L’illustration botanique aujourd’hui en Inde #Art et Botanique

Dans le monde entier, on observe aujourd’hui un regain d'intérêt pour l'illustration botanique et l'Inde n'y échappe pas. Cette évolution ne fait que prolonger, en la transformant, une longue tradition issue de la florissante période moghole du début du XVIIe siècle.

À l’époque moghole, les peintures de fleurs et de plantes, exécutées dans le plus pur style des miniatures, enjolivées de bordures ravissantes, étaient réalisées à des fins décoratives plutôt que scientifiques : ainsi, la célèbre « tulipe rouge » peinte par Mansour, artiste favori de l’empereur Jahangir, vers 1620. Les narcisses et autres fleurs du Nord Est de l’Inde étaient déjà d’une grande précision botanique.

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"Tulipe rouge", Ustad Mansur, XVIIe siècle, Wikipedia CC BY-SA

Mais c’est au XVIe et XIXe siècle que l’illustration botanique indienne connut une véritable explosion de talents dans la mesure où les artistes travaillaient plus spécialement pour les médecins ou les scientifiques employés par l’English East India Company (EIC).
Des amateurs enthousiastes d’histoire naturelle, collectionnaient et répertoriaient les plantes à des fins tout aussi bien scientifiques que religieuses ou ornementales.
C’est en 1600 que fut édictée la Charte Royale de l’English East India Company, point de départ d’un pouvoir croissant au plan commercial toujours en quête de produits nouveaux susceptibles d’être vendus en Europe et en Asie : indigo, thé, canne à sucre, et épices de toutes sortes.

Cette puissante compagnie favorisait aussi les échanges en important les plantes médicinales utilisées en médecine ayurvédique : à ce titre, médecins et chirurgiens collaboraient avec les dessinateurs employés à temps plein.
Au XVIIIe siècle, l’indigo, la laque (provenant des insectes), s’exportent largement. De nouvelles plantes sont étudiées. Les jardins botaniques se développent : tamarin, concombres, gingembre, cardamome, canne à sucre, poivre, connaissent un succès croissant, contribuant ainsi à une immense diversité stylistique en termes d’illustration botanique.

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Poivrier noir, Piper nigrum, photo : Liliane Roubaudi, PictoFlora CC BY-SA

Jusqu’au XXe siècle, les livres illustrés restent une rareté extrêmement couteuse, demandant un artiste pour produire le dessin original, un graveur, des plaques de cuivre, des coloristes… Ces ouvrages constituent encore aujourd’hui le trésor de collections privées, en Inde ou en Grande Bretagne. Beaucoup subsistent dans des bibliothèques de jardins botaniques royaux à Kew ou à Edimbourg. Une magnifique collection se trouve également au jardin botanique de Calcutta telle que Plantes de la côte de Coromandel, 1795 – 1819, du docteur Willliam Roxburgh, Illustration botanique des montagnes de l’Himalaya, 1833- 1840, de John Forbes Royle, Icones Plantarum Indiae Orientalis, 1838 – 1853, de Rungiah et son élève Govindoo, Selection of Neilgherry Plants Drawn and colored from Nature, 1846- 1851, comprenant 204 illustrations décrites et peintes à la main, par Robert Wight (1796-1872).

Même si l’illustration botanique en Inde a connu une sorte de déclin à la fin du XIXe et au début du XXe siècle (absence de financements, commandes en régression, départ des botanistes vers d’autres continents, nouvelles formes d’observations), on constate aujourd’hui un intérêt renouvelé pour cet art qui se situe à la croisée de l’observation scientifique et de la tradition de la miniature. Si de nombreux miniaturistes se sont tournés vers le marché touristique, d’autres ont apporté leur contribution à l’histoire de l’illustration botanique par l’excellence de leur travail.

De grands talents comme celui de Thakur Ganga Singh, les artistes de la famille Sharma, basés à Jaipur, célèbres pour leurs peintures de bonzaïs, Damoda Lal Gurjar, Arundati Vartak, Jaggu Prasad, Nirup Rao… ont tous en commun un style d’une grande virtuosité technique et extrêmement réaliste. La renommée de ces artistes dépasse les frontières de l’Inde : ils sont suivis par les associations américaines et font partie des collections du prestigieux Hunt Institute. Cette effervescence traduit la préoccupation permanente d’honorer la nature et d’en saisir la beauté dans un monde menacé de toute part.

Le parcours de Mahaveer Swami, qui travaille à Bikaner au Rajasthan, est un exemple parmi d’autres. Ce miniaturiste de 63 ans se veut le prolongateur des techniques sophistiquées d’autrefois : il broie le corail, le lapis lazuli, la malachite, la perle, donnant ainsi à ses oeuvres une subtilité et une grâce particulière. Il peint sur papier traditionnel, sur os de chameau, sur soie… son travail est extrêmement varié, certaines planches étant très réalistes, d’autres plus stylisées réminiscences des frises décoratives de la période moghole.
Il expose régulièrement en Inde et à l’étranger. Le Hunt Institute possède une collection de ses œuvres. En 2019, j’ai eu la chance d’organiser avec lui un atelier d’illustration botanique à Shillong. Cette formation a eu lieu à l’initiative du Botanical Survey of India, institut de recherche spécialisé dans les plantes en danger. Cet atelier était programmé par le docteur Ashiho Asosii Mao actuel directeur du Botanical Survey of India. Son objectif était d’enrichir les collections de cette institution étant donné l’immense potentiel commercial et médical des plantes comme le bambou, l’orchidée, le gingembre, etc…

L’illustration botanique a encore de beaux jours devant elle en Inde et ailleurs.
Ariane Mercier
Illustratrice, membre de l’Asba, diplomée de la SBA

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