Un nouvel automne atypique : le regard des chercheurs

Dès la fin de cet été, particulièrement sec sur l’ensemble de la France métropolitaine, et au cours de cet automne, de nombreux contributeurs à l’Observatoire Des Saisons ont pu noter (encore une fois) des phénomènes « hors-saison » sur les plantes, et notamment sur les arbres.[[Des conditions climatiques exceptionnelles à l’automne dernier, ont donné lieu à des évènements phénologiques anormaux en hiver, jusqu’au début de cette année 2016.]]

En plus de collecter les observations phénologiques anormales de nos observateurs, comme la floraison d’arbres qui fleurissent normalement au printemps, nous avons aussi interrogé les chercheurs associés à l’Observatoire Des Saisons.

Floraison de pommier. Observée le 23/10/2016 dans le Tarn (Daniel Démery - Tela Botanica - CC BY SA)
Floraison de pommier. Observée le 23/10/2016 dans le Tarn (Daniel Démery – Tela Botanica – CC BY SA)

Qu’ont-ils observé de leur côté, dans leur région ? Quelles sont les causes et les conséquences possibles de la sécheresse estivale sur les arbres ?
Et, est-ce que les « folies » végétales observées durant l’hiver dernier sont comparables à celles que l’on voit actuellement ?

Voici leur analyse à chaud de ce phénomène…

L’avis des expert-es

Selon Jean-Claude Mauget, ancien directeur scientifique de l’école d’agronomie Agrocampus Ouest, à Rennes :

« les débourrements et floraisons d’automne sont relativement classiques dans les scénarios météo analogues à ceux de cet été. En effet, on peut observer des débourrements et floraisons d’automne, à la fin de périodes très sèches et chaudes et après retour de la pluie. Il se produit une sorte de « court-circuitage » de la dormance. »

C’est-à-dire ? « C’est-à-dire que les bourgeons, à peine entrés en dormance à la fin de l’été (ralentissement du métabolisme, qui se met en pause) reprennent leur activité métabolique et leur croissance, car la dormance a été très précocement levée par la sécheresse. », précise Isabelle Chuine, chercheure au CEFE/CNRS et responsable scientifique de l’ODS.

Quelles peuvent en être les conséquences ?

« Ceci peut avoir pour conséquence la fragilisation du végétal vis-à-vis de coups de froid précoces et/ou une dépense du « capital fleurs » chez les arbres fruitiers, avec des conséquences défavorables sur la production de l’année suivante. », nous précise J.-C. Mauget.

Les comportements anormaux actuels des plantes s’expliquent-ils de la même façon que les anomalies l’automne dernier ?
S’ils peuvent être qualifiés de bizarres, ou d’anormaux, il s’agit bien de phénomènes différents : « l’année dernière, ce n’était pas la sécheresse qui avait induit ces phénomènes mais le petit coup de froid de mi-octobre (2015) suivi de conditions très douces. », explique I. Chuine.

Que nous disent les arbres des forêts ?

Frédéric Jean, de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) d’Avignon, est assistant ingénieur à l’Unité de Recherche Ecologie des Forêts Méditerranéennes. Il nous transmet ses observations sur les hêtres (Fagus sylvatica), au Mont Ventoux (Vaucluse) :

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« Celles-ci illustrent une sénescence précoce pour certains sujets généralement situés sur des stations sèches avec peu de sol et donc peu de réserves en eau, à des altitudes inférieures à 1000m. Cette année 2016 est une année particulièrement difficile du point de vue des conditions hydriques et dans ces situations particulières évoquées ci-dessus.
Attention, le phénomène est donc local et réservé à quelques individus ; certains individus sont-ils mieux adaptés que d’autres ?… Affaire à suivre… »

Fabrice Bonne, technicien à l’INRA de Nancy, travaille sur des plantations comparatives d’espèces forestières.[[L’ODS avait fait son portrait, retrouvez-le ici. Egalement artiste, il est un des deux aquarellistes du projet d’ouvrage sur la phénologie, voir notre récent article Il nous rapporte : « la sécheresse a touché la région Nord-Est cet été comme partout. J’observe environ 150 arbres répartis pour une quinzaine d’espèces forestières, dont un groupe de 20 hêtres qui ont une cinquantaine d’années.

Vers la mi-août/fin-août une certaine quantité de feuilles ont « roussi » comme brûlé par le soleil. Ces feuilles sont tombées avant début septembre ne laissant sur ces 20 hêtres que la moitié voire 1/4 de feuillage vert, qui se trouve encore vert maintenant au 18/10/2016. Ces arbres ont « expulsés » des feuilles pour limiter l’évapotranspiration. »

Isabelle Chuine a également observé des hêtres dans la réserve de la Massane (dans les hauteurs de Banyuls, Pyrénées-orientales) : « beaucoup avaient perdu leurs feuilles déjà début septembre. De plus, des chênes liège (Quercus suber) avaient leurs feuilles mortes (mais pas tombées car il s’agit d’une espèce marcescente [[Le hêtre est, quant à lui, semi-marcescent : il ne conserve ses feuilles sèches pendant la phase végétative (hiver) que sur une partie de l’arbre (les branches basses).]] comme beaucoup de chênes, c’est-à-dire qu’ils gardent assez longtemps leur feuilles mortes), et à Puechabon (Hérault) des chênes verts (Quercus ilex), qui ne perdent pas leurs feuilles, avaient toutes leurs feuilles marron (donc mortes) début septembre, du jamais vu. »

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Chêne blanc (Quercus pubescens)

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Chêne vert

D’après François Lebourgeois, enseignant-chercheur de l’équipe Ecologie Forestière à l’école AgroParisTech à Nancy, les charmes (Carpulus betulus) aussi ont eu un souci : « ici, la chose la plus remarquable est la chute prématurée des feuilles de charmes qui sont toutes « cramées ». C’est assez spectaculaire et cela semble toucher tous les types de milieu. »
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Inquiétudes du côté des vergers

Patrick Bertuzzi, directeur de l’unité Agroclim, partage des préoccupations avec ses collègues de la filière fruits de l’INRA Provence-Alpes-Côte d’Azur, à Avignon suite à ses observations dans la région : « La durée de la floraison de la variété Bergeron d’abricotier (Prunus armeniaca) a été cette année, près de Valence, de 14 jours alors que les années précédentes (15 années) elle se situe dans la fourchette de 6 +/- 2 jours. Je pense que cette année est emblématique du cumul d’évènements climatiques extrêmes qui ont affectés à des degrés divers toutes les productions agricoles. J’ose espérer qu’avec le changement climatique, on ne va pas assister à une multiplication de ce type d’évènements dans le futur. »

Et les conifères ?

Alexis Ducousso, ingénieur de recherches à l’INRA de Cestas (Gironde), au sein de l’équipe Génétique et Écologie des Populations a observé début octobre que « des individus de certaines jeunes plantations de pin maritime (Pinus pinaster) développent actuellement une unité de croissance. Sur les arbres adultes, le phénomène est très rare. J’ai trouvé quelques individus qui avaient une pousse automnale sur une ou quelques branches. J’ai observé ensuite ce phénomène en de nombreux endroits de la région. »

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« Ce phénomène était jusqu’à maintenant surtout connu chez le pin d’Alep (Pinus halepensis) qui depuis quelques années fait systématiquement des pousses d’automne/hiver aussi, et ne s’arrête de croître que quelques semaines en été », ajoute Isabelle Chuine.

Vos apports sont essentiels pour la Recherche !

L’automne 2016 aura eu lui aussi son lot de surprises mais pour des raisons encore différentes de l’automne 2015.

Vos observations représentent une contribution très importante au travail des chercheurs qui peuvent maintenant tenter d’analyser tous ces phénomènes un peu hors norme.
L’Observatoire Des Saisons avait déjà lancé un appel à observations anormales à l’automne 2015. Les résultats sont présentés dans un rapport réalisé par Célia Bodin (à télécharger ici), stagiaire en master d’Ecologie au CEFE/CNRS qui a analysé ces données.

Nous vous invitons donc à continuer à nous informer des phénomènes phénologiques anormaux [[Merci d’indiquer dans vos messages : le nom de l’espèce, le type d’évènement, le lieu (commune), et la date de vos observations, si possible accompagné de photos. :)]] dont vous serez témoins à l’adresse : contact@obs-saisons.fr

Ces évènements climatiques ont eu raison de nous et a rendu obsolète une partie de nos outils numériques, notamment celui qui constitue l’interface entre les citoyen-nes participant à l’ODS, et les chercheurs
L’outil de saisie des observations ne permet d’enregistrer qu’une seule fois les stades phénologiquse des espèces d’arbres suivies par nos observateurs-rices.

Vous l’avez déjà remarqué ! : il ne permet pas de renseigner les secondes floraisons ou feuillaisons au cours de la même année, si elles se produisent ; ou des absences de floraison ou de fructification, car une non occurrence constitue aussi une donnée scientifique.

Un des prochains défis du programme Observatoire Des Saisons -et pas des moins urgents- est d’ailleurs de réaliser un nouveau site Internet, permettant d’adapter cet outil… aux changements du climat.

Un grand merci à tous-tes pour vos observations !

Amandine

> Voir l’article sur le site de l’Observatoire Des Saisons

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