Pas si folles, les sauvages !

Dans le cadre de notre appel à rédaction d’articles sur le thème des herbes folles, Dénis Kayser nous propose de suivre ses explorations en quête d’observations à transmettre à l’Observatoire des Messicoles de 2019 à 2021.

Pas si folles, les sauvages !

7 juin 2019

En cet après-midi du 07 juin 2019, j’explore le bord des champs proches de mon domicile, en quête d’observations à transmettre à l’Observatoire des Messicoles (ODM). L’exercice est agréable. Mon chemin, ancienne voie romaine, file droit vers le sud. A ma droite, le vignoble encadre la Route des Vins de ses parcelles géométriques, et plus loin, les collines vosgiennes avec leur couvert forestier tracent un horizon sinueux.

À ma gauche une pente douce conduit à la plaine d’Alsace centrale, mosaïque de champs, de prés et de forêts alluviales où courent les eaux limpides des résurgences de la nappe phréatique.
Autour de moi il y a des champs de maïs en herbe, des champs de blé, de colza, un peu de soja et des champs de betteraves. Leurs bords sont fleuris d’un modeste cortège de coquelicots, de bleuets, de matricaires et de pensées. Ces messicoles sont assez répandues ici. Avec elles se presse une foule de « mauvaises herbes »: véroniques, géraniums, graminées au stade de plantules, bourses-à-pasteur, mercuriales, orties dioïques, séneçons, plantains, prêles, gaillets, fumeterres, liserons etc. Belle diversité!

Membre récent de l’ODM, je découvre un nouveau champ d’intérêt. J’apprends et je me pose de nombreuses questions. Qu’attend-on exactement de moi à l’ODM? Quelle échelle intéresse les chercheurs: la commune ou les mailles de 100 km²? Comment évaluer la taille d’une population florale dans un champ? Où porter mes pas? À quelle périodicité faut-il revenir observer les mêmes parcelles? Devrais-je focaliser mon attention sur les messicoles menacées telles les dauphinelles ou les anthémis? Me voici à la fois enthousiasmé par le sujet et désemparé.

Heureusement la chance sourit au débutant. Tandis que je chemine, j’aperçois une vaste tache d’un rouge lumineux qui me distrait de ma rêverie. Je découvre là un grand champ de blé submergé de coquelicots et ourlé de matricaires. C’est chose rare par ici.

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Photo par Dénis Kayser CC BY-SA

L’image est saisissante de beauté, très graphique, vectrice d’émotions. Elle évoque immanquablement la peinture de Claude Monet, l’âge heureux où les champs étaient fleuris et bourdonnaient au soleil. Ce champ magnifique satisfait un fantasme de belle campagne. N’est-il pas la preuve que moins d’herbicides ont été répandus et que les attentes des citoyens sont entendues? Peut-être. « Nous voulons des coquelicots », eh bien en voilà tant et plus. Ce beau champ rouge et vert éblouit et rassure.

Tandis que je prends quelques photos, je me dis qu’il n’est pas certain que mon plaisir soit partagé par l’agriculteur propriétaire de ce champ. Il considère probablement cette surabondance de coquelicots comme un événement fâcheux. C’est tout à fait compréhensible. Là où je vois de la beauté et un progrès, sans doute réfléchit-il en termes de nuisance, de perte de rendement, de difficulté à moissonner, de présence d’impuretés dans la récolte, de moyens de lutte contre les adventices. À moins que? Je verrai bien ce qu’il en sera.

16 octobre 2020

En raison d’une crise fameuse, je ne reviens visiter le champ que seize mois plus tard. Il est planté de maïs. Il n’y a pas de coquelicots. Et moins de plaisir, forcément.

Au bord du champ et dans les délaissées je note la présence de bourses à pasteur, de grand plantain en rosettes, de matricaires, de séneçon vulgaire. Il y a aussi du millet commun. J’ai déniché une unique pensée des champs! Quel désenchantement.  Un système de pompage d’eau de la nappe phréatique a été installé. On peut craindre que ce champ ne soit définitivement dévolu à la culture du maïs.

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Photo par Dénis Kayser CC BY-SA

22 août 2021

Cette année encore le champ est occupé par du maïs. Je l’ai visité plusieurs fois durant le printemps. Jusqu’au mois de juillet, rien ne poussait, ou presque, entre les pieds de maïs: un désert! C’est ce que les agriculteurs appellent un champ propre.

Aujourd’hui que l’automne approche, les adventices à germination estivale sont bien présentes. Le liseron des champs et la petite vrillée grimpent le long des tiges de maïs. Autour de la prise d’eau des abeilles butinent la mercuriale annuelle, cachées par la troupe des sétaires glauques, des panics faux millet et des vergerettes du Canada. Quelques jeunes plants de morelle noire fleurissent déjà.

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Photo par Dénis Kayser CC BY-SA

Le bord du champ a été décapé récemment. On y voit quand même quelques crises des champs, quelques camomilles sauvages, du chénopode blanc, des galinsogas, des sétaires glauques et des digitaires glabres. A raz du sol battu par la pluie, la renouée des oiseaux prospère. Hélas il n’y a aucune plante messicole dans cette liste. Ce champ, si admirable il y a peu, est redevenu tout ce qu’il y a d’ordinaire.

Dans les profondeurs de son sol se trouve heureusement un stock de graines de coquelicots qui attend des conditions favorables pour germer, à savoir l’automne. La durée de vie de ces semences est de 6 à 8 ans. On peut donc espérer que le grand spectacle de 2019 se reproduise un jour. C’est sans compter sur la science de l’agriculteur, épaulé par la puissante industrie chimique et celle des engins agricoles.

Mais les plantes ont aussi leurs ruses. Ainsi dans cette parcelle où poussent trois céréales, le maïs (Zea maïs), le panic faux millet (Panic miliaceum) et le millet des oiseaux (Setaria glaucum) seule la dernière arrivée en Europe, le maïs, jouit aujourd’hui des faveurs du monde agricole. Les deux autres sont rabaissées au rang d’adventices, donc indésirables, alors qu’au temps lointain du néolithique les hommes les ont domestiquées et cultivées, peut-être antérieurement au blé. Des auteurs latins ont rapporté que les Gaulois faisaient des bouillies avec Panicum miliaceum. C’est une longue histoire commune, qui n’est pas finie.

Peut-on dire que ces intruses apprécient les soins donnés au maïs et qu’elles veulent en profiter? Pourquoi pas? En tout cas, elles sont là, malgré tous les stratagèmes et tous les efforts pour les contrer, obstinément, bravement, fidèles à elles-mêmes. Et qui sait, peut-être auront-elles à nouveau, en ces temps de changement climatique, un rôle significatif à jouer dans l’économie humaine occidentale. Déjà des voix s’élèvent pour vanter leurs qualités. Belle revanche!
Décidément le temps du végétal est très différent du temps humain.

Les appels à articles

Cet article a été rédigé par Dénis Kayser suite à l’appel à articles sur le thème “Les herbes folles du milieu urbain au monde rural”

Si le principe des appels à articles vous intéresse, n’hésitez pas à consulter régulièrement le site de Tela Botanica ainsi que ses réseaux sociaux pour prendre prochainement connaissance du prochain thème. Au plaisir de vous lire !

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