BIODIVERSITÉ , le paradis existe sur Terre

Courrier international – 9 févr. 2006

Une équipe de biologistes a pénétré au cœur de la partie indonésienne de la Nouvelle-Guinée et révélé un écosystème vierge exceptionnel : une faune et une flore qui recèlent des centaines d’espèces inconnues de la science, mais peut-être pas des indigènes qui vivent dans cette région ignorée du reste du monde.

Kangourou arboricole (dendrolagus pulcherrimus), oiseau mangeur de miel, rhododendron blanc géant, échidné à long bec (zaglossus bruijnii), mais aussi une soixantaine d’espèces de grenouilles, environ 150 papillons, des centaines de plantes, une quarantaine de mammifères : autant d’espèces et de sous-espèces animales et végétales rares, voire inconnues, qui viennent d’être découvertes au cœur du territoire des Papous d’Indonésie… « Cela ressemble au jardin de l’Eden sur Terre », s’enthousiasme Bruce Beehler.

Vice-président de Conservation International, une organisation de protection de la nature, ce scientifique américain, ornithologue de formation, est l’un des maîtres d’œuvre d’une découverte inestimable pour le biologiste qu’il est. « Nous avons trouvé des dizaines, voire des centaines de nouvelles espèces dans ce qui est probablement l’écosystème le plus vierge de toute la région de l’Asie-Pacifique », rapporte The Independent. Pour être à la hauteur de l’évènement, le quotidien britannique a illustré sa une avec la première photo d’une espèce d’oiseau de paradis (parotia berlepschi), un oiseau rarissime qui n’a été observé qu’en 1897.

Entre novembre et décembre 2005, une équipe de 25 chercheurs américains et indonésiens s’est rendue en hélicoptère au cœur de la Papouasie indonésienne. C’est dans les montagnes reculées de Foja, sur l’île de Nouvelle-Guinée, que les biologistes ont exploré pendant deux semaines une sorte de réserve naturelle exceptionnelle. L’expédition s’est divisée en deux groupes, explorant les hauteurs des montagnes de Foja et la jungle environnante. Leur plus grande récompense fut de pouvoir rapporter de sublimes images d’espèces animales et végétales, jusque-là inconnues.

A l’instar de The Independent, nombre de journaux de la grande presse internationale offrent en couverture ces photos inédites. Des découvertes rendues publiques le mardi 7 février, lors d’une conférence de presse organisée par Conservation International et l’Institut des sciences indonésien. Le récit des chercheurs s’apparente à un véritable conte de fées pour biologistes, car ils ont réalisé des trouvailles inestimables dès les premiers instants de leur présence sur le site.

Dans cette « Indonésie perdue », « cet éden montagneux n’avait jamais été en contact avec l’homme et a existé dans un tel isolement que même les animaux sauvages ne craignent pas les gens », souligne Gazeta.ru. « Je sais que l’administration Bush parle de retourner sur la Lune et de se rendre sur Mars », confie Beehler au Washington Post. « Mais il y a plein de nouvelles choses à découvrir ici, dans nos forêts, dans nos océans. Il y a des univers qui nous sont inconnus. »

Reste que « la découverte ne change rien à la grande menace qui pèse sur la biodiversité de notre planète. Le rythme actuel d’extinction des espèces est le pire jamais enregistré. Un tiers des amphibiens, un quart des mammifères et un huitième des oiseaux sont menacés. La situation est comparable à l’extinction des dinosaures il y a 65 millions d’années. Mais, cette fois-ci, il ne s’agit pas de météorite, mais de l’homme. Or, dans les montagnes de Foja, ce dernier n’a jamais été présent », conclut El País.

Dans les colonnes de The Independent, Brice Beehler livre son analyse scientifique des conséquences d’une telle découverte. Outre la nécessité de préserver et d’étudier la biodiversité de ces écosystèmes vierges rarissimes, il s’intéresse aussi aux rapports des communautés indigènes avec la faune et la flore locales. Une douzaine de Papous accompagnaient les scientifiques. Ces gens « connaissent bien les forêts et sont les mieux placés pour servir de guides. Ils sont les partenaires logiques dans l’élaboration du futur de cette région. Les oiseaux, plantes, grenouilles et kangourous arboricoles dépendent de nous », estime le naturaliste.

« Paradis sur Terre », « monde perdu », « jardin d’Eden »… En dépit de ce florilège d’émerveillement scientifique et médiatique, un chroniqueur de The Independent porte un regard désenchanté sur la Papouasie-Occidentale, une terre occupée par les Indonésiens, un « enfer ». 250 tribus vivent dans cette région depuis environ 40 000 ans et parlent 300 langues différentes. La région est riche en ressources minières et énergétiques. A peine libérée du joug néerlandais, l’Indonésie a envahi la Papouasie-Occidentale, à qui l’on avait pourtant reconnu l’indépendance. « Au moins 100 000 Papous ont été tués par les Indonésiens depuis l’occupation. D’après les ONG de défense des droits de l’homme, le chiffre pourrait s’élever à 800 000 tués », révèle Paul Kingsnorth. Le journaliste se fait l’apôtre de populations opprimées et oubliées. « Ils ont besoin de nos médias, de nos gouvernements et de nos ONG pour témoigner de leur sort et réagir. Le monde doit savoir et mettre un terme au génocide qui se cache derrière ces images de paradis. »

Philippe Randrianarimanana

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