Epines blanches

Blanches épines
Blanches épines

A ses débuts, Marcel Proust fut chroniqueur au Figaro et c’est ainsi qu’un extrait de « La Recherche du Temps perdu » fut publié le 21 mars 1912. A la une, s’il vous plait ! On découvre dans ce passage intitulé « Epines blanches, Epines roses » sa passion pour les Aubépines :

« Je le trouvai [le chemin] tout bourdonnant de l’odeur des aubépines. La haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de leurs fleurs amoncelées en reposoir ; au-dessous d’elles, le soleil posait à terre un quadrillage de clarté, comme s’il venait de traverser une verrière ;

Aubépine et églantine
Aubépine et églantine

leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi délimité en sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge, et les fleurs, aussi parées, tenaient chacune d’un air distrait son étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures de style flamboyant comme celles qui à l’église ajouraient la rampe du jubé ou les meneaux du vitrail et qui s’épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier. Combien naïves et paysannes en comparaison sembleraient les églantines qui, dans quelques semaines, monteraient elles aussi en plein soleil le même chemin rustique, en la soie unie de leur corsage rougissant qu’un souffle défait. […]

La flamme rouge du coquelicot
La flamme rouge du coquelicot

Je poursuivais jusque sur le talus qui, derrière la haie, montait en pente raide vers les champs, quelque coquelicot perdu, quelques bluets restés paresseusement en arrière, qui le décoraient çà et là de leurs fleurs comme la bordure d’une tapisserie où apparaît clairsemé le motif agreste qui triomphera sur le panneau ; rares encore, espacés comme les maisons isolées qui annoncent déjà l’approche d’un village, ils m’annonçaient l’immense étendue où déferlent les blés, où moutonnent les nuages, et la vue d’un seul coquelicot hissant au bout de son cordage et faisant cingler au vent sa flamme rouge, au-dessus de sa bouée graisseuse et noire, me faisait battre le cœur, comme au voyageur qui aperçoit sur une terre basse une première barque échouée que répare un calfat, et s’écrie, avant de l’avoir encore vue : La Mer ! »

Un vrai régal de littérature, sauf peut-être pour les fanatiques du SMS peu habitués au style kaléidoscopique du grand Marcel !

Jean-Patrice Matysiak

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Images d’illustrations de Jean-Patrice Matysiak

5 commentaires

  1. Merci pour cet extrait ! J’aime, moi aussi, ce qu’a évoqué Proust en regardant autour de lui. Et pareillement, je trouve inquiétante qu’il y ait beaucoup de gens qui regardent peu aux choses hors de l’écran.

    Est-ce possible que personne n’y regarde avec un tel pouvoir d’observation ?

    1. oui, Marcel Proust avait un sens aigu de l’observation et une grande faculté d’évocation, le tout porté par un style unique !

  2. Merci pour ce beau texte. Habitant au Mali, il m’a rappelé les petits chemins entourés d’aubépines et les fleurs sauvages de toutes les couleurs qui apparaissent au printemps. J’ai maintenant la tête pleine de couleur. Merci pour cette lecture magique, Sylvie

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