Le futur parc amazonien de Guyane pris par la fièvre de l’or
Le Monde, 17 octobre 2006, correspondant de Cayenne
Alors que le gouvernement annonçait, le 11 octobre, qu’il
n’autorisait pas le projet de mine d’or du canadien Cambior en
Guyane, en raison de « quelques lacunes » sur le plan écologique, les
Guyanais venaient d’apprendre que François Loos, le ministre délégué
à l’industrie, avait accordé le 1er août, contre l’avis des élus
locaux, des administrations et du préfet, un permis de recherche de
mines d’or à la société Rexma sur la commune de Saül… en « zone de
protection forte » du schéma d’aménagement régional et en bordure
d’une zone « coeur » du projet de parc national amazonien. Le conseil
régional a annoncé son intention d’attaquer en justice l’arrêté
ministériel.
La polémique tombe en pleine enquête publique sur ce projet de parc –
une aire de protection et de développement durable de 34 000 km2
située dans le sud de la Guyane -, lancé en 1992, maintes fois
reporté faute de consensus local, et dont la création est annoncée
pour début 2007. « Le permis que vous venez d’attribuer va
immanquablement faire basculer la mairie de Saül dans l’opposition au
projet de parc national et faire le jeu des opposants au parc »,
s’inquiète la ministre de l’environnement et du développement durable
dans un courrier adressé à son homologue de l’industrie. Dans ces
conditions, Nelly Olin appelle François Loos à « publier au Journal
officiel dans les plus brefs délais un arrêté de retrait du permis ».
Le ministre de l’industrie n’a pas donné suite aux sollicitations du
Monde sur ce dossier. Dans son courrier, Mme Olin évoque un autre
permis de recherche accordé par M. Loos dans la zone « coeur » de la
commune de Maripasoula, le 17 février… soit quatre mois après la
communication officielle du périmètre de l’avant-projet de parc. « La
création du parc va empêcher la compagnie d’effectuer ses recherches.
Il conviendrait de l’en informer et d’étudier les conséquences
éventuelles en termes d’indemnisation », conclut Nelly Olin à
l’adresse de François Loos.
Ce n’est pas le premier loupé de l’Etat dans le parc en gestation. En
2001, le préfet de l’époque reconnaît « une erreur administrative des
services fiscaux » qui ont accordé en 1998 à un orpailleur de
Maripasoula une autorisation d’occupation temporaire, sur la rivière
Waki, en zone de droits d’usage des Amérindiens Emérillons. Dans la
foulée, d’autres orpailleurs locaux se sont introduis sans
autorisation, avivant les tensions entre la communauté noire
marronne, majoritaire à Maripasoula – et dont sont issus certains
orpailleurs – et la communauté amérindienne. En décembre 2000, une
grand-mère amérindienne est tuée par un employé d’un orpailleur
local. La semaine dernière, le petit-fils de la défunte a versé à
l’enquête publique sur le projet de parc une pétition signée par 292
personnes des villages amérindiens du Haut Maroni, demandant le
rapprochement de la « zone coeur » du parc, ce afin d’être protégé de
l’orpaillage.
A l’issue d’un long processus de concertation, le projet actuel de
parc propose en effet une division de la commune en deux parties :
une zone coeur, située loin des lieux de vie, où sont autorisées les
activités de subsistance des résidents – chasse, pêche, cueillette –
et une « aire d’adhésion », où les activités – sans exclure
l’orpaillage – seront déterminées en fonction d’une charte négociée
entre la commune, les acteurs locaux et le parc. « Il y a eu un
consensus sur ce zonage », assure Colin Niel, le chef de la mission
pour la création d’un parc en Guyane, alors que les Verts de Guyane
dénoncent des « pressions exercées sur les Amérindiens de la commune ».
En octobre 2005, le congrès des conseils régional et général a rejeté
le projet de parc en l’état, réclamant comme préalables une
« éradication de l’orpaillage clandestin » et une appropriation locale
du projet qui permette le développement du Sud guyanais. « La plupart
de ces remarques ont été prises en compte dans le projet ou dans la
loi du 14 avril 2006 sur les parcs », précise Colin Niel, tels « le
maintien des droits de subsistance, la représentation majoritaire des
acteurs locaux au conseil d’administration, ou le recrutement de
contractuels sur place, par dérogation, pour le parc », ajoute-t-il.
Si quatre communes concernées sur cinq ont approuvé le projet, les
maires déplorent, dans un communiqué du 13 octobre, « l’absence de
mesures annoncées pour le renforcement de la lutte contre l’orpaillage ».
A Camopi, à la frontière avec le Brésil, des centaines d’orpailleurs
clandestins, ravitaillés par des bases arrière implantées sur la rive
brésilienne de l’Oyapock, opèrent au mercure (interdit depuis le 1er
janvier sur les sites légaux) dans le coeur du projet de parc. « Nous
ne pouvons pas créer un parc dans une poubelle », s’insurge Joseph
Chanel, le maire de Camopi. Selon une enquête menée en 2005 dans les
villages amérindiens du Haut Maroni, la majorité des habitants
dépassent le seuil de méthylmercure recommandé par l’Organisation
mondiale de la santé. En 1998, selon l’Inserm, un quart des enfants
du Haut Maroni dépassant ce seuil présentaient des signes
infracliniques d’altération comportementale.
Laurent Marot
1 commentaire
Une fois de plus, le projet de parc est mis à mal par un manque de cohérence des politiques menées.
On pourrait pourtant s’attendre à une attitude plus « responsable » de la part de nos gouvernants qui voudraient, officiellement, donner l’exemple en matière d’écologie en Amérique du Sud.
Ce vieux serpent de mer qu’est le Parc National de Guyane passera – t’il le stade de la simple « mission pour la création du parc » ?
Pourra-t’on concilier le développement économique de la Guyane avec la protection de son environnement ?
Celà paraît pourtant possible mais il semble que chaque fois que des progrès significatifs semblent être réalisés, une « gaffe administrative » vient les réduire à néant.
Celà finit par être lassant.