Communication de Guy Kastler : Le TIRPAA: Biodiversité cultivée et droits des paysans
Le TIRPAA: Biodiversité cultivée et droits des paysans
Du 29 octobre au 2 novembre 2007 s’est tenue à Rome la deuxième réunion de l’organe directeur du Traité International sur les Ressources Phytogénétique pour l’Alimentation et l’Agriculture (TIRPAA). Une petite délégation de la Via Campesina, dont Guy Kastler pour la région Europe, a participé aux débats.
Le TIRPAA se donne pour objectif de préserver la biodiversité des semences agricoles « pour une agriculture durable et pour la sécurité alimentaire ». Il a été adopté par les Etats membres de la FAO en 2001 et est entré en vigueur en 2004 après ratification par une centaine d’Etats (les Etats-Unis ne l’ont pas ratifiés). Il vise, selon son texte, à soutenir la conservation ex-situ (dans les banques de gènes) et in-situ (dans les champs) de la biodiversité cultivée, y compris par la reconnaissance de la contribution des agriculteurs et de leurs droits qui en découlent à conserver, ressemer, protéger et vendre leurs semences, à promouvoir l’utilisation durable des ressources phytogénétiques et à assurer un partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation.
La biodiversité est menacée. En moins d’un siècle, avec l’imposition du modèle d’agriculture commerciale industrielle et la révolution verte, le nombre de variétés végétales cultivées s’est réduit de façon drastique. Face à cette catastrophe qui met en péril l’avenir de l’humanité, le TIRPAA apporte des réponses bien modestes. Cependant, certaines de ses avancées peuvent être utilisées dans nos luttes pour les semences fermières et en faveur de l’agriculture paysanne.
Conserver les semences en laboratoire ou dans les champs?
Le Traité affirme la nécessité de soutenir la conservation des semences in-situ et ex-situ. Cependant, l’essentiel des moyens mis à disposition par les bailleurs de fonds privés et publics va au développement de banques de gènes, tandis qu’aucun moyen de financement sérieux n’est proposé pour la conservation et le renouvellement de la biodiversité dans les champs ni pour la capacité des pays en développement à assurer leur souveraineté sur leurs ressources.
La biodiversité n’est pas quelque chose de figé qui puisse se conserver dans un laboratoire. Pour se perpétuer, elle a besoin de sans cesse se renouveler, de se diversifier et de s’adapter à un environnement en perpétuelle évolution. Les semences conservées dans des banques de gènes dépérissent faute d’être remises régulièrement en terre. Certaines collections sont même parfois menacées par les contaminations OGM qui pénètrent aujourd’hui dans les centres de diversification et les collections des banques.
La défense de la biodiversité cultivée suppose donc des paysans et des paysannes nombreux qui sèment, reproduisent, sélectionnent et fassent évoluer leurs semences en fonction de la diversité de leurs terroirs. Le maintien de nombreuses petites fermes diversifiées et autonomes des filières industrielles est essentiel à la préservation de la biodiversité. Faute de prendre en compte cet élément fondamental et de se donner les moyens d’agir de façon beaucoup plus large sur les politiques agricoles, le TIRPAA se prive d’un moyen d’action indispensable pour la préservation de la biodiversité agricole.
Cependant, nous pouvons utiliser ce traité signé par nos Etats pour exiger des règles favorisant la conservation de la diversité des semences dans les fermes et ainsi faire évoluer les législations nationales qui restreignent les droits des paysans à reproduire leurs semences.
Droits des paysans ou Droits de propriété intellectuelle?
L’article 9 du Traité reconnaît en effet les droits des paysans à conserver, utiliser, échanger et vendre des semences de ferme. Mais « sous réserve des dispositions de la législation nationale ». Or, dans de nombreux pays, seules les semences industrielles inscrites sur le catalogue national peuvent être échangées. La procédure pour faire inscrire des semences sur le catalogue est chère et inadaptée à la nature des semences paysannes qui ne sont ni stables, ni homogènes, donc totalement inaccessible aux paysans. Ces règles ont pour conséquence l’interdiction de fait des semences reproduites à la ferme et de leurs échanges.
Personne ne s’est étonné de voir participer à la réunion de l’organe directeur du TIRPAA un représentant de Pionner, une des grandes multinationales semencières. En effet, les enjeux d’un tel traité pour l’industrie semencière sont considérables. Les entreprises semencières ont besoin des ressources phytogénétiques conservées par les paysans et enfermées dans les banques pour mettre au point leurs variétés verouillées. Elles utilisent ensuite les droits de propriété intellectuelle pour s’arroger des droits exclusifs sur des semences brevetées ou protégées par des certificats d’obtention végétale, aux dépens des droits des paysans et des populations rurales pillées de leurs ressources.
Les droits des paysans tels qu’envisagés par les organisations paysannes et des peuples autochtones sont des droits d’usage et des droits collectifs. Ils s’opposent aux droits de propriété intellectuelle, qui sont par nature des droits individuels privés. Le Traité est très ambigu sur les droits de propriété intellectuelle. Il affirme dans son article 12 que « Les bénéficiaires ne peuvent revendiquer aucun droit de propriété intellectuelle ou autre droit limitant l’accès facilité aux ressources phytogénétiques, sous la forme reçue du système multilatéral » Quid si les semences sont modifiées? Quid du COV qui n’exige aucun renseignement sur les ressources utilisées ? Par ailleurs, le Traité prévoit la mise en place d’un système de partage des avantages issus de l’utilisation commerciale des semences. Or il n’est aujourd’hui question d’aucun autre avantage que de ceux issus des royalties payées par les utilisateurs des semences protégées, principal outil de négation des droits des paysans ?
Pourquoi ne pas reprendre la proposition de certains états africains de prélever la partie de ces avantages à partager sur les transactions internationales de semences afin de constituer un fond pour soutenir la conservation « in situ » et la capacité des pays en développement ?
Accès privilégié aux banques de gènes: pour les multinationales ou pour les paysans?
Les grandes entreprises semencières ont besoin de conserver une certaine biodiversité pour y puiser la « matière génétique » qui leur sert à développer de nouvelles semences. Elles soutiennent donc le développement de banques de gènes ex-situ et tolèrent, dans une certaine mesure, le droit des paysans des pays pauvres de reproduire leurs semences. Pratiquant des agricultures de subsistance, ils ne sont pas solvables. Cependant, elles cherchent à supprimer les droits des paysans solvables engagés dans l’agriculture commerciale industrielle au Sud comme au Nord, à reproduire eux-mêmes leurs semences. En effet, l’utilisation de semences industrielles va de pair avec la consommation d’intrants chimiques – engrais et pesticides- et l’homogénéisation des matières premières de l’industrie agroalimentaire qui constituent des marchés juteux. Une fois que les variétés paysannes ont quasiment disparu, comme c’est le cas en Amérique du Nord et en Europe, les paysans deviennent totalement dépendant de ces achats.
L’accès des paysans aux collections ex-situ peut, dans nos pays, être important pour réussir à redévelopper des semences adaptées, notamment pour les besoins de l’agriculture biologique. Cependant, les banques de gènes restent très souvent fermées aux paysans qui en demandent l’accès. Rappeler aux Etats signataires du TIRPAA qu’ils se sont engagés à faciliter l’accès des collections ex-situ aux paysans n’est donc pas inutile.
La participation des paysans et paysannes et de leurs organisations
Le TIRPAA reconnaît « l’énorme contribution que les communautés locales et autochtones ainsi que les agriculteurs de toutes les régions du monde ont apportée et continueront d’apporter à la conservation et à la mise en valeur des ressources phytogénétiques. » Il reconnaît le droit des agriculteurs de participer à la prise de décisions sur les questions relatives à la conservation et à l’utilisation durable des semences. Cependant, aucun moyen concret n’est prévu pour faciliter cette participation et assurer une consultation large des principaux intéressés.
La Via Campesina et d’autres organisations de la société civile ont donc demandé que soit mis en place un processus de consultation et de discussions pour permettre la participation effective de l’ensemble des producteurs d’alimentation et de leurs organisations aux décisions concernant l’application du Traité, et notamment l’application des droits des paysans. La Norvège a proposé de contribuer au financement d’un groupe de travail du Traité sur cette question. L’opposition farouche de la France, de l’Allemagne, de l’Australie et aussi du Canada a bloqué cette initiative. L’ensemble des signataires du Traité a cependant imposé le maintien de la question des droits des paysans à l’agenda du secrétariat du Traité. Celui-ci devra faire un état des lieux de la situation dans les divers pays et proposer des pistes pour les faire avancer. Il devra pour cela prendre en compte les contributions des Etats et des organisations de la société civile. La balle est donc aussi dans le camp des organisations paysannes et des autres producteurs d’alimentation (peuples autochtones, pasteurs…) qui doivent trouver des alliés pour financer les consultations et les débats nécessaires à la construction de leur contribution.
Ce traité est rempli de contradictions, ce qui en fait un outil dynamique, dont l’application peut être plus ou moins favorables aux paysans selon que nous réussissons ou non à le faire évoluer dans notre sens. A nous d’utiliser les étroites brèches ouvertes qu’il ouvre pour faire changer les législations nationales en faveur des semences paysannes et de systèmes agricoles plus autonomes!
Guy Kastler et Morgan Ody