Tetrameles nudiflora, le dévoreur de temples

Dans le dessin animé Le Livre de la Jungle, le domaine du roi Louie, l’orang-outang roi d’une bande de singes, est un ancien temple en ruines, partiellement envahi par les racines d’un arbre qui semblent avoir coulé sur les pierres… Nous vous proposons ci-dessous d’identifier cet arbre.

Qui a visité les temples d’Angkor, notamment le temple du Ta Prohm, a certainement conservé le souvenir du spectacle peu commun de murailles ou de tours qui semblent ne tenir que grâce à un entrelacs de racines blanches, de diamètre respectable, qui semblent être le pendant végétal de l’un des trois bries d’Émile Zola, dans Le Ventre de Paris. Jugez plutôt : « Le troisième [brie]… coulait, se vidait d’une crème blanche, étalée en lac, ravageant les minces planchettes, à l’aide desquelles on avait vainement essayé de le contenir. »

Au Ta Prohm, le spectacle d’une lourde racine enserrant une portion du temple est si prisé des touristes que l’Autorité Apsara, l’organisme gouvernemental qui contrôle l’ensemble du parc archéologique d’Angkor, a fait installer devant une racine gigantesque une plate-forme proprette sur laquelle peuvent se jucher les touristes pour se faire photographier et immortaliser ainsi la scène …

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Tetrameles nuduflora recouvrant l’extrémité d’une galerie du temple du Ta Prohm, Angkor, Siemreap - Photo par Pascal Médeville

Les végétaux qui ont envahi les temples khmers, laissés à l’abandon pendant plusieurs siècles, et qui ont donné tant de mal aux restaurateurs de l’École Française d’Extrême-Orient, sont nombreux, mais celui qui produit l’effet le plus sensationnel est connu en khmer sous le nom de « spong » (ស្ពង់).

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Tour envahie par la végétation, complexe de Koh Ker, province de Preah Vihear - Photo par Pascal Médeville

Le « spong » porte le nom binomial de Tetrameles nudiflora (syn. T. grahamania, T. horsefieldii). C’est la seule espèce du genre Tetrameles. Il est présent en Asie orientale : Inde, Népal, Bhoutan, Myanmar, Thaïlande, Cambodge, Laos, Vietnam, Malaisie, Indonésie et, en Chine, dans la province du Yunnan. En français, il est appelé « faux fromager ».

Il s’agit d’un grand arbre, qui atteint facilement une hauteur de 10 à 30 mètres. Il se caractérise par des contreforts qui peuvent mesurer jusqu’à 4 mètre de haut, voire plus. Son long tronc est nu, les branches se forment à proximité de sa cime. Il s’agit d’une espèce dioïque. Il dispose d’un système racinaire superficiel mais étendu. A Angkor, les racines du spong viennent souvent disjoindre et soulever les plaques de grès qui forment les étendues dallées que l’on trouve souvent à l’entrée des temples.

La page que le site Useful Tropical Plants consacre à cette espèce, compilant diverses sources, explique que le bois de T. nudiflora est de qualité inférieure et qu’il sert à édifier des constructions provisoires, et à confectionner des caisses de bois légères. Dans son tronc, on taille également des canoés. Pauline Dy Phon, dans son Dictionnaire des plantes utilisées au Cambodge (pp. 601-602) ajoute que ce bois, spongieux, très léger, est utilisé pour fabriquer des allumettes et des flotteurs pour radeaux de bois. Quant à la Flore de la République Populaire de Chine, elle indique que, dans la province du Yunnan, les contreforts du faux fromager sont parfois utilisés pour confectionner des roues de charrettes, qui s’avèrent cependant peu résistantes.

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Base d’un faux fromager - Photo : Wikipedia

Pauline Dy Phon explique enfin que, « en pharmacopée khmère, les infusions de jeunes plants pourvus de quelques feuilles sont ordonnées en cas de convulsions. Les écorces entrent dans la préparation de remèdes contre les maladies du foie et les rhumatismes. »

P.S. : Une anecdote à propos du Ta Prohm : dans un cartouche que l’on trouve dans l’un des angle de l’une des tours du temple, un bas-relief maladroit représente un buffle, la tête penchée vers le bas, avec en arrière-plan quelques grandes feuilles. On dirait à s’y méprendre l’image d’un stégosaure. Quelques créationnistes, en mal d’éléments à l’appui de leur doctrine, ont d’ailleurs cru y voir la preuve que les dinosaures avaient été contemporains des Khmers d’Angkor. Voici ledit « stégosaure » :

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Photo par Pascal Médeville

9 commentaires

  1. Surpenant végétal en effet, très spectaculaire. Merci à Tela botanica d’aborder ce genre de sujet.

    Maintenant, une question au rédacteur : quelle est la famille de cet arbre ? Il fait penser aux banians, donc à des Moracées. Est-ce cela ?

    1. Non, c’est plutôt la famille des Tetramelaceae avec seulement deux éspèces, dans l’ordre des Cucurbitales, alors proche à la famille des courges.

    1. A ce stade, il faut donner des sources primaires. J’ai celle-ci : Schaefer, H. & Renner, S. S., 2011. Phylogenetic relationships in the order Cucurbitales and a new classification of the gourd family (Cucurbitaceae). Taxon, 60: 122–138.
      Selon cet article, Tetramelaceae est distingué de Datiscaceae. Si on devait les réunir, il faudrait y inclure les Begoniaceae !

      Cela dit, j’ai regardé les illustrations sur Wikimedia Commons. Elles sont très nombreuses sur les racines, mais je n’ai trouvé qu’une illustration de feuille et une de fleurs !

  2. Merci de nous faire découvrir d’un seul coup, par une description vivante, une espèce, un genre et une famille, même si la science taxonomique n’est pas bien au clair sur cette dernière, semble-t-il. N’ayant pas poussé mes visites d’arboreta méridionaux au-delà de Palerme, Rabat, Funchal et Lisbonne, j’en était resté en effet à l’idée confortable que ces arbres qui coulent comme de vieux calendos étaient des banyans ou quelque Ficus asiatique.

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