Transporter des plantes par bateau et à travers des océans s’il vous plaît ! #MissionBotanique

De l’exploration de nouveaux espaces et de nouveaux continents découlent de nombreuses découvertes, qui ont au minimum un intérêt scientifique, au mieux un intérêt médical, alimentaire ou économique. Les explorateurs et chasseurs de plantes doivent ramener leurs végétales trouvailles au bercail. Pas si simple !
Avis pour le transport par mer des arbres
Avis pour le transport par mer des arbres

Depuis des millénaires des graines sont transportées et disséminées par l’homme. Mais l’astuce a ses limites : toutes les plantes ne sont pas transportables sous forme de graines, ou même de bulbes. De plus les voyages que les hommes décident de leur imposer se transforment au fils des siècles en véritables épopées parfois transcontinentales.

Quand on veut transporter des plantes par bateau, il faut leur réserver de l’espace, en général sur les ponts des bateaux, afin qu’elles puissent accéder à la lumière. Mais cet environnement est hostile pour une plante en voyage : embruns, vent et tempête, soleil, pluie les assaillent. Sans compter les passagers humains de l’embarcation, pas toujours ravis de partager l’espace déjà réduit avec ces plantes vertes encombrantes, ainsi que l’eau douce nécessaire à les maintenir en vie. En fonction de la distance à parcourir, des errances éventuelles, des conditions météorologiques les voyages peuvent s’étendre sur plusieurs mois ou même des années. Il faut parfois traverser plusieurs zones climatiques différentes. Pour compléter le tableau, restent encore les risques habituels liés à la navigation : naufrage, piraterie…

Il faut faire avec les connaissances et l’intérêt des personnes à bord. Parfois des botanistes ou jardiniers sont du voyages, parfois la survie des plantes reposent principalement sur l’intérêt d’un capitaine. Il n’y a pas d’instructions claires et disponibles sur le transport des végétaux.

En 1752 est publié l’Avis pour le transport par mer des arbres, des plantes vivaces, des semence et d’autres curiosités d’histoire naturelle de Henri Louis Duhamel du Monceau. C’est le premier « manuel » de transport des trouvailles naturelles portant sur les plantes, aussi bien que les animaux en passant par les pierres et œuvres d’art. C’est une avancée car enfin un certain nombre de précautions sont rassemblées dans un recueil et non laissés aux connaissances éparses des passagers.

L’intérêt de transporter et d’acclimater des plantes venues de loin est de pouvoir ensuite les étudier, soit pour elle-mêmes soit pour leurs propriétés. Elles ont pour certaines une valeur alimentaire, ornementale ou pharmaceutique.

Au XVIIIème siècle, 80 % des remèdes sont d’origine végétale. On peut d’ailleurs noter que pendant le Moyen Âge, tout ce qui restait d’intérêt aux plantes était leur valeur pharmaceutique. En important de nouvelles plantes, on peut essayer de trouver des utilisations thérapeutiques potentielles ou encore profiter d’utilisations déjà découvertes.

Il y a aussi un intérêt à acclimater une plante utile dans un environnement contrôlé,sur son territoire ou bien dans une de ses colonies, afin de ne plus avoir à l’acheter aux autres, voire d’en faire soi-même le commerce.

Il y a des preuves du transport de plantes sous forme végétative datant de vieille de 3500 en Egypte antique. Ainsi des gravures sur le temple funéraire de la reine Hatchepsou montre le transport par bateau d’arbre à encens (Boswellia). Le principe est simple : la plante était transportée avec ses racines, un substrat et un contenant, en l’occurrence des paniers.

Il faut noter qu’avant le XVIIIème siècle les conditions de transport sont plutôt aléatoires, variant selon l’intérêt et les connaissances des personnes à bord en l’absence de méthodologie et d’instructions précises. Les plantes voyagent donc dans divers contenants et caisses, plus ou moins protégées, de façon à tente de permettre l’arrosage ou encore l’aération nécessaire pour éviter la pourriture mais de façon à tenter néanmoins de les protéger contre les vents, l’ensoleillement (soit insuffisant soit excessif), et bien sûr les embruns marins souvent mortels.

Comme on peut l’imaginer l’aventure n’est pas tellement appréciée par nos délicates amies : le taux de perte est très important et celles qui parviennent à la terre ferme sont souvent bien mal en point. Des jardins de convalescence sont construits dans les villes portuaires afin de retaper les voyageuses survivantes, comme à Nantes ou à Rochefort.

Wardian case
Wardian case, illustration dans le domaine public

Tout cela change avec la caisse de Ward, ancêtre du terrarium, inventé vers 1829 par Nathaniel Bagshaw Ward, docteur et botaniste anglais. Il découvre par hasard les vertus d’un contenant étanche en enfermant dans un bocal hermétique une chrysalide de papillon, et en constatant que des herbes et fougère se développe dans la terre contenue. L’humidité reste constante puisque l’eau se condense et retombe dans le sol. Lorsqu’il la fait fabriquer, Ward demande que le bois utilisé soit dense, pour éviter la pourriture, et aussi ajusté que possible avec le verre. En 1833, Ward fait transporter dans sa caisse des herbes et fougères anglaises jusqu’à Sydney en Australie, un voyage de six mois, et elle lui revient en 1835, avec à l’intérieur des spécimens australiens vigoureux ! En 1842 il publie On the Growth of Plants in Closely Glazed cases, qui sera republié en 1852 avec des illustrations pour exposer sa découverte, ainsi que de nombreux articles pour la promouvoir.

L’utilisation de cette caisse renverse le rapport : la grande majorité des plantes transportées par ce moyen sont bien vivantes et en bonne santé. La caisse devient donc bientôt le contenant de transport privilégié pour les long voyages en bateau, avec cependant l’obstacle de son coût assez élevé. Elle fut notamment utilisée 1848 par Robert Fortune qui s’en servit pour transporter le thé de la Chine à l’Inde. Elle a participé à l’établissement de nombreuses cultures dans les colonies, telles que le quinquina utile pour ses propriétés antimalariales, mais aussi à l’établissement de nombreuses plantes aujourd’hui familières dans nos jardins. Par ailleurs elle devint également à la mode pour les cultures d’intérieur ou d’extérieur en ville, protégeant les plantes de l’air pollué.

Et c’est ainsi que, permettant de protéger les plantes des aléas de la vie maritimes, pendant plus d’un siècle la caisse de Ward fut largement utilisée pour le transport des plantes. Elle est néanmoins aujourd’hui relativement peu connue, de même que son créateur.

Bibliographie

  • E. Charles Nelson, « From Tubs to Flying Boats : Episode in Transporting Living Plants », dans Naturalists in the Field. Collecting, Recording and Preserving the Natural World from the Fifteenth to the Twenty-First Century, 2018, éditeur : Arthur McGregor, chapitre 19
  • Yannick Romieux, « Le transport maritime des plantes au XVIIIème siècle », dans Revue d’Histoire de la Pharmacie, n°343, 2004
  • C. Fry, Chasseurs de plantes, 2010, ed. Prisma
  • Luke Keogh. Arnoldia cover. « The Wardian Case: How a Simple Box Moved the Plant Kingdom ». 12 pages. (2017 Volume 74 Number 4 2017)

L'autrice de cet article

Cet article a été écrit par Camille Zaratiégui.

Il vous est proposé dans le cadre de la #MissionBotanique lancée par Tela Botanica. Plusieurs articles sur l’histoire de la botanique vous sont proposés dans le cadre de cette campagne de communication.

5 commentaires

    1. bonjour, vous pouvez trouver ce livre à la nef des livres, biblio en ligne de YM Allain, c’est à St Nazaire.

  1. Bonjour,
    La wardian case a permis un développement considérable de nombreuses cultures dans les colonies.
    Mais le transport de terre de culture sans précautions a déplacé des pathogènes des sols, causant d’importants dégâts sur de nombreuses productions agricoles.
    La grande famine irlandaise du milieu du XIXe est due à l’arrivée du mildiou de la pomme de terre suite à ces échanges. Un million de morts, l’extinction de la langue gaélique, un siècle d’émigration massive, le pays ne s’en étant jamais relevé.
    Les évènements dramatiques des dernières décennies et même les problèmes actuels pour régler le brexit sont un peu dus à l’anglais Ward …

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