Les moutons marocains mangent une montagne…

Plus de 100 millions d'herbivores « comestibles » (moutons, chèvres, vaches, dromadaires...) ravagent les sols et les écosystèmes du Maroc, avec, semble-t-il, la bénédiction des autorités et des gestionnaires...

Plus de 100 millions d’herbivores « comestibles » (moutons, chèvres, vaches, dromadaires…) ravagent les sols et les écosystèmes du Maroc, avec, semble-t-il, la bénédiction des autorités et des gestionnaires…

L’entièreté du pays, par ailleurs plus fragile que d’autres puisque de nature semi-aride en majorité, est l’objet d’un véritable « dépeçage » de ses paysages et de son vivant par la pression d’un surpâturage à nul autre pareil. On le sait, on le répète, mais c’est pire chaque saison !

Un exemple parmi d’autres est celui que vient de vivre le magnifique Jbel Ayachi qui culmine à 3757 m dans le Haut Atlas oriental. Au fil de ces dernières années, le massif a perdu la totalité de sa couverture végétale et ne montre plus qu’un sol dénudé, scalpé, squelettique. Effrayant, effarant, irréversible. Les derniers lambeaux de la précieuse cédraie sont moribonds, les genévriers thurifères vétérans sont écimés jusqu’au trognon, la chênaie verte est ravagée, décapitée, abroutie, l’ancien cortège botanique si riche et varié n’est plus, c’est tout le paysage qui dépérit à force d’abus d’usage. Le sol désormais pulvérulent, où plus rien ne pousse et ne poussera plus jamais part en poussière au moindre vent ou se retrouve dramatiquement lessivé lors des pluies. Voici ce qu’il reste d’un manteau forestier que le premier découvreur, le Marquis de Segonzac, décrivait comme luxuriant et infranchissable en 1905, soit à peine plus d’un siècle ! Quant à la faune climacique (lion, panthère, magot, mouflon, gazelle et même antilope bubale !!) et la faunule endémique (innombrables papillons à valeur biopatrimoniale), il ne reste rien. Toutes les espèces sauvages ont été décimées, victimes de la destruction de leur niche écologique, d’éviction, quand ce n’est pas de persécution imbécile et impitoyable.

Tous sont responsables, du berger au garde forestier, mais sont surtout coupables les propriétaires absents, ces bourgeois des grandes villes qui confient des effectifs surnuméraires de moutons (oviculture de rente) à des bergers locaux et dont ils profitent des droits séculiers d’usage normalement limités à la charge modeste de troupeaux familiaux. De tels droits devraient être caduques s’ils ne profitaient pas, et ce sans la moindre traçabilité, à des gens bien placés de réaliser de gros bénéfices sur le dos de la misère et de l’ignorance, et au détriment de ressources légitimes. Et les faux reboisements, les soi-disant périmètres en défens ne sont que des effets d’annonce. L’intitulé de l’administration en charge d’écosystèmes qui ne sont plus que des fabriques de moutons est à revoir : Haut Commissariat « de la lutte contre la désertification » ne correspond absolument plus à l’objectif qui se révèle inverse à la promesse.

Et pour parler de cette montagne de l’Ayachi, qui sont ces gens de la tribu des Aït-Morrhad qui ont investi la contrée pour en détruire les espaces et les espèces ? Il s’agit de piètres dévastateurs, par ailleurs connus pour leur immense cruauté envers les animaux. De quel laxisme profitent-ils pour pouvoir ainsi se comporter en hors-la-loi ?

Protéger la Nature passe par la colère, une « bienveillante » dictature (un peu comme le code de la route, non ?) et un certain végétarisme. Mais à l’heure d’un écologisme de pacotille parce qu’électoraliste, bonne conscience d’un système corrompu, on ne sait plus rien de l’écologie. Nous vivons dans l’éco-inconscience.

Il existe, sur les routes des Atlas, quelques auberges aux enseignes évocatrices d’un paradis perdu : « Auberge du dernier lion de l’Atlas », « … de la dernière panthère », « … du dernier singe magot ». Annoncera-t-on les prochaines ouvertures de gîtes ruraux (c’est tendance…) aux appellations probabilistes : « … du dernier cèdre », « … du dernier mouton », « … du dernier touriste », « … du dernier homme » ?!!

Michel Tarrier
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NDLR : je conseille, à ceux qui ne le connaissent pas, de lire l’ouvrage de Jared DIAMOND « Effondrement » (Ed Folio Essai, 2006) dans lequel il retrace sur plus de 800 pages l’histoire humaine et écologique de grandes civilisations disparues comme les Mayas, Les Anasazis, les Incas, l’île de Pacques… et plus près de notre temps les territoires en danger que sont la Chine, l’Australie, le Rwanda ou Haïti et bien d’autres encore… en raison notamment de pratiques culturales et agronomiques inadaptées et non durables. Le Maroc fait certainement partie de cette liste qui s’allonge malheureusement de jour en jour.

Daniel Mathieu
Tela Botanica

9 commentaires

  1. et moi bête qui croyait que les mayas et incas c’etait les sanguinaires inquisators espagnols sous ordre de la bienfaitrice église!
    ah ces méchants moutons faut les combattre..je vais me venger le jour de l’Aid 😉

    1. Pour les incas (et les aztèques), c’est bien les sanguinaires conquistadors qui sont responsables. Les aztèques étaient eux-mêmes sanguinaires, ce qui fait que les conquistadors, une centaine à cheval, ont réussi à s’allier des locaux pour leur conquête.
      Mais l’article initial est très clair et je ne comprends pas ces commentaires légers. Forêt luxuriante et puis désert irréversible, en seulement un siècle, le mouton n’est accusé nulle part, c’est le surpâturage qui est visé.
      Pour moi c’est bien un drame écologique de plus.
      Louis-Bernard

    2. Le collègue qui a stipulé : « On peut quand-même dire que les Marocains sont un peu responsables de ce qui se passe au Maroc, et qu’il peut être utile de leur signaler, voire de les aider…  » a une vision sage concernant l’évènement et surtout pour le mot « un peu ». Toutefois, il est à noter qu’il existe aussi d’importants efforts au Maroc que ce soit du côté des chercheurs universitaire ou que ce soit du côté des gestionnaires. Reste à mieux saisir le fait que les écosystèmes en général restent des patrimoines mondiaux de par leur Biodiversité que de par leur importance écologique et qu’en plus de soulever les handicaps il est important de conjuguer tous nos efforts afin de laisser aux petits enfants du monde quelques îlots relictuels dont ils pourront s’en servir pour une réhabilitation des milieux dégradés et une reconstitution des paysages perdus.

  2. On peut quand-même dire que les Marocains sont un peu responsables de ce qui se passe au Maroc, et qu’il peut être utile de leur signaler, voire de les aider…

    Quant aux Mayas, leur civilisation s’était effondrée bien avant l’arrivée des Espagnols ! Lisez Jared Diamond avant de faire des commentaires gratuits. Chacun en prend pour son grade…

    1. J’ai lu Jared Diamond, et c’est pour cela que j’en parle. En effet, les Mayas ont disparu plus d’un siècle avant l’arrivée des Espagnols. Leur population qui s’élevait à plusieurs dizaines de millions s’est soudain effondrée, principalement (mais seulement) en raison de l’épuisement de leurs ressources naturelles conséquente d’une agriculture et d’une déforestation « non durable »
      Daniel Mathieu

  3. Tout d’abord je tiens à vous féliciter pour la qualité de votre article sur
    l’exploitation des ressources naturelles au Maroc, Moi comme jeune
    chercheur en pastoralisme je tiens à vous confirmer votre constatation
    aussi dans le Rif et le moyen Atlas du Maroc que l’on considère une zone
    bien riche en espaces forestiers…etc c’est que des mensonges, l’état
    actuelle est vraiment alarmant. En plus les politiques agricoles actuelles
    tendent vers l’intensification de l’agriculture ce qui n’arrange pas les
    choses.

    Bien Cordialement

    Youssef

  4. Je fais moi meme partie de la tribu des ait Merghad que vous qualifiez de responsables de la crise écologiques.
    Mais la réalité, c’est que le Maroc souffre d’une absence de gestion de ses espaces naturels.
    Les bergers ne sont pas responsables si les autorités n’ont pas été capables d’expliquer aux populations le bien fondé de la préservation des forêts.
    de plus nous n’avons aucune lecon a recevoir des francais dont les sols sont pollués et dont l’essentiel des forêts ont disparus sans compter la disparition de la quasi totalité des especes sauvages.

  5. Ah, que la formule « nous n’avons pas de leçon à recevoir de » est pratique et déculpabilisante… Elle permet d’éviter tout questionnement et met fin à tout débat. Pourquoi cette attitude défensive, sur un site qui incite à la réflexion, et à la critique pour l’action ?
    Mohamed, de la noble tribu des Aït Merghad, va voir ce que devient ton pays, et juge par toi-même, avec impartialité. Pendant ce temps, nous agirons pour la protection des forêts et des dernières espèces sanvages, en France !

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