Point de vue. « Enseigner une nouvelle histoire naturelle pour penser aujourd’hui et construire demain »
Une tribune parue dans le journal Le Monde du 13/02/18 répond à la réforme du lycée engagée par le gouvernement visant à ce que l’histoire naturelle puisse être optionnelle à partir de la classe de seconde.
Voir l’article du Monde par Bruno David (MNHN), Marc-André Selosse (MNHN), Guillaume Lecointre (MNHN) et et Eric Westhof (Académie des sciences)
L’histoire naturelle est une science de la vie. Pour cette raison, il faut la remettre au cœur de la formation, au service de chacun, rappellent dans une tribune au « Monde » Bruno David, Marc-André Selosse, Guillaume Lecointre, du Musée national d’histoire naturelle (MNHN), et Eric Westhof, de l’Académie des sciences.
Tribune. L’histoire naturelle étudie les composantes et les mécanismes du monde, qu’il soit minéral, végétal ou animal, ainsi que la diversité humaine dans ses dimensions biologiques et sociales.
Elle est présente dans les cursus scolaires et universitaires par les « sciences de la vie et de la Terre ». Elle ne se réduit pas à une histoire ancienne, elle est plus que jamais vivante et dynamique d’innombrables découvertes et par ses liens avec d’autres disciplines.
L’histoire naturelle a fait de formidables progrès qui influencent la vie de chaque citoyen au quotidien comme au long terme. Elle peut être un formidable levier pour contribuer à préparer une société responsable et des citoyens éclairés en ce début de siècle où la crise environnementale et la montée de certains obscurantismes conduisent à une perte de repères.
La réforme du lycée engagée par le gouvernement s’annonce comme une occasion unique de repenser la formation des futures générations. Or, les discussions actuelles sur la réforme du lycée envisagent que l’histoire naturelle puisse être optionnelle à partir de la classe de seconde. Les institutions signataires de cette tribune appellent, au contraire, à mettre l’histoire naturelle au cœur de la formation, au service de chacun et de l’avenir du pays, pour plusieurs raisons.
Etudier et respecter les faits
Nos choix d’avenir doivent être nourris des acquis de l’histoire naturelle : parmi les défis auxquels nos sociétés sont confrontées, les transitions écologiques et environnementales sont pressantes, et font l’objet d’un engagement gouvernemental actif. Chacun fait aussi ses propres choix de vie pour son alimentation, sa santé ou son environnement et ces engagements, individuels et collectifs, doivent pouvoir s’appuyer sur des connaissances avérées.
Parmi les perspectives d’actualité, la redéfinition espérée des relations entre hommes et femmes ou la compréhension du vieillissement et de ses effets ne peuvent se faire sans une connaissance de la biologie humaine. Sur ces questions personnelles et citoyennes, notre liberté et notre souveraineté de demain exigent une meilleure compréhension de ce qu’impliquent ses propres comportements. L’histoire naturelle, en éclairant ces implications, contribue à la liberté de choix.
La méthode de l’histoire naturelle est rationnelle et scientifique. Basée sur l’observation et l’expérimentation, elle apprend à écarter tout dogmatisme et à étudier et respecter les faits. Actuellement, la montée de scepticismes, voire de négationnismes, sur les avancées scientifiques est une source d’inquiétude. Les doutes se multiplient par exemple sur la sécurité des aliments ou les vaccins.
Au-delà des aspects techniques, des résultats fondamentaux de la science se trouvent contestés, comme les dérèglements liés au réchauffement climatique, ou l’évolution biologique. Dans ces dossiers, le doute cesse d’être au service d’une méthode critique pour devenir un rejet systématique, entraînant des visions simplistes, voire complotistes.
Au-devant des besoins de l’économie
Plutôt que des argumentaires successifs sur chaque rumeur ou chaque sujet, offrons aux générations de demain un bagage initial précieux restaurant l’utilité du doute et du raisonnement pour éclairer les décisions. Une démarche scientifique rationnelle autorisant un regard critique est en effet pour chacun des atouts de liberté de jugement, de plus en plus indispensables dans un monde en pleine transition environnementale et technologique.
De plus, une formation à l’histoire naturelle va au-devant des besoins de l’économie. En France, les entreprises du génie de l’environnement, de l’agroalimentaire, de la bio-économie en général et de la médecine constituent un pan majeur de l’économie et de la compétitivité nationale.
De nombreuses start-up françaises issues des biotechnologies connaissent un succès mondial. Ce sont autant d’opportunités économiques qui ne naîtront que d’une génération assez tôt sensibilisée au potentiel de l’histoire naturelle. De ces secteurs économiques, avec la pression des défis environnementaux et de santé, émerge – et émergera – une grande part de l’innovation et des emplois nouveaux : par exemple, le ministère de l’agriculture estime que les filières nouvelles (biocarburant, biomatériaux, etc.) généreront jusqu’à 100 000 emplois sur vingt ans.
Pour persister, s’installer ou se développer en France, les entreprises de ces secteurs auront recours, plus que jamais, à une génération formée au contact étroit de l’histoire naturelle. Il en va donc aussi de l’attractivité de notre pays : cette génération sera, par l’ensemble de ses savoirs interconnectés, source d’emplois attractifs pour des entreprises nationales et étrangères.
Humilité
Mais l’enjeu dépasse la spécialisation : une formation par l’histoire naturelle prépare chacun à gérer la complexité, notamment dans les choix de toute vie professionnelle. Les objets biologiques comme géologiques initient en effet à la complexité, qu’on pense au cerveau, aux écosystèmes ou au climat, sur lesquels, de plus, les connaissances se renouvellent sans cesse.
La formation aux méthodes scientifiques et expérimentales appliquée à des phénomènes complexes enseigne l’humilité face aux données. Cela implique de pouvoir mobiliser observations et travaux pratiques, en salle et en situation de terrain (excursions), qui confrontent l’élève au réel. L’histoire naturelle traite d’objets réels, irréductibles à une approche simplifiée ou seulement quantitative.
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Une éducation à l’histoire naturelle initie ainsi à une approche à la fois systémique et concrète de grandes questions touchant l’Homme, la vie, les écosystèmes et la planète. L’intégration de l’histoire naturelle dans la formation de chacun s’avère un vecteur remarquable pour préparer intellectuellement une génération à faire face à un monde complexe et en évolution rapide, même en dehors de professions directement liées au vivant et au minéral.
A l’aune de tels enjeux, notre consortium s’inquiète de la place réservée à l’histoire naturelle dans la réforme actuelle de l’enseignement, à l’heure d’une refonte ambitieuse qui offre l’opportunité de renouveler les enseignements du lycée, au-delà des habitudes pédagogiques du passé. Les programmes ne doivent pas être réduits à des faits ou des connaissances, mais doivent dégager, avec plus de clarté, des savoir-faire organisés du collège au lycée, construisant à travers toutes les filières une culture et une méthode.
Renforcer la pensée interdisciplinaire
L’efficacité d’une formation à l’histoire naturelle ne passe nullement par un conflit horaire avec d’autres disciplines : bien au contraire, elle tirera son efficacité de ses résonances avec les autres matières du socle, donc d’un essor de l’interdisciplinarité. Exprimer une pensée scientifique exige une maîtrise de la langue et donc de travailler le français ; l’histoire naturelle exige calculs, modèles et simulations qui impliquent les mathématiques, l’informatique ou la physique ; l’évolution du vivant et le développement durable tissent des relations complexes avec l’histoire, la géographie, la physique et la chimie.
La pensée interdisciplinaire doit par conséquent être renforcée dans la réforme du lycée. Ce n’est pas une mince révolution pour les enseignants qui ont souvent suivi une forte spécialisation disciplinaire : ceci pose le problème de la formation continue. Les institutions qui signent cette tribune ne laisseront pas les enseignants seuls : déjà existent des liens vivants et dynamiques entre enseignants et acteurs de la vie scientifique et de l’entreprise, au travers de structures comme les muséums régionaux, les Maisons pour la science, l’association La Main à la Pâte, les Ecoles de l’ADN ou les sites web Planet-Vie et Planet-Terre… qui accompagneront ce renouvellement espéré de l’enseignement.
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L’interdisciplinarité que nous espérons doit faire une place aux contenus et aux savoir-faire de l’histoire naturelle, actuellement portés par les « sciences de la vie et de la Terre ». L’éducation à l’histoire naturelle constitue un socle et un droit pour tout citoyen, dans un environnement de complexité croissante, mais aussi une nécessité pour la compétitivité et la durabilité de la société de demain.
Il ne viendrait à l’idée de personne de priver d’histoire-géographie la jeunesse. La priver d’histoire naturelle serait semblablement catastrophique. Inscrivons la formation par l’histoire naturelle dans le socle pédagogique car aujourd’hui, elle n’est pas une option : l’histoire naturelle, plus que jamais omniprésente dans les défis modernes, doit enrichir la compréhension et les méthodes de chaque élève, du primaire jusqu’à la fin du lycée, quelle que soit son orientation ultérieure. Ne manquons pas les opportunités soulevées par la réforme du lycée : demain, autorisons nos enfants à écrire l’histoire avec l’histoire naturelle.
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Le consortium d’acteurs concernés par l’éducation à l’histoire naturelle réuni par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) comprend :
– Dix autres institutions de recherche (AgroParisTech ; le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) ; l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ; l’Institut français des sciences et technologies des transports de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR) ; l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) ; l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) ; l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) ; l’Institut Pasteur ; l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ; l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ;
– L’Alliance pour l’environnement (AllEenvi) ;
– Deux associations d’entreprises (ORÉE et Terinov), totalisant 160 entreprises ;
– Les Académies d’agriculture, de médecine, de pharmacie et des sciences.
Article diffusé par la petite revue de presse centrée sur biodiversité, sciences et protection du vivant et de l’univers, patrimoine (lundi 19 février) de la FNH.
Daniel Mathieu
6 commentaires
Merci pour cet article dont il y aurait par ailleurs énormément de choses à dire.
Nous sommes nombreux ici à être convaincu qu’il faut d’abord réhabiliter la science et les filières scientifiques. Les sciences de la vie et de la terre peuvent et doivent être un excellent moyen à l’école et au lycée pour initier des vocations et un parcours scientifique par la suite.
Une chose m’inquiète : je n’ai pas vu apparaître, pratiquement, le mot agriculture dans l’article du Monde que vous rapportez fort bien. Et cependant l’académie et l’INRA sont présents au tour de la table…
La culture, l’élevage, ce sont bien les activités de la vie et de la terre qui sont en interaction avec l’environnement, la biodiversité, dans un contexte d’évolution démographique en forte croissance (besoin d’espace, de nourriture…) ?
Deuxième réflexion, puisque le sujet est nommément cité dans l’article : procède t’on d’une démarche scientifique lorsque l’on met en balance, au niveau du réchauffement climatique, l’hypothèse solaire de Svensmark (pour faire simple) et l’hypothèse GES et CO2 du GIEC ?
Etudier, il faut bien sur commencer par là et c’est bien l’objectif de cet article, et respecter les faits. Mais qui respecte les faits ? Qui utilise la science (comme malheureusement cela s’est toujours produit) à des fins soit électoralistes soit idéologiques de complaisance envers des « associations »
de type activistes. Il n’est qu’à voir le soi-disant bagage scientifique d’associations comme « Générations futures » ou le CRIIGEN de Corinne Lepage et du scientifique véreux (c’est encore plus grave) Séralini.
Cette tribune est en forme de leçon, et en même temps en constat implicite de désintérêt vis à vis de leur discipline après quelques siècles de lycées. Si la situation de la réforme des programmes scolaires en est là, il me semble tout aussi logique que ce soit aux enseignants et chercheurs en sciences naturelles de se remettre en cause quant à leur perte récente de crédibilité. Pourquoi l’enseignement de cette science était pris très au sérieux par les politiques du XIXè siècle et pas maintenant ? à mon avis, l’impression de fuite en avant dans cette tribune est une caricature de la problématique.
Cette tribune, résumant la plupart des défis à atteindre est certes très intéressante mais trop confuse.
L’histoire naturelle doit s’appuyer sur des connaissances avérées, sur l’observation et sur l’expérimentation, en tenant compte du fait qu’on n’expérimente pas sur le monde vivant comme sur les substances matérielles. L’expérimentation,en général, se réalise sur des longues durées et est difficile à réaliser en classe.
Tout comme l’apprentissage de la lecture et du calcul, il faut s’assurer que les bases sont acquises.Ce n’est pas du tout ce qui se passe actuellement, où l’on apprend aux élèves , dés la sixième,des connaissances très complexes et les bases ne sont absolument pas connues à la fin du lycée.Il faut cesser de vouloir gaver les têtes des jeunes, car on les dégoute complètement les meilleurs de la biologie.
On observe actuellement parmi les dernières générations une ignorance complète des phénomènes naturels et de leur environnement naturel.
En biologie végétale, il faut revenir à une étude des plantes par familles(ce que font les MOOC de Tela botanica).Les différents phénomènes expliquant la vie des plantes doivent être absolument connus mais sans aller trop loin dans la chimie de ces phénomènes.Il faudrait une approche plutôt holistique .
Mais, en même temps, observer et nommer constamment les plantes dans l’environnement des élèves, qu’il soit urbain, ou rural.
De même en biologie animale.
S’il est important d’avoir de bonnes notions de géologie,il est aussi essentiel de connaitre sommairement les différents types de sols agricoles.
Enfin, il faut donner un minimum de culture génétique.Plus personne ne semble connaître les lois de Mendel ni la génétique des populations si importante à prendre en compte en agriculture ,ni la structure de l’ADN.
Tout cela permettrait , par exemple,de savoir que pour qu’une vache donne du lait, il faut qu’elle ait eu un veau!
ou que l’oxygène dont nous avons besoin provient de la photosynthèse.Eh, oui, tout ceci est ignoré de la majorité des gens.
Oui,
d’ailleurs une des trois options du Bac des années 60-70 s’appelait « Sciences expérimentales »… avec également un fort coeff. pour la « Philo » concrétisant le fait que la science est bien une démarche et l’expérimentation un outil au service de cette démarche.
Dans la continuité de cet article, je vous invite à écouter la chronique de Nicole Ferroni de mercredi dernier sur France Inter.
http://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-nicole-ferroni/le-billet-de-nicole-ferroni-21-fevrier-2018
Au delà de la forme (expression orale), cela fait-il avancer le fond ?
Je ne pense pas, tellement c’est confus et tellement superficiel.
C’est plaisant, quoique…, mais c’est ce qui plait.