« Arbre », une nouvelle de Julie Sansy

Invitation au voyage et initiation au quotidien de l'arbre : découvrez la belle plume de Julie Sansy par la lecture de sa nouvelle "Arbre". Depuis la Nouvelle-Calédonie, elle espère qu’elle sera appréciée par les lecteurs du réseau de Tela Botanica !

Fragmentaire

La machine à laver est lancée. Il n’y a plus, désormais, qu’à attendre. Je viens de vider les poches. Aujourd’hui, mon fils a encore ramassé des graines, grandes gagnantes du hit-parade des cours de récréation, avant les tessons colorés, quelques cailloux bizarres, et des stylos usagés qui font des trous, et des tâches. Un petit pot en verre les recueille. Une, deux, trois. Dans le pot, plic, plic, plic, les Trésors Oubliés. Des graines de Flamboyants.

Accroupie, je les regarde, si nombreuses au travers de la paroi de verre. Il y a là comme un concentré de mystère. Tout est prétexte à questionnement, mais il est des lieux plus improbables que d’autres, comme le hublot d’une machine à laver. Et des objets, aussi.
Pourquoi y en a-t-il autant ? C’est de l’acharnement, un tel ratissage en règle, digne d’un monomaniaque sous influence, d’une mauvaise lune !

Joshua pense ramasser des graines. Mais à voir sa manie, c’est lui le possédé, par des trouvailles qui doivent cacher sous leurs cuticules colorées, lisses, rugueuses, ailées, accrocheuses, un charme ou quelque enchantement. Quel sortilège ont-elles bien pu utiliser, ces petites choses, pour capter son attention, son imagination ?

Hypothèse : Les graines ont un petit plus, si on les compare aux simples brisures, bouts de plastique, fragments de bouteilles, éclats de roche, trouvés dans les cours de récréation. États fragmentaires dont le destin – plus ou moins rapidement atteint – est dissolution. Joshua le perçoit-il ? Dans la graine, il y a l’arbre. Mm… Évidemment, c’est un raccourci. Dans la graine, il y a peut-être l’arbre.

Car, pour passer de la graine à l’arbre, il n’y a pas, seulement, un saut de pure imagination. Il faut une conjonction, précise et nécessaire, d’éléments concrets. Des éléments premiers, Eau, Terre, Air ! Doivent contribuer, en des termes qui ne sauraient être modifiés. Trop de soleil ou trop peu, trop d’eau ou pas assez, une terre ingrate, et rien ne vient. Dans la graine, donc, il y a peut-être l’arbre.

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Abrus precatorius, par Sylvain Piry, CC BY SA Tela Botanica

Joshua est-il fasciné par la croissance, ses mystères, ses difficultés, son caractère, à la fois impérieux et aléatoire, ou cède-t-il tout simplement à sa manie de collectionneur ? S’il l’est, l’est-il de la même façon que moi ? Pour les mêmes raisons que moi ? Lorsque des graines sont germées dans la cour, il trouve que c’est dommage. Elles ne peuvent plus aller dans sa collection. Elles pourriraient. C’est aussi cela, la vie. Pas moyen de l’arrêter, une fois démarrée. Pas d’arrêt sur image. Une fois la lecture du code génétique lancée et la machinerie biochimique partie, il faut vivre, ou mourir.

Vaut-il mieux rester au sec dans un bocal, avec des centaines d’autres ?

A chaque âge ses réponses ! Sous des dehors de collectionneur maniaque, et autrement que je ne le fait sans doute, Joshua attribue une valeur particulière aux belles endormies.

Pour l’instant, « Josh » préfère les garder dans un pot, et laisser celles qui sont germées dans la cour. Cela est sage, car les graines germées se feront piétiner, impitoyablement, par de jeunes enfants, inconscients et joyeux. Quand aux graines dans le bocal, nul ne connaît encore leur destin. C’est ça, un Trésor. Un petit quelque chose, un potentiel, un message, qui devient clair, vrai, à l’ouverture du Coffre Magique.

Dissémination

Aujourd’hui, nos graines de Flamboyants viennent d’utiliser un moyen de transport nouveau, qui tend à se répandre avec l’instruction obligatoire. Le fond d’une poche de short de sport – taille 8 ans. Elles ont fait quelques kilomètres. C’est beaucoup pour un arbre. Tout le monde n’a pas accès à un sleeping première classe ! Pour quel destin, d’ailleurs ? La semaine dernière dans un magasin de bricolage, j’ai acheté des graines. De la mâche et des radis. Sur un grand présentoir, tenant tout un pan du mur, bien rangées horizontalement et verticalement, des graines. Ou plutôt des graines en sachets. Des sachets bien fermés, bien secs, hermétiques, dont l’intérieur est une couche argentée doublée d’un film plastique antiseptique. Si tout va bien, cette belle histoire finira dans mon assiette.

Mais, est-ce bien le monde réel cette organisation totalement  tendue vers la réalisation de buts clairs, nets et précis ? Dans le monde réel, non aseptisé, ce n’est pas vraiment ça. C’est On the road Again avec un dollar en poche. Le règne de la débrouille. On ne sait pas de quoi demain sera fait, et on s’en fout. Dommage ? Non, car dans le monde réel, non aseptisé, contrairement au monde rationnel des sachets et du marketing vert, la graine à sa chance. Cette chance un peu sauvage et pleine de risques, la graine va chercher à la saisir, par tous les moyens.

Tout d’abord, le vent.

Le vent. Qu’y a t-il de plus doux que le vent ? De plus romantique ? Le vent fait office de compagnie de transport. Un bus gratuit, ça ne se refuse pas, et 90% des végétaux l’utilisent. Mettre les voiles, un rêve de graines. Au sens propre. Chaque espèce concernée par l’anémochorie, joli mot désignant le transport éolien, a développé sa propre technologie. Ombelles, membranes, samares, pappus, akènes et autres bourres fibreuses, autant de noms parfois savants pour d’innombrables prouesses qui ont toutes pour point commun d’offrir une forte prise au vent. Faire la sieste près d’un ruisseau, dans un val ombreux d’Europe bordé de peupliers, c’est prendre le risque de respirer une minuscule graine, accompagnée de sa bourre cotonneuse. Les Anglais, allant à l’essentiel, appellent le peuplier Cotton Wood, le Bois Coton. Et que dire des charmantes graines hélicoptères de l’érable, qui descendent en trajectoire spiralée ? On appelle akène cette forme particulière, qui rappelle assez exactement la pale d’une hélice d’avion, ou celle d’une éolienne.

Continuons à rêver. Rêvons d’un repos bien mérité, loin des cieux tempérés de l’Europe. Le soleil, la plage, la mer, les cocotiers ! Un îlot, une plage isolée, la Côte Oubliée. Sommes-nous seuls, enfin ? Non. Les cocos nous ont devancé, arrivant par la mer, portés par les vagues. Bon, disons le clairement, les hommes aident un peu les cocos. Mais il n’empêche. Les cocos n’ont pas besoin de nous pour franchir de longues distances et coloniser les atolls les plus lointains, dans le Pacifique (Cocos nucifera) ou aux Seychelles et dans l’Océan indien (Lodoicea Maldivica). Phénomène rare ? Pas tant que ça. Les arbres des mangroves utilisent les marées pour disséminer leurs plantules, et les arbres des cours d’eau, des lacs et des étangs, ne s’en privent pas non plus. Nautochorie, autre moyen de transport ancêtre de la bouteille à la mer, dont le précieux message est un code génétique.

Cocos nucifera L. (bdtxa) par Christiane FAZER
Cocos nucifera, par Christiane Fazer, CC BY SA Tela Botanica

Continuons encore. Mais ne rêvons plus cette fois-ci. Il nous faut de l’action, du solide, du tangible. Du poil. De la plume, pourquoi pas ? Zoochorie, voilà le petit nom du transport par les animaux. Dans la vie, il faut s’accrocher. Aux poils, aux plumes, ou bien mieux encore, dans l’estomac. Celui des oiseaux surtout, ces jardiniers de la forêt. Les arbres dédaignent en général le poil, lui préférant la plume, laissant les Amoureux aux rampants de la strate herbacée. L’ingestion pure et simple… L’estomac d’un animal, son gésier ou son intestin, voilà qui permet de faire un petit bout de chemin ! Et de trouver, à l’arrivée, à la fois le sol et l’engrais. N’oublions pas que les graines – tiges et fruits compris – sont bien souvent comestibles. Se faire disséminer, au risque d’être mangé, en vaut-il la peine ? La réponse est oui.

Mais, bien souvent, c’est le poids de l’habitude qui fait choir la graine à proximité immédiate de ses parents. Dans son clan, là où l’on est sur de trouver le sol, le climat, qui conviennent à la lignée. La gravité terrestre et l’appel de la terre. Barochorie.

En Nouvelle-Calédonie, les arbres voyagent peu. Nous sommes au royaume du micro-endémisme, et de l’hyper cloisonnement des niches écologiques. Partir loin, c’est prendre le risque de se noyer, au sens propre, dans le vaste océan, ou de tomber dans un endroit impossible, au climat invivable, entouré d’espèces douteuses. Chaque vallée, chaque système de crête, possède donc ses espèces propres. Dans les hauts du Parc de la Rivière Bleue, un refuge nous accueille. Il s’appelle Refuge des Neocallitropsis, genre dont une espèce réside ici à demeure. Elle ne vit pas dans le bas de la vallée, pas en dehors de la vallée. Seulement là, en haut. Et depuis longtemps. Elle n’est pas considérée comme menacée, malgré son aire de répartition restreinte. Elle vit comme elle a toujours vécu. Pour l’Éternité ?

Pas sûr. Si les arbres ne bougent pas, les continents, eux, se déplacent. Et oui ! Mais la dérive des continents est lente. Au mieux, quelques centimètres par an. Mais pour les réfractaires, les allergiques aux transports, c’est un moyen efficace. Marginal ? Pas du tout. Il n’a fallu que 80 M d’années à la Nouvelle-Calédonie pour se désolidariser de l’Australie, et à peine moins à l’Inde pour parcourir les 6400 kilomètres qui la séparaient de l’Asie. Par ce moyen, ce n’est pas une seule espèce, mais des dizaines de milliers, qui font un merveilleux voyage.

Encore faut-il pouvoir attendre quelques dizaines de millions d’années. Quid des santés fragiles ? Des réfractaires, immangeables, intransportables ? Ceux qui, au bout du rouleau génétique, n’en ont plus pour longtemps ? Rien ne semble pouvoir égaler l’entêtement du Wollemia nobilis. Un asocial. Australien. Un sujet au très mauvais caractère. En 1994, au Wollemi National Park, un garde forestier découvre une sorte de pin, qu’il n’avait jamais vu. Et qui ne l’avait jamais vu, non plus. Et pour cause ! Ce pin n’était jamais sorti de son canyon. Il y vivait tranquille, bien adapté au microclimat de son petit chez soi. Il a fallu inventer un nom d’espèce, et un genre. Un club si select, qu’il est, entre ses falaises, seul rescapé de l’ère jurassique entre -201 et -145 millions d’années. Désormais, à côté des Araucarias et des Agathis, le genre Wollemia complète bien malgré lui la jolie famille des Araucariacées.

Rare, exotique, un brin archaïque ou vintage – si on compte en millions d’années, le Wollemia ne sert à rien, mais a des qualités décoratives. On le trouvera, bientôt, dans tous les jardins. Son avenir sera assuré par le plus grand disséminateur de la planète.

Joshua.

Araucaria bidwillii Hook. (bdtfx) par Michel Gaubert
Araucaria bidwilli, par Michel Gaubert, CC BY SA Tela Botanica

Germination

Devant ma fenêtre à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, il y a un baobab. Cherchez l’erreur. Et ce n’est pas un petit baobab de salon. C’est un seigneur, de 7 mètres de circonférence. L’arrivée des Européens s’est faite dans le milieu du XIXe siècle. Il n’est donc pas bien vieux. Mais déjà si grand, le petit ! Un marchand ou un militaire l’aura ramené dans ses malles, et planté dans son jardin. Je connais huit baobabs en Nouvelle-Calédonie, tous des Adansonia digitata, l’espèce africaine. Il se plaît bien ici. Il fleurit, donne des fruits. Des graines. Mais les graines ne germent pas.

Entre ma maison et celle du voisin, un palmier. Une triangulation rapide donne une taille de vingt mètres. L’avancée du toit a été découpée, et le tronc passe au travers. Quand on aime, on partage. Cet arbre du bassin Caraïbe, le Roystonea regia, est aujourd’hui partout. Il faut dire qu’il se reproduit. Même sur une terrasse, pour peu que les feuilles apportées par le vent restent en tas, et humide assez longtemps, on verra les petites dattes, tombées à terre, sortir feuilles et plantules.
Pourquoi le Roystonea regia germe-t-il, contrairement à l’Adansonia digitata, qui lui ne germe pas ?

Une fois arrivées au sol, les choses sérieuses commencent. Fini le thrill du voyage, la torpeur des croisières, le Road Movie cheveux au vent. Les graines doivent affronter la dure réalité terrestre, et, parfois, l’amère désillusion de l’exil.

Une grotte du désert de Judée. Dans une jarre, on a trouvé des dattes. Une sous-espèce du dattier, Phoenix dactylifera, aujourd’hui disparue. Plus de 2000 ans d’attente. Et, sur la centaine de noyaux, l’un d’entre eux a germé, poussé sa radicelle, donné sa première feuille. Son programme génétique est resté intact, et des conditions propices ont réveillé son système de lecture, lui qui était façonné pour le désert et la longue attente, patiente, de la pluie. Phoenix n’est-il pas, après tout, le nom de l’oiseau immortel qui renaît inlassablement de ses cendres ?

Patience est mère de Vertu, dit-on. Cela est vrai, ô combien, pour les graines. Germer trop tôt, germer mal à propos, c’est un risque. Imaginez. Des millions d’années de sélection génétique ont fabriqué une protection de première classe, un système robuste, une coque antichoc, antifongique, imputrescible, résistante à la chaleur, et j’en passe. Pourquoi se mettre en danger ? D’autant qu’à l’intérieur, le matériel est protégé lui aussi, dans un milieu stable. Pour des années. Une graine, donc, ne germe que si elle sait, avec une certitude élevée, que les conditions du moment sont optimum, et que de surcroît, ces conditions vont pouvoir se maintenir pendant un temps suffisamment long.

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Adansonia grandidieri et Nymphea stellata, par Christophe QUÉNEL, CC BY SA Tela Botanica

L’art divinatoire, cantonné entre la Météo du week-end et le programme télévision de la soirée, est une chose oubliée en Occident. Les horoscopes et autres devins ne font pas très sérieux. Cicéron rapporte dans son De divinatione que Caton l’Ancien s’étonnait qu’un haruspice n’éclatât pas de rire, lorsqu’il en croisait un autre au forum. Ils sont, au fond, si peu dupes de leurs artifices, qu’eux-mêmes ne peuvent refréner un petit air de connivence. Émettons, cependant, un bémol. Lire les signes, deviner, voilà ce que nous faisons tous les jours avec la plus parfaite bonne conscience. Les prémisses du mauvais temps, le soleil qui va se lever, l’expression de nos amis, conjoints, celle des enfants ou des inconnus, sont des interprétations.
Comme dans la mantique romaine, ou chinoise, et ni plus ni moins que dans la vie courante, l’art botanique de la découverte des choses cachées passe par la mise en jeu des éléments primordiaux. L’Eau, le Feu, l’Air, la Terre, le Vivant, que les Chinois appellent Bois.

Examinons.

L’Eau. Tout le monde le sait. Pour faire pousser, il faut arroser. L’eau va pénétrer au travers de la coque, et altérer la chimie interne de la graine, transformant les hormones qui inhibaient la germination et forçaient la machine cellulaire au repos. Le germe, dans la graine, déjà différencié en parties fonctionnelles, sort de sa dormance.

Le Feu. Sans chaleur, sans lumière, la machinerie enzymatique ne s’active pas. Le froid engourdit. La chaleur vivifie. Un coup de chaud particulièrement marqué, la fin d’une période de gel, une lumière accrue, sont les signes avant-coureurs des conditions futures qui vont se mettre en place.

L’Air. Les opérations biochimiques sont lancées. Des échanges, excrétion d’oxygène et accrétion de carbone, ont lieu. Un contact avec l’atmosphère est nécessaire. L’eau, certes il en faut, mais pas trop. Il ne faut pas être noyé. Il faut pouvoir respirer. Le mieux est donc une ambiance humide, poreuse et aérée.

La Terre.
Quel meilleur support que la terre ? Quel plus mauvais réceptacle pourtant, pour les graines. A l’état brut, elle n’est que roche, cailloux, poussière aride. Le cocooning de luxe, la nurserie Jet Set, c’est une culture qui s’acquiert au long court, par ajout quotidien d’une matière organique n’ayant que trop tendance à minéraliser.

Bois. Vivante Alchimie. Science d’avant la science, tâtonnement entre observations exactes et spéculations hasardeuses. N’en portons pas le grief au compte des graines, qui ne pensent pas, et n’ont pas usage de raison. L’art germinatoire est un art, archaïque, de la perception.

Eau
Feu
Air
Terre
Bois

Mélange mantique, combinaison de pouvoirs latents, révélateur de graines en dormance. Dans le monde des shorts de sport – taille 8 ans – et de tout ce qui participe à l‘aléa du grain jeté, ce Graal porte un nom : Humus.

Phoenix dactylifera L. (bdtfx) par Pierre Bonnet
Phoenix dactylifera, par Pierre Bonnet, CC BY SA Tela Botanica

Humus

Humus (n.m.) Pour un arbre.

Là d’où l’on vient. Là où l’on va. Matrice.

Il y a des termites à Nouméa. Dans la charpente de ma maison ? Non. Au Parc Forestier. Dans l’humus de la terre, ces petites bêtes ont construit des monticules, sonnant creux, qui servent à la régulation thermique. Les termites sont des as de la relation hétéro-spécifique durable, appelée symbiose. Grâce à des cultures de champignons, dans des chambres souterraines, la lignine et la cellulose du bois sont prédigérées. Il ne reste plus aux termites – et à leur très riche flore interne de bactéries – qu’à finir le travail. La conversion énergétique est remarquable, 95%, dont il ne restera que poussière et cendres, émanations gazeuses, aboutissement de la logique économique en mode maximum. Les termites comme les fourmis, nous ressemblent un peu. Elles ont, comme nous, des rôles sociaux déterminés au sein de la colonie, rôle qui s’inscrit par la transformation épigénétique – et donc biochimique et physique – des individus. En arrêtant son développement, l’individu devient Ouvrier ou Soldat. Grattez une termitière, un peu après la pluie, et vous verrez accourir quelques termites, mandibules en avant et corps blanc laiteux. Le travail de développement s’est arrêté au milieu, entre larve et individu. Il n’y a qu’un couple reproducteur, Roi et Reine, dans chaque termitière. Mais, qu’il y ait un problème, et un ouvrier du rang ou une servante continuera sa transformation. Comme dans les Contes pour Enfants, le Vaillant Petit Tailleur ou Cendrillon, il ira jusqu’au stade royal, épousera la Reine s’il est Roi, ou le Prince.

L’Humus est nécessaire à la vie. L’humus est habité par la vie. C’est un milieu chaud, humide, stable, protégé des excès du soleil – chaleur et ultra-violets – par une ombre tamisée. Et c’est un milieu d’une richesse biologique incroyable. On appelle ça un incubateur. Faisons une coupe verticale. Nous passerions d’un rocher stérile à l’espace aérien, en traversant une très mince couche d’humus, mais avec quelle richesse dans ces quelques centimètres ! Cette jungle écologique n’est comparable qu’à la densité bactériologique de nos intestins, ou à la panse des ruminants. Oui, l’intestin ou la panse sont une comparaison adéquate pour l’humus, chacun étant à sa façon un réacteur biologique optimisé. Les termites sont de redoutables émettrices de méthane. Chaque termite en produit un demi microgramme par jour, mais il y a tellement de termites. En forêt tropicale, elles consomment 6 à 7 tonnes de matière par an et par hectare, soit 50% du total, produisant 27 M de tonnes de méthane, et 10% du total mondial. Le réchauffement de la planète ? Ce n’est pas leur problème. L’humus est chaud, humide, stable. L’incubateur parfait, non seulement pour des millions d’acariens, nématodes, micro-arthropodes, bactéries ou champignons, mais aussi pour toutes les graines, petites ou grandes, du règne végétal.

Dès qu’une graine tombe dans l’humus, elle est soumise à une attaque en règle. Chaleur, humidité, champignons, ont bien vite fait de briser la résistance de la coque, d’inactiver les substances chimiques de la dormance. L’incubateur, par toute une série de moyens intrusifs, casse les résistances, et les belles endormies – les Belles au Bois Dormant – se mettent à dérouler leur programme, dans une frénésie d’activité cellulaire que seule la mort, un jour, arrêtera.

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Ipomoea imperati par Rudi HALBEHER, CC BY SA Tela Botanica

Les termites, ce n’est pas très spectaculaire. Sous terre, que se passe-t-il ? Comme en haut on le suppose, naissances, morts, guerres, destructions, travail. Les rêves en moins, peut-être. Je n’ai pas vu de termite sur le toit de sa termitière, à regarder les arbres et les étoiles. Jusqu’où imaginer le plus loin du regard ? Où est le plus petit, le plus grand ? Sommes-nous seuls ? Ce ne sont pas là questions de termites. Mais la question de savoir s’il faut se débrouiller seul ou pas, ça c’est une question de termite. Et les termites ont clairement donné une réponse, celle de la prédation systémique et du détournement massif de l’interrelation symbiotique à leur profit.

Résumons. Les lieux symbiotiques par excellence sont des lieux d’interface, chauds, humides, riches. Chambres d’incubation des colonies d’insectes sociaux, intestins, panses et humus. Tout cela est bien sombre me direz-vous, et un peu triste, voire désespérément trivial. Détrompez-vous. Il est possible de dépasser l’horizon borné des réacteurs biologiques. Car la graine, pour peu qu’elle soit une graine d’arbre, ne va pas en rester là. Rester au chaud, dans la chaleur humide de la matrice, c’est bien. Mais quelque chose manque. La lumière. Dans le réacteur biologique, chaud, humide, la seule source d’énergie vient d’une forme extérieure, feuille morte ou bois sec, qui n’est point source. Pour trouver l’énergie, il faut casser les molécules constituées. La source première, elle, est plus loin, plus loin que cette masse sombre au-dessus. Encore au-dessus, c’est la lumière. C’est vers elle que les arbres un jour ont décidé d’aller.

Héliotropisme, l’attirance pour le soleil. Seul le géotropisme, l’attirance pour la source terrestre, l’eau des failles profondes, est assez fort pour faire la balance. Vers le haut et vers le bas. Symétrie des branches et des racines. Dois-je l’avouer ? Je suis plus sensible aux feuilles qu’aux racines. Je ne suis point termite. En élevant leurs sommets, les arbres ont élevé leur sphère à des hauteurs qui nous ravissent, nous les humains. Ce que nous partageons avec l’arbre au dessus du sol, pour le meilleur et pour notre joie, c’est la lumière.

L’arbre s’est redressé. En allant vers la lumière, il a fait le bon choix, et, s’éloignant de la logique autodestructrice de l’humus, il jaillit désormais à la source inépuisable.

Canopée

J’aime les matins, lorsque la brume se lève sur la canopée. On peut entendre les oiseaux se réveiller, un par un, et entamer le Chorus Matinal. Il s’agit du chant de tous les oiseaux, qui s’activent et prennent leurs marques les uns avec les autres, histoire d’avoir, dans la tête, la position de chacun, l’humeur de chacun. Morning chat, revue de presse : on appellera cela comme on voudra. Mais il est clair qu’il y a là une forme d’organisation mélodique, de communication. Pourquoi le chant des oiseaux nous plaît-il ? Après tout, ces espèces ne nous ressemblent pas. Pourtant, elles sont assez justes. Comme ça, d’instinct, sans avoir fait le Conservatoire, elles savent. Qu’est-ce que l’instinct, d’ailleurs ? Ce mot ne devrait pas exister, il n’est là que pour recouvrir notre ignorance. Lorsque quelque chose se passe, dans le monde animal où humain, et que l’on ne sait pas d’où ça vient, on dit « C’est l’instinct ». Que les oiseaux chantent d’instinct – et juste de surcroît – soit. Mais que tous les oiseaux partagent cette qualité communicationnelle avec les humains, voilà qui est étonnant.

Hypothèse. Les oiseaux et les humains partagent ceci : ils élèvent la sphère symbiotique au-dessus du sol, au-dessus des matrices chaudes et fusionnelles des interfaces biologiques, pour atteindre une chose nouvelle et avant tout mentale, le chant. Les arbres et les oiseaux forment un réseau social de premier ordre, équivalent au notre dans la canopée, quoique beaucoup plus simple. On pourrait placer ici le chant des baleines, le chorus des loups, et d’autres activités encore. Aucune n’atteindrait pourtant le niveau mélodique des oiseaux, ni l’ampleur de leur réseau, sur les immenses forêts brumeuses des matins du monde. Hypothèse Canopée. Hypothèse séduisante. Élever les boucles rétroactives de la symbiose au-delà du simple biologique, c’est éviter la répétition abrutissante, et trouver dans le domaine de la communication, la possibilité du chant. Un jour, l’homme s’est redressé et s’est mis à chanter. L’arbre, lui, s’est élevé, accueillant les oiseaux.

Il y a longtemps, la terre était un immense océan. Parmi quelques îles, émergeait une masse imposante, un continent appelé Gondwana. Dans cet espace d’un seul tenant sont nés les arbres, avant la dérive des continents. Quel était le climat du Gondwana ? Quelles étaient ses zones climatiques ? Ses grandes familles végétales et animales ? Son relief ? Ses rivières ? Ses lacs ? Connaissez-vous le Dévonien (-420/-360M d’années) ?

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Canopée, par Louise Authier, CC BY SA Tela Botanica

Alors que le Silurien, qui le précède dans l’échelle des temps géologiques (-445M/-420M d’années) ne connaît que quelques rares mousses ou fougères, à peine plus hautes que le genou, le Dévonien voit évoluer certaines Filicophytes. Feuilles et racines font leur apparition. Arriver sur la lande Gondwanienne, au Silurien, c’est tomber dans un marécage fétide, où rien n’arrête la vue jusqu’à l’horizon. Les pieds dans la boue, on voit émerger des poissons à cartilage, les premiers poissons à écailles, des arthropodes, toute une faune grouillante… Pas vraiment le pied, la terre au Silurien ! Alors que débarquer au Dévonien, c’est tout à fait autre chose. C’est débarquer dans la forêt. L’espace a été conquis sur les tout premiers mètres, en hauteur. Surtout, arriver au Dévonien, c’est arriver dans un autre climat. L’air est beaucoup plus frais. Il y a beaucoup plus d’oxygène, un ciel plus bleu, un air plus froid. Voire très froid ! Le Dévonien voit se succéder plusieurs glaciations. En quelques dizaines de millions d’années, l’arrivée des arbres va bouleverser la chimie de l’atmosphère. L’explosion de la masse verte entraîne la baisse du carbone atmosphérique – le carbone est stocké par la matière végétale puis enfoui dans les couches sédimentaires – un accroissement de l’oxygène (Ha ! Le ciel bleu !) et la chute des températures. Des phénomènes d’anoxie des océans sont probables, à grande échelle, lors des périodes de déglaciation. Au final, le Dévonien verra disparaître 75% des espèces, et, surtout, 19% des familles.

Alors, l’homme ne serait-il pas le seul serial-killer agrippé à l’échelle des temps géologiques ? Comme dans une enquête policière, il convient de chercher à qui profite le crime. Les arbres se portent bien, merci pour eux… Arbre, mon frère, mon égal sous l’œil de Caïn ! Nous connaissions déjà la météorite, qui a provoqué l’extinction des dinosaures, il y a 65 millions d’années. Faudra-t-il mettre l’arbre au rang de ce dangereux malfaiteur ?

Depuis le Dévonien – avec une mention spéciale pour le très actif Carbonifère – la planète stocke du Carbone. Aujourd’hui, la planète déstocke. Nous retournons aux climats antérieurs humides et chauds, avec leurs calottes glaciaires réduites, leurs grands déserts intermédiaires. Lorsque nous en serons au Dévonien, juste avant le triste Silurien, prévenez-moi. Mars, paraît-il, est notre prochaine destination. Je tiens absolument à réserver un billet pour la Planète Rouge, avant qu’il ne soit trop tard. J’aurai n’en doutons pas, au fond des poches de ma combinaison spatiale, quelques graines de l’ère bio-géologique nouvelle. Certains lieux du Maquis Minier m’inspirent et je me sens déjà, à l’aube extra-terrestre, l’âme d’un semeur.

Croissance

Entre le 26 et le 28 août, je ne sais pas ce qui s’est passé, mais la porte s’en souvient. Au crayon à papier sur la peinture blanche, un trait, suivi d’une inscription : 1,66 A. Curieux ! Juste en dessous, 1,635 (ça c’est précis !) Sarah 28/08. Bon, c’est plus clair, Sarah s’est mesurée. Puis en dessous, encore un trait avec 1,52 Guilhem, 26/08. Puis plus bas encore un trait, mais sans nom cette fois, avec inscrit 1,21 – 26/08. Il n’a pas de nom celui-là, mais il est facile à reconnaître, c’est Joshua ! Quand au A, c’est Audrey. Ce qui s’est passé n’est pas difficile à deviner, Joshua a voulu qu’on le mesure, et puis tout le monde y est passé, entre le 26 et le 28 août ! Enfin, pas moi. Moi, j’ai arrêté ma croissance. Je suis grand, disent les enfants. Cette histoire offre quantité d’aspects ironiques, mais l’ironie que je retiendrais est celle du support choisi, une porte en bois, dont les nervures, malgré la double couche de peinture, sont encore bien visibles. Ces nervures sont les cernes de croissance de l’arbre. Avec un autre angle de coupe, il aurait été possible des compter les années. L’arbre chaque année grandit, et si rien ne l’arrête, comme par exemple la rencontre d’une tronçonneuse et un destin en porte de salle de bain, il continuera. C’est que s’élever, pour un arbre comme pour les enfants, c’est vital.

Quelque part entre le Silurien et le Dévonien – c’est pour ainsi dire le propre de l’arbre et sa définition – l’arbre s’est élevé. Ce qui nous paraît évident, l’arbre haut et solide, que l’on voit tous les jours, avec son tronc ses feuilles, ses racines, pourtant ne l’est pas. Au naturel, la matière organique est désespérément molle, flasque, ressemblant plus à une sorte de gélatine, qu’à la matière noble et élastique qui fait le frêne ou le tigre. Pour que la matière biologique soit tonique, dynamique, capable de se protéger. Pour résister aux coups, voire en porter, il faut plus que la mince paroi lipidique des cellules. Le corail ainsi que les mollusques ont leur exosquelette minéral. Les insectes et arthropodes, leur carapace de chitine. Les vertébrés et les plantes, à l’opposé, ont choisi de laisser le mou au dehors (avec quelques précautions tout de même) et le dur, appelé squelette interne ou endosquelette, à l’intérieur. Pour les vertébrés, ce seront les os de calcium. Pour les arbres, la lignine, armature interne particulièrement robuste, capable d’élever plus haut le système de captation de la lumière, et d’ancrer plus profond et plus solidement.

Ceiba pentandra (L.) Gaertn. (bdtxa) par Thomas Delhotal
Ceiba pentandra par Thomas Delhotal, CC BY SA Tela Botanica

Que savons-nous des mondes souterrains ? Rhizomes, tubercules, radicelles, nodules, bactéries, champignons, mycorhizes, les racines ondulantes au long des failles humides dans le secret de la roche, traversent le monde des sources. Pivotantes, radiantes, leur raison première est eau, leur seconde, ancrage. Prendre racine à la source, à toutes les sources, et en tout premier lieu à celle de la lumière, n’est-ce pas le secret de l’Arbre de Vie ?

Il est des grottes, telle celle de La Forestière et aux Loyautés, dont le plafond est troué de racines qui tombent à la verticale, sur plusieurs mètres, et avec une belle insistance. Leur obstination est récompensée, quelle que soit la distance.

Mort

Fleurs et fruits portent la vie, en un langage, symbolique, ambiguë, d’amour et de mort. La beauté n’est qu’instant. Beauté et leurre de la beauté, qui ne dit pas clairement son objet. Fanée à peine fécondée, la fleur donnera un fruit, et tous deux suivront, par des chemins semblables, un destin flétri et blet. Mythique Amborella, qu’as-tu donc fait ? En inventant la fleur, tu as paré la reproduction sexuée des charmes du sex-appeal, mais, que de déceptions. Cette montée est une chute. La mort. Ou la vie ?

Il est temps de parler de l’autre partie du cycle, celle qui descend.

Au bord d’une falaise, la rivière dévale en cascades, arrivant de haut, sautant parmi les rochers. Partout, et aussi en face de l’autre côté, des arbres. Patiemment, en opposition totale avec l’univers brut et minéral qui les entoure, les arbres font leur travail. Ils poussent vers le bas leurs racines, cherchant l’eau, et cherchent vers le haut la lumière. Le travail de la nature ? Ou un travail antinaturel ? Car cet effort n’est pas normal, au sens physique. La normalité au sens physique, c’est la gravité, la loi de l’univers, le poids, les masses, la force. La rivière qui descend en tumulte, selon une loi d’airain. L’arbre, organisé, patient, lutte. Repousse le ciel et la terre pour créer, faire exister dans l’entre-deux, un espace. Espace clair, frais, oxygéné et lumineux, entre humus et canopée, dont nous les humains sommes redevables.

Être vivant est une chose rare. Une rébellion de l’Intelligence contre l’ordre immuable des Sphères Célestes et l’automaticité des lois de l’univers.

Un homme est allongé dans l’herbe, sur le dos. Le ciel est bleu. Nous sommes en Provence. Il tient une palette de couleurs d’une main, un pinceau de l’autre. Il peint. La toile est installée de telle façon que la surface croise son regard, lorsqu’il se détourne d’une branche, entre lui et le ciel. Cet homme, c’est Van Gogh. Son tableau, une Branche de Cerisier en Fleurs, sur fond bleu, d’une beauté troublante. Le moment. Celui d’une naissance. Celle du fils de Théo, son frère. La main du Créateur, aérienne et active entre ciel et terre, a œuvré.

Laetiporus sulphureus (Bull.) Murrill par Hervé B
Laetiporus sulphureus, par Hervé B., CC BY SA Tela Botanica

Pourquoi dès lors ce sentiment de chute, d’aspiration en arrière-fond ?
Van Gogh est coutumier du fait. Ses ciels, de nuit comme de jour, sont présents jusqu’au malaise. Et rien ne vient durablement s’interposer là contre, ni église à Auvers sur Oise, ni lumières dans les cafés, ni repos, ni étoiles, ni amour. Ou fleurs. Pourquoi, comment comprendre ?

Entrons dans le vertige. S’il est un Homme, il le faut.

Comme Van Gogh, suivons la lumière, suivons là jusqu’au vertige, jusqu’à la plus extrême vitesse, celle du photon, un photon de fréquence 6,62 x 10-19 Hz. Un photon bleu. Il nous mène à l’abolition du temps. A l’Éternité. La vitesse de la lumière correspond au maximum de l’univers, là où le temps s’arrête, entre le Rien et le Quelque Chose. Nous, qui sommes là avec nos tableaux, nos peintures, pinceaux, branches de cerisier, nous sommes dans le Quelque Chose, denses, révélés. Dans le Mouvement. Le pinceau va et vient. Il va de la palette au tableau, touche par touche. La branche s’agite, au gré du vent. L’œil scrute, tourne, revient. Une paupière s’abaisse, se relève. La vie. Mais Van Gogh lui, s’arrête. Il laisse son pinceau en suspens, et son œil fixe un point, sur la toile. Il le regarde, intensément. Comme Zénon suivant sa flèche, il en cherche le minimum, de plus en plus petit, longtemps, très longtemps. Tout à coup, il relève un sourcil. Cette recherche n’a pas de sens. Le temps, le mouvement, l’espace, s’arrêtent là et se figent, au bout de ce chemin qui continue, continue, continue… vers le Rien infini ? Il vient de recevoir une bonne nouvelle. Son frère Théo, a eu un fils. Il peint pour lui. Alors, son pinceau reprend sa course, et tire du temps qui passe une touche de mauve. Pour qu’au lieu du Rien infini, il y ait Quelque Chose, une touche de peinture, le Coffre Magique de l’univers. Matière, Cella du Dieu Caché, deus absconditus.

La même hormone végétale, l’abscissine, provoque la dormance pour la graine et la chute pour les feuilles. Abscissine assassine, pourvoyeuse de l’arrêt du développement pour le germe, et de la mort des feuilles par séparation de la branche, phénomène nommé abscission. Être allongé dans l’herbe, homme ou feuille sous le bleu du ciel, comme Van Gogh, comme le Prince André après la bataille de la Moskova, c’est à la fois mourir et rêver dans un entre-deux qui nous concerne tous – Ambivalence essentielle du sommeil et de la mort, par arrêt du mouvement.

Résurrection

La nouvelle est dans tous les journaux. Dans un sol martien, à l’université de Wageningen aux Pays-Bas, on vient de cultiver des tomates, des pois chiches, des haricots, et beaucoup d’autres choses. Cette nouvelle est-elle aussi importante que l’arrivée d’un Rover sur Mars ? A voir la couverture des médias, on pourrait le penser. C’est que, voici un événement qui dépasse la simple dépose d’un Rover sur un objet stellaire. Quelque chose d’humain.

Un grain de haricot a germé.

Comment ne pas se sentir concerné ? Le Temps nous dévore, comme Chronos ses enfants, mais la vie sort vainqueur de l’épreuve de la transformation, et du temps – du moins aime-t-on le penser. Le grain de haricot : défi aux Lois. Ce qui explique si bien la fascination des grands, et des petits. Jack monte vers le Château de l’Ogre, là-haut dans les nuages, le long d’une tige de haricot magique, et en revient avec l’Oie aux Œufs d’Or. Lointain cousin du Songe de Jacob, le défi angoissé aux forces du monde a besoin d’une force protectrice.
Arbre. Évidence humaine, catégorie incertaine. Il groupe tant de familles végétales. La projection anthropomorphe est une évidence. Le caractère sexué, la longévité, le bois qui tient debout, la double ramification aérienne et souterraine, et la taille, l’élévation. Le double ancrage symétrique portant fruits et graines autour d’un pilier central : métaphore des alliances claniques et de la redistribution. L’arbre jaillit aux sources élevées, aux sources profondes. Il n’a qu’un habit de science.

Cucurbitaceae (bdtfx) par Charlotte ROIGT
Cucurbitaceae , par Charlotte ROIGT, CC BY SA Tela Botanica

Ce qu’est l’arbre – ou ce qu’il a été dans un passé lointain de notre patrimoine linguistique – cela s’entend, et, pour moi, cela vaut preuve.

Arbre, en effet. Le mot n’est que sonorités rugueuses, âpres, saillantes, pleines d’aspérités. Arbre. Pourquoi ce mot, pourquoi l’avoir gardé, pourquoi continuer à l’aimer ? Arbre, mot tactile, que l’on sent rugueux sous les doigts comme sous la langue. Le redoublement du « r » lui donne un caractère préhensile, manipulable, réversible. Arbre. Choc et ressac, chemin de racines, fouaillement de la terre, élargissement, jaillissement aux sources célestes de l’Eternité. Le mot n’est pas technique. C’est un mot d’homme, poli par l’usage de la langue tel un galet, et laissé, pourtant, tel que nous le connaissons, complexe, saillant. Vrai. Et s‘il faut aujourd’hui – comme de tout temps – un totem auquel attacher nos vertus, pour moi, ce sera celui-là.

Arbre de Vie – arbre symbole – entre Ciel et Terre, dont il suce les sucs. En sortant de la dormance, la graine pousse ses ramifications antipodiques. Ici ou ailleurs, sur terre ou sur mars – un jour peut-être – le vivant est, et sera, résurrection.

En attendant

Le linge est propre ! Séché, plié, rangé. Une bonne chose de faite. Tout à l’heure, en sortant de l’école, Joshua a voulu « faire une aventure ». Bonne idée, me suis-je dit. Cela me changera de mon carnet de note et de mes crayons.

Une aventure, pour lui comme pour tout le monde je pense, c’est abandonner la routine, faire quelque chose de nouveau, d’inattendu. Le parc du Receiving est particulièrement beau à cette heure, sous la lumière, et ce fut son choix. Mais pas pour la beauté du lieu. Pourtant, sur la partie haute, on voit les koghis et le Mont Dore, en habits du soir, leurs sommets disparaissant sous une couche de nuages éclairés de couleurs vives… Il avait bien une petite idée, Joshua. Il voulait voir des grenouilles. Il n’y avait pas de grenouilles en Calédonie, avant l’arrivée des humains, au temps du Sylviornis et des crocodiles terrestres – et bien longtemps encore après leur arrivée. Ce sont les américains qui les ont apportées, par mégarde, venues d’Australie pendant la Seconde Guerre Mondiale. Dans une mare asséchée dix mois sur douze, en plein milieu d’un terrain vague devenu Parc depuis quelques années, elles ont trouvé un milieu qui leur convient. Que font-elles les dix autres mois, lorsque la mare est à sec ? La dernière fois, il y avait des grenouilles. Nous n’avons vu cette fois que de gros têtards bruns et vifs.

« Si nous allions aux jeux ? » En fait de jeux, un parcours d’escalade nous attendait. Pour 500 Fcfp, il nous était encore possible, avant la fermeture, de faire un tour du circuit, ou trois essais. Contrairement à ce que je pensais, Joshua se laissa tenter. Il mit son baudrier avec sérieux, puis, monta les escaliers jusqu’à la plateforme, et toujours avec application, inséra le mousqueton dans le rail de sécurité, puis avança pas à pas sur la corde, les hamacs, les ponts suspendus. Puis au milieu du parcours, il s’est arrêté. Il est revenu en arrière, toujours avec application. Nous avons discuté un peu avec le gars du parcours. « Pour escalader, il faut sentir les choses ». Il ne faut pas insister, si on ne les sent pas.

C’est ainsi. Nous n’avons pas le choix. Nous sommes des êtres tactiles. Nos terminaisons sensibles poussent plus loin que nos terminaisons mentales et dans la balance des situations à risque, le cerveau joue les coupe-circuits. Il pare au plus pressé. On ne philosophe point sur une planche au dessus du vide, et là-même où la raison nous égare, le sentiment doux et tiède trace encore le chemin, comme le ferait une racine assurée de trouver la source, nous découvrant toute la gravité du bonheur.

Barringtonia asiatica (L.) Kurz (bdtxa) par Liliane Roubaudi
Barringtonia asiatica, par Liliane Roubaudi, CC BY SA Tela Botanica

Quelques mots de l'auteure

Julie Sansy écrit depuis quelques années. Elle réside depuis 10 ans en Nouvelle-Calédonie.

« Je travaille sur plusieurs projets en parallèle, à des stades différents d’aboutissement. C’est pour moi une méthode à caractère vital, qui permet de mieux maîtriser les obsessions nécessaires à l’écriture. »

« Depuis début mars, je transfère petit à petit mes poésies, nouvelles et romans sur les plateformes de partage. Wattpad pour le roman jeunesse et adolescent, Atramenta pour la poésie et les nouvelles, et Scribay pour les romans. C’est un premier pas, une façon de rencontrer le lecteur, et voir si l’on a des choses à se dire ! »

« J’écris spontanément des choses assez variées, tous les genres sont acceptables, et ne prédisent en rien la qualité du contenu. On peut faire des choses intéressantes dans le roman d’introspection, la fantasy, la science-fiction, la bluette pour adolescents, qui ne sont pas mes styles ! »

« Il n’y a pas d’écriture sans affinité forte avec son sujet. »

« Arbre est une nouvelle à laquelle je tiens. Une des premières, en fait, avant le passage vers le roman. »

« J’espère qu’elle sera appréciée par les lecteurs du réseau de Tela Botanica »

Quelques mots sur l'article

L’article fait suite à l’appel à contribution pour écrire des articles sur les arbres, qui est maintenant terminé. Toutefois, si le thème vous intéresse, n’hésitez pas à publier vos articles à ce lien ou sur le forum du projet Auprès de mon arbre, qui regroupe plusieurs observatoires citoyens sur le thème de l’arbre ! A très vite !

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