formalités cosmétiques.

Les stigmates les plus évidents de la pandémie écologique générée par un surpâturage chronique à nul autre pareil sont alarmants pour quiconque ne confond pas la forêt avec un simple alignement d’arbres, mais sait que l’avenir se décide dans les parties confuses d’un sous-bois bien garni, couvert d’une strate végétative, gage de croissance des semis naturels et d’un minimum de régénération. Ici, la forêt est bien loin d’être pluristratifiée, elle est dénaturée par un sol partout et systématiquement tondu, dénudé, scalpé, écorché, étrépé, squelettique. L’écosystème est défiguré par une extrême mortalité et certains versants ne montrent que des lambeaux de cédraie, ponctués de vétérans moribonds et de chandelles sur pied. Les griffes d’une désertification accélérée se traduisent par des pans qui se sont dégarnis en moins d’une décennie. A chaque retour des pluies, les lessivages cataclysmiques induits par un substrat ayant perdu toute porosité infligent d’irrémédiables destructions. Le parcours forestier de troupeaux sédentarisés grève ainsi lourdement les dernières forêts en place, et souvent même leurs lambeaux vestigiaux. La dent du bétail élimine par broutage les jeunes semis, les rejets, les basses branches et même le feuillage quand en période de disette les ramées ou les cimes sont coupées par les bergers. Mais le piétinement du même bétail, dont l’effet peut sembler à prime à bord négligeable, peut avoir aussi de terribles conséquences sur la compaction du sol par les jeux du tassement, de la solifluxion, de l’écrasement des plantes non appétibles.

Tels sont les ravages de ce pastoralisme intempestif. Il engendre un écocide lent, une extinction massive des plantes et de la faune. Il condamne le formidable château d’eau national que constituait ce Moyen Atlas forestier humide, ainsi que toutes les ressources naturelles sans exception. Il menace la vie locale, son économie, les nobles traditions d’une société berbère séculaire, et exacerbe ainsi l’exode vers les grandes villes et l’étranger. Enfin, il coupe l’herbe sous le pied (!), non seulement aux moutons de demain, mais aussi aux écotouristes que l’on désirait tant.

Avec la précaution de ne confondre ni le berger traditionnel de l’Atlas (déjà orphelin de sa forêt) avec le producteur de viande ovine qui tend à le remplacer, ni le pâturage itinérant et extensif avec le parcours sédentaire pour « faire du mouton », filière spéculative dérivante, il semble opportun de se poser quelques questions :

– Où est passée la biodiversité des 130.000 ha de cédraie marocaine, enveloppe de forêt monospécifique désormais vidée de sa flore et de sa faune, y compris lorsque le cèdre n’est pas dépérissant ? Où sont les 700 espèces botaniques, dont 60 endémiques, les 37 espèces de mammifères, la plupart des 142 espèces d’oiseaux, les 33 espèces de reptiles et d’amphibiens recensés, les centaines de papillons et les milliers d’invertébrés dans les 53.000 ha du Parc national d‚Ifrane, où partout le sol est celui d‚un terrain de football ? Même l’écrevisse à pied rouge de l’oued Tizguite, devenu cloaque, vit ses dernières heures.

– Le Maroc peut-il ainsi anéantir ses beaux restes en les livrant sans réserve aux saccages des moutons et des chèvres ?

– L’oviculture exponentielle a t’elle sa place dans un fragile écosystème, organisé par une essence à valeur patrimoniale ?

– Est-il raisonnable que le bien de tous, et notamment des générations futures, soit victime d’une mainmise des producteurs de viande ovine et donc détourné au profit de quelques-uns ?

– Le Maroc peut-il se soustraire aux exigences légitimes du développement durable et de la préservation de la biodiversité ?

– L’enjeu pastoral ne doit-il pas prendre en compte la pérennité des paysages naturels ?

– Les droits usagers et le souci démocratique doivent-ils être au service de l’éradication des ressources ? Faut-il placer l’intérêt économique à très court terme au-delà du souci de préservation du capital naturel ? La fin justifie t’elle les moyens ?

– Une réelle volonté de débattre ne peut-elle se manifester entre les gestionnaires de la forêt et ces citadins privilégiés que sont les représentants de la filière ovine, gros propriétaires des troupeaux destructeurs, avec d’éventuelles compensations à la réduction du nombre de têtes ?

– Aucune instance experte n’est-elle apte à proposer des solutions économiques alternatives aux simples bergers, aux petits propriétaires de cheptel caprin dont les dégâts sont démesurés pour un bien modeste profit, voire à ces familles défavorisées et en charge de la garde des troupeaux surnuméraires incriminés ?

– Les bailleurs de fonds doivent-ils continuer à dilapider de faramineux budgets en soutenant des programmes de reboisements et de régénérations illusoires, dont les périmètres en défens sont toujours et trop rapidement livrés à la dent des ovins et des caprins, donc à la faillite ?

– Faut-il poursuivre les coupes rases du sous-bois de chênaie verte pour exposer le sol à l‚érosion hydrique et produire ainsi « une désertification locale sans qu’il y ait diminution dans les volumes des précipitations annuelles » (Benabid, 2000) (le niveau de pluviosité des montagnes ifranaises atteignent 1200 mm sur les sommets !)

– Faut-il continuer à se gargariser des statistiques amphigouriques de forêts abiotiques et fossilisées, de carcasses vidées de leurs biocénoses, au substrat scalpé, à la flore tondue et piétinée, à la faune évincée, agrémentées des chiffres aléatoires de reboisements en sursis ? En un mot, faut-il surenchérir avec des effets d’annonces et des communications redondantes afin d’occulter, par un batelage médiatique, une vérité qui est celle de la politique de la terre brûlée ? Ou convient-il d’utiliser au mieux cette énergie du désespoir en prenant à témoins les citoyens pour un effort collectif, un respect de fer des normes légitimes de préservation, un meilleur discernement garant d’avenir ?

– Faut-il encore et enfin, au nom du sempiternel et juteux système des connivences, semer le trouble en jetant l’opprobre sur l’hurluberlu désintéressé qui témoigne du gaspillage et porter au pinacle, voire subventionner, l’agresseur de la biosphère comme éternel partenaire économique ?

– Si la vision (dimension prospective) est reconnue comme la qualité première d’un homme politique, où va-t-elle se nicher quand il s’agit de veiller sur les ressources naturelles de notre planète ?

– Ici et là, l’âge de raison pourrait-il prévaloir dans la conduite environnementale du XXIe siècle ?

La sauvegarde de la forêt de cèdres, comme de l’essentiel des écosystèmes marocains et de leurs sites, passe obligatoirement par une politique volontariste d’allègement et de régulation de la charge du cheptel, actuellement en complète inadéquation avec les ressources disponibles. Faute d’un tel contrôle de la pression pastorale devenue intolérable et de propositions de solutions alternatives, tout programme conservatoire serait vain. Pour ce qui concerne les sites les plus atteints, et notamment ceux de la cédraie, un répit radical doit être adopté par la promulgation in extremis de réserves biologiques, intouchables et sans limitation de durée.

Quant aux coûteuses plantations de jeunes et fragiles semis, si le piétinement et la dent du cheptel ne sont pas éloignés à très long terme, ils ne correspondent qu‚à des ersatz de reboisements, à des programmes pour le prestige, parce que sans la moindre chance de transformation. Quand la forêt est libérée des pressions tant de l’élevage que des manies de la foresterie, les semis naturels et « gratuits » sont les garants d‚une parfaite régénération.

C’est maintenant et tout de suite que les pouvoirs publics concernés doivent s‚interroger et agir dans la foulée.

Écocitoyens de la Planète, amis de la Nature et du Maroc, usagers, témoins et décideurs, journalistes intéressés par le sujet, vous trouverez un dossier complet sur la cédraie marocaine sur cette page du site de la Maison de l’Écologie et des Écosystèmes du Maroc :

Une galerie de photos édifiantes peut être visitée :

Un forum de participation sur le thème est ouvert, rejoignez-le :

Par ce lien, vous pouvez accéder à l’une de nos interviewes sur Medi 1, première radio marocaine :

(Aller à « Magazine Terre », puis à « Cèdres de l’Atlas en détresse »)

Par cet autre lien, vous pouvez lire le script d’un film sur le pastoralisme du Moyen Atlas, tourné par l’un des plus éminents experts en élevage pastoral :

Michel Tarrier
Écologue à l’Institut Scientifique de Rabat

Signataires :
– Michel Tarrier et Jean Delacre pour la MEEM
– Mohamed Drihem pour les Amis du Val d’Ifrane
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Michel R. TARRIER
Apartado postal 15553, E-29080 Malaga (Spain)
Phone : 34-952.960.182 ; GSM : 34-629.528.333

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