Petite ethnobotanique méditerranéenne (Pierre Lieutaghi)

Les éditions ACTES SUD éditent un nouvel ouvrage de Pierre Lieutaghi « Petite ethnobotanique méditerranéenne » (Arles, 335 pages)

Extrait de l’ouvrage (Genêt Spartier, « Genêt d’Espagne », Sparticum Junceum, Légumineuses papilionacés)

«Tous les paysages méditerranéens ne posent pas complaisamment pour la
photo
avec terrasses d’oliviers centenaires, toits de terre cuite ou coupoles
blanches, cyprès de calligraphe sur excès d’indigo. Il y a beaucoup de
lieux
vagues, râpés par les siècles d’incurie, montrant leurs vieux os de pierre,
leurs cicatrices de feu, ravinés un peu plus à chaque orage, laissés à
la friche
indécise des pauses de l’incendie. À distance des villes, cette misère va
rarement sans grandeur, établie dans une « sauvagerie » de seconde main
dont
beaucoup pensent qu’elle est originelle. Dans les zones suburbaines, la
nature
défavorisée fait pendant aux quartiers de même condition.

A la fin du printemps, toutefois, la broussaille des terrains vagues, des
pentes autrefois cultivées, des ravines salies et du bord des routes
s’octroie
un luxe de quelques semaines. Les villes dans les creux de collines
voient alors
affluer vers leurs faubourgs, dévalant par tous les vallons, coupant à
travers
friches et terrasses délaissées, des caravanes chargées d’énormes balles
rondes,
d’un jaune éclatant, marchandise toute fraîche sortie des fonderies de
mai. Un
parfum à la mesure de l’excès lumineux les suit, quitte le soir la troupe
endormie pour s’aventurer du côté des faubourgs, où plus d’un en est ému.

Pour tout le monde, c’est le «genêt d’Espagne», sauf pour les
botanistes qui le
nomment « spartier », Spartium junceum, réservant le nom de Genista
hispanica
à un genêt nain, épineux, à port en coussinet, très fréquent
dans le
même climat. Spartier, du grec spartos, est en probable rapport avec
speira «
spire », « cordage », allusion aux anciens emplois industriels. Junceum
rappelle que les rameaux ressemblent beaucoup aux joncs du bord des
eaux. Quant
à l’Espagne, elle est évoquée arbitrairement, puisque le spartier croît
sur la
majeure partie du pourtour méditerranéen. »

J’aurais pu citer n’importe quelle introduction aux pages consacrées aux
espèces
retenues pour illustrer cette « petite ethnobotanique » : toutes sont de
la même
veine. Elles me font penser à ces ouvertures qui, dans les (grands) opéras,
annoncent et résument ce que l’œuvre va contenir de léger ou d’héroïque,
d’émouvant ou de tragique. Elles précèdent le corps du sujet où, dans le
même
bonheur d’écriture, on trouve la description de la plante : sa répartition
géographique et ses usages, aussi bien médicinaux qu’économiques et
symboliques.

Répertoire des plantes les plus caractéristiques des paysages
méditerranéens,
classées par ordre alphabétique, le livre se consulte comme un
dictionnaire ou
se lit comme un poème où l’on sera pourtant bien en peine de trouver les «
libertés » qui leur sont généralement consenties ; plus rigoureux et plus
érudit, c’est difficile.
C’est une œuvre inclassable, dont le titre trompe son monde puisqu’elle
n’est
vraiment «petite» ni par son format (34 cm X 13 cm) ni par son volume (335
pages) ni par la qualité de l’illustration (1), surtout pas par son
contenu qui
dépasse largement le strict cadre de l’ethnobotanique : un cauchemar de
bibliothécaire.

Benoît Garrone

2 commentaires

  1. La prose de P.Lieutaghi redonne au paysage la poesie que chacun pourrait y voir si nos yeux etaient autant empreints d’amour que les siens.

    La dimension technique qu’il y ajoute avec simplicité ne fait que murir notre plaisir en nous donnant l’ illusion de notre intelligence.

    Il nous laisse a penser que sa science nous est infuse…..

    Une grande leçon !!

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