Biodiversité : les associations, partenaires incontournables de la science
Hier regardées par les scientifiques avec une
condescendance amusée, les associations de protection de la nature se sont
muées en partenaires incontournables dans la recherche sur la biodiversité,
à la faveur du désengagement financier de l’Etat.
« Il y a quelques années, on les regardait d’un peu haut. Depuis, elles se
sont professionnalisées et sont devenues très importantes pour nous »,
souligne Emmanuel Camus, directeur au centre de recherche agronomique Cirad.
Les doux rêveurs chevelus des débuts se sont formés, scrutent la presse
scientifique et sont eux-mêmes devenus des spécialistes reconnus d’espèces
laissées à l’abandon par la recherche officielle.
« On est loin des intégristes de la conservation, sans culture scientifique,
des premiers temps », reconnaît Robert Barbault, écologue au Museum national
d’histoire naturelle. « Les grandes associations comme le WWF ou l’UICN, ont
lu la littérature (scientifique). En plus, elles disposent d’un recul, d’une
stratégie que les scientifiques, souvent très individualistes, n’ont pas ».
Le plus grand inventaire de la faune et de la flore jamais mené sur la
planète, en cours sur l’île de Santo (au Vanuatu), associe ainsi sur un pied
d’égalité deux institutions de recherche – le Muséum et l’Institut de
recherche pour le développement – et une association, Pro Natura
International.
De son côté, le Cirad travaille en collaboration avec l’ONG néerlandaise
Wetlands International pour déterminer si le virus de la grippe aviaire est
présent chez les oiseaux migrateurs hivernant en Afrique.
Pour Allain Bougrain Dubourg, le président de la Ligue de protection des
oiseaux, « sans les ONG, la science n’aurait pas atteint la dimension qu’elle
connaît actuellement ». Sur les 120 salariés de la LPO, un tiers ont un
profil scientifique (chercheur, gestionnaires de réserves…), relève-t-il.
« La recherche en biodiversité réclame des quantités de données phénoménales
permettant une exploitation statistique », explique Sylvain Allombert,
naturaliste à l’association Terra Biodiversita. « Pour les chercheurs, ce
serait impossible d’obtenir ces données par leur seule présence sur le
terrain ».
D’où l’intérêt de faire appel à des passionnés pour effectuer les comptages
d’espèces, comme c’est le cas pour le recensement des passereaux communs
(programme Stoc) ou des papillons de jour (programme Sterf).
Certains programmes sont réservés aux amateurs avertis, comme le recensement
de la magicienne dentelée, la plus grande sauterelle française. D’autres ne
demandent aucune connaissance préalable, comme le programme Phénoclim, où
sont impliqués les établissements scolaires. On demande juste aux écoliers
de noter les grandes étapes de la vie de certains arbres (débourrement,
floraison, chute des feuilles…) pour tenter de mesurer l’impact du
réchauffement climatique.
Le rôle des associations est d’autant plus important que les éminents
taxonomistes (spécialistes de la classification), qui faisaient la
réputation du Muséum, n’ont souvent pas été remplacés à leur départ en
retraite.
Lorsqu’il a fallu identifier le moucheron vecteur de la maladie de la langue
bleue, apparue de manière inattendue au Bénélux, on s’est aperçu que la
France ne comptait plus qu’un spécialiste.
L’émergence de cette science « participative et citoyenne » en matière de
biodiversité est d’autant plus remarquable que le fossé entre la société
civile et les chercheurs semble se creuser toujours plus : sur les OGM, le
nucléaire, les nanotechnologies… « Les autres sciences feraient bien d’y
réfléchir », lance M. Barbault.
PARIS, 29 nov 2006 (AFP)