Invasion Rebellion : un Fanzine pour réfléchir à l’imaginaire des Espèces Exotiques Envahissantes
Lorsque l’on parle de botanique et d’écologie il est fréquent de voir surgir au détour des conversations les EEE – Espèces Exotiques Envahissantes, « 5ème cause d’effondrement de la biodiversité ». Elles seraient proliférantes, dangereuses, venues d’ailleurs, incontrôlables, prendraient la place des espèces autochtones. Elles font d’ailleurs régulièrement l’objet de projets de sciences participatives comme de campagnes d’arrachage dirigées par les associations de protection de la nature.
Les travaux scientifiques récents, tant en biologie qu’en sciences sociales démontrent pourtant que ces conceptions sont fortement erronées, nous invitant plutôt à nous interroger sur les raisons de ces présences indisciplinées et sur le contexte social qui nous fait tenir sur elles ces discours pour le moins péjoratifs. C’est cette approche qui est défendue dans la dernière micro-édition du collectif des Naturalistes Des Terres : Invasion Rebellion.
Au travers des 70 pages de ce Fanzine imprimé en risographie il est question de déconstruire le discours que l’on tient sur les EEE et de repenser en profondeur ce qu’elles disent de nos sociétés. Entrecoupés d’illustrations d’artistes, ce recueil aborde de nombreux sujets et cas d’étude : de la manière dont les EEE sont utilisées comme boucs-émissaire pour faire oublier les 4 premières causes d’extinction du vivant aux méthodes avec lesquelles certains espaces en lutte en France se réapproprient la présence des renouées pour créer des jardins sauvages ou proposer des façons d’habiter alternativement une ville.

Nous retranscrivons dans les paragraphes qui suivent des extraits choisis du texte de cadrage de la brochure :
1. La présence des EEE est un témoignage de nos ravages
Entre autres exemples, la renouée du Japon n’envahit pas les forêts primaires, les pelouses sèches, ou même les vieilles ripisylves. Elle ne s’y installe même pas. Elle prend de la place là où nous avons déstabilisé les milieux, sur des remblais, de vieux dépôts de matériaux, les sites industriels. Dans ce récit, les EEE nous amènent à porter ce que Léna Balaud et Antoine Chopot appellent dans leur livre « Nous ne sommes pas seuls » publié au Seuil « le regard de Nausicaa » – en référence à l’oeuvre d’Hayao Miyazaki – un regard qui donne aux EEE la qualité de révélatrices d’un sol détérioré : ce ne sont pas elles qui posent problème mais bien la pollution que nous avons infligé au milieu. Croiser le chemin d’une EEE c’est pénétrer dans un écosystème que nos pratiques ont dégradé. Apprenons à les concevoir comme telles plutôt que comme des envahisseuses.
2. Les parfaits émissaires pour le capitalisme
Considérées comme la 5ème cause d’extinction d’espèces, les EEE sont le bouc émissaire parfait pour détourner le regard des quatre premières causes d’effondrement de la biodiversité que sont : 1. la destruction et l’artificialisation des milieux naturels, 2. La surexploitation des ressources naturelles et leur utilisation excessive, 3. Le changement climatique global, 4. Les pollutions des océans, eaux douces, sol et air. Si en contexte insulaire elles peuvent poser de graves problème, le gouvernement communique sur le fait que « aucune disparition d’espèce n’a été attribuée à des espèces exotiques envahissantes en Europe à ce jour ». Pourtant les EEE sont sur le devant de la scène. Pourquoi donc ? Sans doute car elles sont les seules à pouvoir faire cohabiter le modèle productiviste actuel avec une prétendue préservation de la biodiversité.Lutter contre les EEE demande de développer des études, des procédés ou des produits pour mieux lutter contre elles, de faire appel à des entreprises, de financer des campagnes d’arrachage, en créant de nouveaux marchés par lesquels capter du profit. Le capitaliste a tout intérêt à instaurer les EEE comme des ennemis à abattre : cette posture le déresponsabilise en même temps qu’elle ouvre la porte à un techno-solutionnisme et à une poursuite du développement et de l’extractivisme. Le système en question va ainsi pousser ses pions et développer la bio-ingénierie en prétendant protéger la biodiversité, la figure diabolique des EEE semble ici nécessaires pour débloquer des fonds.
Ne nous trompons pas de cible : les causes de la destruction de la biosphère sont parfaitement connues, les Espèces Exotiques Envahissantes servent de bouc émissaire pour détourner l’action.
3. Faire corps avec la mutation, contre la pureté
Bien qu’elles n’aient causé aucune extinction d’espèce en Europe, les EEE sont souvent mal considérées par certains philosophes, aménageurs, biologistes, urbanistes et groupes naturalistes. Cela tient à une conception fixiste et puriste de la nature dans lequel les paysages ne changent jamais et où les espèces sont pures. Nous nous opposons à ces deux récits : celui qui dicte que la nature ne doit pas changer et celui qui postule que les EEE « souilleraient » nos écosystèmes. Nos cultures occidentales se sont depuis très longtemps hybridées avec les espèces exotiques qu’ont été le platane, le châtaignier, l’olivier, la carpe, le maïs ou la tomate ; ce qui est pointé comme un problème est en fait le caractère invasif, indiscipliné de ces espèces qui échappent à notre contrôle. En réalité la nature est mutations, réarrangements et transformations perpétuelles, il est illusoire de vouloir l’essentialiser et de la conserver sous cloche. Ici encore, le caractère incontrôlable des invasives vient mettre en évidence notre volonté d’hypercontrôle. Pourtant rappelons-le, aucune espèce ne s’est éteinte en Europe à cause des EEE. A l’inverse, elles ont bel et bien pour d’autres spécialistes un impact positif et apportent avec elles un nouveau tissu de relations : cachette, nourriture, ressource, espèces associées ; dans un monde qui évolue en permanence sur le coup des changements globaux les EEE sont les indicatrices des mutations en cours.

Une production militante à l’adresse des naturalistes, botanistes, écologues et autres praticiens du vivant.
L’ambition de ce travail est d’inviter les personnes travaillant avec les EEE à se réinterroger sur le bien fondé des actions de destruction et sur le discours qu’ils peuvent tenir à leur égard, il invite à porter sur elles le « regard de Nausicaa » et à les voir non plus comme des êtres à éradiquer mais comme des témoignages des ravages en cours. Il pousse plus loin la réflexion en invitant à ne pas suivre le récit institutionnel et à lutter contre les causes réelles de l’extinction de la biodiversité.
Titre de l'ouvrage : Fanzine Invasion Rebellion
Naturalistes Des Terres, Juin 2025
Le Fanzine est disponible en version papier auprès des Naturalistes Des Terres (sur les réseaux sociaux ou par mail : naturalistedtr@riseup.net) et en ligne à cette adresse : https://urls.fr/-uRra-
Cultivons notre indiscipline.
*Les naturalistes des terres est un collectif de naturalistes qui visent à politiser les pratiques d’observation de la nature, plus d’infos sur la carte en ligne et sur le site de Terrestre.
10 commentaires
Combien de botanistes ont participé à la rédaction de cet opuscule???
Bonjour Genziana,
5 botanistes et ethnobotanistes ont participées au travail de rédaction et de relecture ! Et une dizaine de naturalistes ont contribué-es aux articles !
Où sont-elles, les sources de ces fameux travaux scientifiques récents ?
Pas de disparition d’espèces directement imputable aux EEE en Europe, donc elles n’ont pas d’impact sur la biodiversité, CQFD… de moins en moins sérieux vos articles.
Bonjour HB, les sources dont découlent l’argumentaire que nous portons sont disponibles dans le Fanzine, à la fin de chaque article !
Je vous invite à lire directement les articles concernés, bien qu’aucune disparition n’ait été imputée aux EEE la position défendue n’est certainement pas de dire qu’elles n’ont « aucun impact ». Ce à quoi le fanzine invite est plutôt de changer de focale et de dénoncer les causes des proliférations des EEE ! En bref cesser de les considérer comme des boucs émissaires !
En ce qui me concerne je pense que le document a globalement raison. D’autre part tout ce qui est dit a déjà été écrit ailleurs et le document liste les références d’articles. Bien sur article scientifique n’est pas synonyme de rigueur ou de vérité (laquelle ?). Peut déplaire la manière de présenter les choses (la forme, le vocabulaire…) mais ça vise un certain public je suppose. Par contre les signatures du document sous pseudo ou prénoms 🙂 Pour certains ça à l’air très dur d’écrire son nom (et donc d’assumer ce qu’on dit). Marie Portas
Qu’est-ce qui pousse Tela Botanica, association de naturalistes, à défendre des idées aussi saugrenues en abandonnant la réalité des faits largement prouvés scientifiquement, sur les impacts écologiques des EEE ? Les propos tenus dans ce fanzine sont des propos dénialistes s’appuyant sur une documentation allant dans ce sens. Le rapport de l’IPBES est pourtant bien cité mais le fanzine ne retient pas dans cette source que les EEE sont impliquées dans 60 % des extinctions mondiales et dans 1215 extinctions locales. Quel dommage que ce mouvement de l’écologie radicale porté par l’anticapitalisme n’ait pas fait un fanzine pour expliquer que les invasions biologiques ont une origine humaine et sont la conséquence du capitalisme ! Suggérer que la lutte contre les invasions biologiques est instrumentée par le capitalisme est au mieux un formidable contre sens au pire un propos tendancieux. Les auteurs de ces propos relayés par Tela Botanica devraient un peu mieux se renseigner. Par ailleurs, la motivation profonde des personnes impliquées dans la lutte contre les EEE est la préservation des espèces natives et de leurs habitats. Les valeurs portées par les Naturalistes des Terres semblent différentes. Défendre tout être vivant même si cela fait renoncer à agir pour préserver les écosystèmes ? Posons nous aussi les bonnes questions sur ce qui motive le dénialisme.
Très heureuse d’apprendre l’existence de ce fanzine. Je vais en commander quelques exemplaires à distribuer autour de moi.
Je suis navrée que des scientifiques osent utiliser le mot « éradication » : une des premières choses qu’on apprend en génétique des populations, c’est qu’il est IMPOSSIBLE d’éradiquer un gène, quelle que soit la méthode employée.
Nos institutions auto-déclarées sérieuses ont rallié cette folie, d’où le recours à des pseudonymes par les auteurs, que je comprends tout à fait. Mais cette rage éradicatrice est plutôt récente. Il suffit de se souvenir de « l’invasion » par Caulerpa taxifolia, au cours de laquelle ce sont les chercheurs statutaires qui ont fait barrage contre les inventions éradicatrices de quelques gugusses. La suite a montré que les posidonnies s’acommodaient bien mieux des caulerpes que des plaisanciers ou des chantiers de construction des résidences « Pieds-dans-l’eau » …
Les « quatre premières causes d’effondrement de la biodiversité que sont : 1. la destruction et l’artificialisation des milieux naturels, 2. La surexploitation des ressources naturelles et leur utilisation excessive, 3. Le changement climatique global, 4. Les pollutions des océans, eaux douces, sol et air. »
J’aurais tendance, par ailleurs, à penser que la première cause de l’arrivée des EEE est la manie de l’Homme d’aller « conquérir » les terres lointaines (parfois juste pour survivre, d’ailleurs), et partant la « mondialisation », qui a commencé bien avant nos époques récentes. Tous les animaux et plantes (et parasites y afférents) venus d’ailleurs sont bel et bien venus avec nos « grands voyageurs » et nous pourrions en fait profiter de ces arrivées imprévues pour y voir des opportunités parallèlement au changement climatique.
Merci pour ce superbe fanzine échevelé, et bravo aux botanistes et ethnobotanistes, dont je comprends la précaution de discrétion, ayant eu l’occasion de fréquenter les milieux universitaires… 😉
PS : Bravo aussi pour la devise :
« Cultivons notre indiscipline » ! 😀
Comme le souligne très bien Manon Boyer en commentaire, nous sommes ici clairement dans le dénialisme, et pour ce qui est des « sources », nous les connaissons bien et elles sont, pour la plupart, tout autant discutables et incomplètes.
Être botaniste ou naturaliste ne nous met pas à l’abri des biais cognitifs, ce fanzine en est un excellent témoin.
J’ai publié un article sur le site de l’association ÉcoRésUrgence pour répondre à ce fanzine :
Site > ecoresurgence.org
Article > « Espèces Exotiques Envahissantes – Entre imaginaire trompeur et dangereuses analogies » dans la section « Relectures critiques » du blog.
J’invite toute personne partisane de ce discours à se renseigner au-delà de ce fanzine.
J’ai également envoyé un mail à l’adresse indiquée sur le fanzine en espérant un retour constructif.
Il serait bon d’arrêter de diviser la cause écologiste en deux.
Ce discours est socialement et écologiquement contre-productif.