Visite guidée du jardin des plantes de Montpellier

Voici une petite visite virtuelle, à travers l’espace et le temps, l’être et le savoir, des allées de notre vieux jardin. Suivez-moi bien, ne vous perdez pas trop vite.

Où sommes-nous ? Vous pourriez poser la question à ce chat (Felis silvestris catus), en fait une chatte de mes amies qui se pourlèche sur le muret, ou à ce gendarme (Pyrrhocoris apterus), punaise rouge au masque tribal, ou même si vous avez du courage à ce héron cendré (Ardea cinerea) qui vous toise tout en haut du grand cèdre (Cedrus Atlantica), ils vous répondraient tous la même chose : « vous êtes dans l’univers, et vous êtes chez moi ». Oui, l’univers, un lieu fait de beaucoup d’espace et de beaucoup de temps. Oui, c’est bien cela, vous répondrais-je moi aussi, car je ne suis pas plus bête qu’un gendarme, même si je vole plus bas qu’un héron. Je ne suis qu’un petit homme (Homo sapiens), même si je ne sais pas grand-chose, mais je sais au moins cela. Ah oui, j’oubliais, je suis aussi un petit jardinier, alors vous êtes aussi un petit peu chez moi. Ce jardin bien sûr ne m’appartient pas, mais nous nous connaissons, lui et moi, et il m’appartient de vous le donner, à voir, et peut-être un peu à aimer. Vous venez ?

Felis silvestris catus
Felis silvestris catus par Denis Nespoulous
Pyrrhocoris apterus
Pyrrhocoris apterus par Denis Nespoulous
Ardea cinerea et Cedrus Atlantica
Ardea cinerea et Cedrus Atlantica par Denis Nespoulous

Oui, ici vous trouverez beaucoup d’espace, même si mon jardin n’est pas bien grand, mais si vous leviez les yeux, vous comprendriez. Et si, vraiment, vous les ouvriez… Mon jardin est fait aussi de beaucoup de temps, et de cela je suis sûr vous en conviendrez. Regardez par exemple ce vieil arbre, un filaire (Phillyrea latifolia), avec son tronc crevassé qui accueillait naguère les mots doux des amoureux, aujourd’hui les vœux des enfants, petits et grands. Si vous lui demandez « quel âge as-tu ? », il vous répondra « j’ai plus de 400 ans », car pour lui les poussières ne comptent pas. Alors nous nous sentirons tout petits, même si lui-même n’est pas bien grand, bien moins que les cyprès de l’allée en face de nous, des petits jeunes de 60 ans.

 

Phillyrea latifolia
Phillyrea latifolia par Denis Nespoulous

À cet emplacement était l’ancien jardin médical, créé par Pierre Richer de Belleval, du temps d’un certain roi Henri IV. Oui, car ce lieu séculaire vit le jour pour offrir aux futurs docteurs de la plus vieille encore faculté de médecine de Montpellier un lieu d’étude, où pour eux étaient présentées et estampillées les plantes qui en fait sont les vrais médecins, et qu’ils devaient apprendre à connaître, pour devenir de bons petits savants. Depuis quatre siècles, la science a beaucoup évolué, mais les plantes sont toujours les mêmes, et comme le vieux filaire, ou ce vieil arbre de Judée (Cercis siliquastrum), vraiment les mêmes. Quant à moi, qui viens de naître, je travaille, depuis quelques instants, sur la « Montagne » de monsieur Richer, qui avait beaucoup d’humour ! Car la montagne (monticulus) en question ne fait que quelques mètres, de large et encore moins de haut, mais quel monument, historique, et scientifique… Car son créateur, qui créa, puis recréa après le siège qui le mit à sac, en quelques années ce jardin extraordinaire était lui-même un savant peu ordinaire. En précurseur de l’écologie, il présenta sur les deux flancs de sa montagne les plantes de soleil et les plantes d’ombre. Nous aussi, aujourd’hui, après avoir tout coupé en morceaux, nous pensons un peu, de nouveau, que l’environnement est une affaire de milieux. Vous trouverez ici une représentation des  plantes méditerranéennes, à qui la chaleur ne fait pas froid aux yeux. N’hésitez pas à venir nous voir, monsieur Filaire, dame Minette et moi, ne manquerons pas de vous les présenter.

Au XVIIe siècle, le jardin médical fut déplacé dans l’école de botanique, où les petites plantes serrées en rang d’oignons (toutes, même les oignons) épousent docilement, avec beaucoup d’indulgence, les valses-hésitations du savoir des hommes. Nommer, c’est posséder, croient-ils naïvement, alors partout fleurissent les noms avides de saisir le vivant. Bienvenue dans le « jardin d’épithètes », cher à Paul Valéry, qui reste d’une beauté sans nom, les poètes, qui ne s’y trompent pas, y auront toujours le dernier mot. Revenons dans les carrés du savoir presque trop bien tracé. La vieille Orangerie, en fait beaucoup plus récente, elle ne date « que » de la Révolution, vient d’être restaurée. Notre jardin a connu beaucoup de vicissitudes, les fameux outrages du temps, et l’incurie des hommes, sans parler de leurs canons, mais ne vous en offusquez pas, vous qui passez, le vieux jardin rigole dans sa barbe verte, maintes fois agenouillé, il a chaque fois relevé sa superbe, dès que les petits hommes le lui ont gentiment, et superbement demandé. Écoutez… Le temps ici est ce fleuve calme, que ne perturbent guère, nos clapotis.

J’espère que je ne vous embête pas, avec mes considérations temporelles, car tout ceci nous ne le voyons pas, seulement au travers de ce musée imaginaire, que nous appelons la mémoire des hommes. Car vous êtes venus visiter l’univers, et l’espace vous attend. Continuons notre promenade. Avec le sud du jardin, ponctué d’essences exotiques, se poursuit notre balade historique, dans ce que nous appelons le « premier jardin ». Près de l’ancienne noria, où des générations d’ânes à quatre pattes (Equus asinus) puisèrent l’or vrai qui préside au destin de toute vie, des arcades rappellent les premiers bâtiments où Richer enseignait la « science aimable », en expliquant les « simples », cela ne devait pas être bien compliqué. Devant vous, aux abords de l’école de botanique, ne manquons pas de saluer le vénérable arbre aux quarante écus (Ginkgo biloba), peut-être le plus vieil arbre de la terre car sa lignée vit naître les dinosaures, mais ne le traitez pas de vieux fossile, car avec raison il se vexerait, lui qui sut évoluer sans périr à travers la nuit des temps.

Au XIXe siècle, par l’achat de deux nouvelles parcelles, le Jardin vit sa superficie doubler. Bienvenue dans le « second jardin », même s’il n’y en a toujours qu’un seul ! À la place de l’école forestière mise en place par De Candolle se dressent aujourd’hui de grands arbres, car la nature croît, et impose ses vues vers le ciel à nos plates-bandes savantes, mais terre-à-terre. Ici, seule la lumière commande. Au fil des allées, vous croiserez de grands seigneurs, aux allures un peu étranges, comme ce chêne déguisé en châtaignier (Quercus castaneifolia), des cyprès si rares, d’autres arbres beaucoup moins, comme ce majestueux micocoulier (Celtis australis), mais toujours remarquables, si vous les regardez bien, comme ils vous regardent, lentement, comme on s’élève. Nous voici sur la parcelle acquise par Charles Martins, dont la serre éponyme au fond du jardin abrite des plantes ô combien succulentes ! Après la bambouseraie et sa forêt de mikados géants, se dévoile le jardin anglais, espace ouvert au plaisir de flâner, avec son grand bassin où les lotus du Nil (Nelumbo nucifera) côtoient les nénuphars et le bonheur, parfois un peu sonore, du petit peuple des eaux ! Après les banquettes aromatiques, les rocailles, et mille recoins cachés pour être trouvés où fleurs, et couleurs, rivalisent de leurs avalanches, se dressent l’Institut de botanique et le vieil Herbier, comme pour rappeler que la science est aussi une affaire sérieuse. Encore une halte, près de l’oranger des Osages (Maclura pomifera), en fait une sorte de mûrier. Attention à la chute de ses fruits, si lourds que nous pourrions tomber dans les pommes (Malus pumila) ! Voilà, notre promenade touche à sa fin, moi le devoir m’appelle, je dois me faire la belle, quitte à me prendre un râteau. Je vous laisse ici, au milieu de l’uni-vert. Bien sûr, n’hésitez pas à continuer sans moi, car vous êtes chez vous !

Denis Nespoulous

Article issu de l’Echo des Ecolos. Pour consulter tous les articles, rendez-vous sur leur site.

 

7 commentaires

  1. J’adore ce jardin, riche de cette variété que vous mentionnez, et un peu désordre en apparence, de ce désordre et de cette variété d’ambiances qui prêtent plus à la rêverie qu’à la science botanique. Les plantes qui s’échappent des plate-bandes, les arbres qui prospèrent en aillant oublié les alignements qui, peut-être, ont présidé à leur établissement, tout cela donne un air de liberté. Effectivement ces espèces paraissent chez elles, à l’abri des murs et respectées des promeneurs qui, eux ne sont qu’en visite.
    Bravo pour cette visite guidée qui donne envie d’y retourner.

    1. La botanique n’est qu’un outil, au service de la liberté de rêver, et de connaître. La robe des temps présents est un peu en désordre, mais l’âme du vieux jardin, elle, est bien gardée. Merci pour votre juste lecture, sensible, du lieu et des mots qui le prêtent, un peu, à voir. Au plaisir de vous y rencontrer, nous sommes faciles à trouver !

  2. Bonjour,
    je suis très étonnée du manque d’information dont vous disposez et je suis prête si vous le désirez à combler ce manque.
    Le dix-huitième siècle a vu pas mal de choses et vous le sautez à pieds joints. Dommage!

    1. Vous savez, les chats et les arbres ont une interprétation très libre de l’histoire…
      Ceci est une petite balade poétique (vécue de l’intérieur), rien de plus, ni de moins.
      La période que vous évoquez (hier), c’est justement ce que la « Montagne » enjambe… à pieds bien écartés donc, entre avant-hier et aujourd’hui. Rendez-lui visite, Elle vous expliquera !

  3. Pour ma part j’en connais si peu sur le jardin que je vous remercie pour cette très belle visite . J’adore ce jardin et je m’y sens bien. Après ce qui s’est passé avant est certes important, mais là sérénité que je ressens lorsque je m’y promène l’est tout autant, surtout à notre époque.

    1. Vous avez raison, il n’est pas besoin de savoir, pour ressentir. L’âme du lieu a une épaisseur temporelle, mais elle ne saille que dans l’instant présent. Ces petits repères, parmi tant d’autres, sont des clapotis. Juste là, avant qu’on les oublie, pour nous rappeler, que la vie coule. Lentement, sereinement. Oui, ce ressenti !

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