Glanes étymologiques : Valerianella locusta

La mâche porte le nom scientifique de Valerianella locusta (L.) Laterr. ou Valeriana locusta L. suivant les classifications. Or ce mot de locusta signifie en latin "sauterelle" (en fait un criquet) ou langouste. Par quel avatar en est-on venu à la mâche ? Saint-Jean-Baptiste mangeait-il de la mâche dans le désert ?

En fait, celui qui vend la mèche (et la mâche) est Jean Bauhin, dans son Historia Plantarum Universalis (1651, 3, 313) :

Planche de mache
Otto Wilhelm Thomé, Flora von Deutschland, Österreich und der Schweiz, 1885 (Wikimedia Commons)

« Locusta herba. Dans des textes sacrés, certains disent que les locustæ que l’on a l’habitude de manger ne sont pas un insecte, mais une herbe qui porte ce nom. On pense que le grand Chrysosthome et avant lui Athanase ont eu cette opinion… On interprête donc que locusta ou pes locustæ est une herbe, que nous appelons communément Rapunculus ou Napunculus… D’autres lisent chez des auteurs arabes que le pes locustae est un blitum ou une herbe semblable. D’autres même veulent que ce ne soit pas une herbe particulière, mais en gros toutes celles qui ont nourri un saint homme dans la solitude ».

La source de Jean Bauhin est le P. Dioscoridae pharmacorum simplicium reique medicae libri VIII d’Ermolao Barbaro (1529, 92r), qui parle de Locusta ou Pes locustæ dans la notice consacrée à la Locusta de Dioscoride.

*Les ἀκρίδες – akrides de Dioscoride (2.52) sont bien des sauterelles, ou plutôt des criquets, locusta en latin. Mais les théologiens chrétiens se sont demandé ce que pouvait bien manger Saint-Jean-Baptiste dans le désert. L’Evangile selon Matthieu (3, 2) écrit en effet : « il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage ». On a pensé à des caroubes, d’où le nom anglais locust bean. Il est curieux que les botanistes y aient vu la mâche, alors qu’il existe bien d’autres herbes sauvages comestibles. Le rapunculus de Bauhin est bien la mâche, appelée rampon en Suisse. Mais s’il est clair que Saint-Jean-Baptiste ne mangeait pas des langoustes, on le voit mal manger de la mâche dans le désert, d’autant que c’est une plante qui n’est disponible que pendant une période très courte au début du printemps, et qui ne se conserve pas.

Bien que Bauhin cite deux théologiens, je n’ai pas poursuivi la recherche de côté-là. J’avoue être assez perplexe devant la propension des anciens théologiens à s’occuper de choses aussi triviales. Et je me demande toujours pourquoi on a appelé la mâche pes locustae, « patte de sauterelle ». Serait-ce une allusion aux ramifications dichotomes de la plante ?

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8 commentaires

  1. Cher Monsieur Chauvet,

    Dans mon enfance, on appelait la mâche la doucette. C’était à Bordeaux dans les années 70-80. Ce n’est qu’en arrivant à Paris que je découvris ce drôle de nom : mâche.
    Sauriez-vous d’où provient l’emploi du nom doucette?

    Bien à vous,

    Anne J.

    1. Bonjour,

      Tout comme chez vous, dans ma région département de l’AIN ( frontalier avec la Suisse, donc EST par rapport à BORDEAUX plein OUEST !) on appelait également la mâche-  » doucette  » !
      Mais je ne saurais répondre à votre question…

  2. Bonjour, figurez-vous que moi aussi j’ai mangé durant toute mon enfance de la doucette, avant de découvrir que c’était de la mâche en m’installant en Normandie. Et où ai-je grandi ? ni à l’Est, ni à l’Ouest, mais au Centre ! Oui dans le département de la Loire on mâche de la doucette 😋 !

    1. Les noms locaux de la mâche sont très diversifiés et se sont maintenus parce que la mâche est restée jusqu’à une époque récente une salade de cueillette. Son nom n’a donc pas été normalisé par le grand commerce.

      Quant à mâche, ce serait une altération de pomache, dérivé du latin pomasca, au sens de « plante à goût de pomme ».

      Vous pouvez voir tous ces noms dans la Flore populaire d’Eugène Rolland (1896-1914), que j’ai mise en ligne sur Pl@ntUse : http://uses.plantnet-project.org/fr/Valerianella_(Rolland,_Flore_populaire)

      Pour Rolland, « Les herbes qui se mangent en salade sont en général d’un goût piquant ou amer ; celle-ci au contraire est douçâtre. » En effet, ce sont surtout des Brassicacées (avec des glucosinolates) et des Asteracées (avec du latex).

  3. Cher Michel Chauvet,
    Un petit clin d’œil paracelsien à votre article passionnant… Pour Paracelse, les locustae ne sauraient être des sauterelles. Il se moque ainsi de ceux qui lisent Matthieu 3, 4 en imposant à Jean Baptiste un régime d’insectes. Pour lui, les locustae sont des bourgeons de jeunes pousses que Jean-Baptiste a sans doute trempés dans le miel sauvage. Le Nouveau Testament a inventé les dips !
    Ce qui est intéressant, c’est que Paracelse semble se fonder sur une erreur philologique. Voir Dictionary of Medieval Latin from British Sources (DMLBS) cité dans https://logeion.uchicago.edu/locusta
    Ce qui me semble encore plus intéressant, c’est qu’il se réclame clairement d’une « vérité scientifique », médicale qu’il dit supérieure à la méthode et la vérité philologiques d’Erasme, par exemple. La confusion locustae-sauterelles / locustae-bourgeons est une absurdité aux yeux du médecin Paracelse. Si Jean avait mangé des sauterelles, ses reins n’auraient pas résisté plus de six mois, dissous par la force médicinale de l’insecte !
    L’efficacité thérapeutique prime le souci de la langue.
    Bien à vous
    JM

    1. Merci de ces précisions. Ce serait donc des « jeunes pousses d’arbres », voire même du chèvrefeuille ! Mais on a toujours le problème que les jeunes pousses ne sont disponibles qu’au printemps. Finalement, les caroubes sont plus probables, car on peut les stocker…

      Je reste perplexe pour l’identification à la mâche. En tout cas, merci pour le lien.

  4. Bonjour Michel Chauvet,
    Paracelse a consacré l’un ou l’autre ouvrage à la nourriture du Baptiste. Il y est question de manne et de « tereniabin »:
    « Manna refers to the powers of a celestial dew found in herbs, a commonplace
    attributed to Avicenna and Pliny (Med3 cxv verso: the account here is routine and
    matter of fact in tone). To the later Zedler, manna is both the sweet tree sap (“succus
    concretus”) harvested in Mediterranean regions such as Calabria and Sicily and the
    biblical sustenance. One of its variants was “Tereniabin” (cf. Med3 clxix verso:
    “Tereniabin. honig dawe,”), which was thought to be the wild honey said to have
    nourished John the Baptist (cf. H 2:41, note) »

    à propos de tereniabin:
    « Tereniabin, see Zedler: “Manna.” Tereniabin is explained there as the Arabic
    name for a kind of edible tree sap said to have been known to Hippocrates as “cedar
    honey” and believed to have been the “wild honey” that nourished John the Baptist in
    Matthew 3:4. Ruland defines Tereníabin as “pinguedo mannæ. Est enim mel syluestre,
    tendens ad modicam nigredinem, non ex apibus, sed ex aere decidens, in cambos,
    arbores, & herbas, dulce vt aliud mel.” The association with manna and heavenly
    provenance are pertinent to the planetary association found elsewhere in connection
    with this legendary substance (cf. H 2:29, note). »

    Toutes ces références se trouvent dans l’excellent

    Paracelsus-Essential-Theoretical-Writings.pdf – SelfDefinition …

    Bien à vous
    JMR

    1. Le sujet des mannes est très vaste, et tellement que j’y ai à peine touché ! La manne de sicile est la gomme de Fraxinus ornus, qui est encore exploitée commercialement à Gibilmanna (la bien nommée « montagne de la manne » en arabe). La manne entre dans des produits pharmaceutiques. Mais c’est plutôt un laxatif et diurétique ! De là à en manger tous les jours…

      Quant à tereniabin, je le retrouve dans l’arabe terendjobîn d’ibn al-Baytar (notice 408). Le mot doit être persan (tarangubin).

      Mais cela nous éloigne de la mâche…

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