Plantes médicinales : esprit de corps et d’environnement
Par Ian Mansour de Grange – consultant, chercheur associé au LERHI – faculté de Nouakchott
Voici venir l’année de l’Environnement. C’est déjà, hélas, le siècle du réchauffement planétaire et de l’apparition de troubles manifestement conséquents à une exploitation effrénée de nos ressources naturelles. Certains pays, et non des moindres, sont à ce point engoncés dans des politiques délétères qu’ils risquent fort se retrouver, prochainement, à l’arrière-garde du développement. Est-ce à dire que les pays moins « avancés » ont, ici, l’occasion de se situer, résolument, à l’avant-garde de stratégies innovantes, fondées sur une gestion apaisée et respectueuse de leur environnement ? L’exemple suivant est peut-être une piste de réponse…
La fondation, le 26 juillet 2007, de l’association nationale PREFIMEDIM – PRoduits d’Excellence d’une FIlière de plantes MEDIcinales en Mauritanie – est le fruit d’une longue gestation. C’est une affaire tout à la fois simple et complexe. Sa simplicité tient à la définition même de son champ d’actions : en se limitant à un secteur précis – les plantes médicinales – on voit immédiatement le concret du sujet et cette volonté de cadrage est un parti pris réfléchi, situant les « gros »mots – développement durable, biodiversité, environnement, promotion rurale et féminine, actions communautaires, recherche, modernisation, commerce équitable, santé publique, lutte contre la pauvreté – à l’intérieur de nos préoccupations plutôt qu’à leur superficie.
Car ils sont tous là réunis, ces grands principes de développement intégré, et c’est cette assemblée qui révèle toute la complexité de notre entreprise. Penser global, agir local : ce célèbre adage prend ici sa pleine mesure et sa réactualisation indique une méthode éprouvée, insuffisamment pratiquée en Mauritanie. Toute action, fût-elle des plus humbles, peut être menée dans des perspectives tout à la fois locales et spécifiques, globales et universelles, et cette conjonction est d’autant mieux assurée que l’action est fermement cadrée. C’est le cœur de notre démarche qui repose sur un trépied de dimensions infrangibles : écologie, social et économie. La recherche permanente de leur équilibre constitue le moteur même de l’excellence que nous espérons ici promouvoir.
La Mauritanie a un réel besoin de telle méthode. Sans tradition administrative étatisée et largement dépouillée de ses antiques modes de gestion écolo-sociale, le pays est aujourd’hui dominé par le chacun-pour-soi d’une économie informelle, particulièrement exacerbée par une mondialisation galopante et guère soucieuse des équilibres du vivant. Dans un milieu saharo-sahélien où la singularité et la diversité écologique sont de vrais défis à l’extrême, la mesure et la concertation sont des impératifs vitaux de gestion environnementale et les professionnels sérieux, qui voient, chaque année, se réduire la variété des espèces médicinales endogènes, sont les premiers à réclamer une exploitation plus intelligente et réfléchie des biotopes nationaux.
Nous avons défini, à cette fin, une stratégie générale où apparaissent des objectifs à court, moyen et long terme. Celle-ci est animée, d’une volonté d’autonomie grandissante : il s’agit de générer, au plus vite mais pas à n’importe quel prix, des ressources pérennes, issues de la filière, au service de son développement durable, par l’intermédiaire d’une activité associative transparente et clairement tracée. Si l’on peut – et même doit : les enjeux sont planétaires – faire appel à la coopération internationale pour initier la reconquête de notre biodiversité nationale, il faut avoir la lucidité politique d’assumer, dans les plus brefs délais, l’indépendance de notre solidarité.
La PREFIMEDIM doit donc naviguer dans les zones dangereuses du lucratif à but non-lucratif. Nous avons pris le parti de les distinguer nettement, en exigeant de toute structure génératrice de bénéfices, impliquée dans l’association, une identité morale autonome, de type communautaire, insérée dans des programmes actifs de développement durable, local ou national. En amont du projet, on trouvera ainsi des associations et coopératives de producteurs et de récolteurs, au bénéfice de leur communauté spécifique ; en son aval, une herboristerie centrale où se négocieront tous les produits PREFIMEDIM, au bénéfice des activités de l’association, et sous couvert d’un conseil d’administration où siégeront l’Etat et les bailleurs de fonds ; en son sein même, différentes structures prestataires de service : recherche, formation, information, contrôle de qualité, sensibilisation des populations, etc., qui auront, elles aussi, à justifier de services communautaires.
Une plate-forme de solidarités indépendantes : telle apparaît maintenant le destin espéré de la PREFIMEDIM. Espéré, dis-je, car la réalité triviale du quotidien est encore celle du chacun-pour-soi. En réunissant les différents acteurs potentiels d’une telle filière – en bonne partie, des prédateurs du milieu naturel – on constitue d’abord un panel de tensions, d’intérêts particuliers, qui vont devoir apprendre à négocier, à reconnaître lucidement leurs propres limites, les atouts de leurs partenaires, voire concurrents, et les avantages de l’équité, d’une « harmonie de tensions », selon le bon mot d’Héraclite, seule apte, en définitive, à générer du développement durable. Ne nous leurrons donc pas : rien n’est jamais acquis d’avance, surtout en matière de durée, et s’il s’agit bien de pacifier nos relations avec notre environnement, le combat n’en est pas moins constant : contre l’ignorance et la fatuité, contre la myopie des intérêts immédiats et les aveuglements des nécessités quotidiennes, contre la paresse, l’inconstance et le défaitisme, enfin, si communément humains…
L’expertise des tradithérapeutes mauritaniens – il faut bien entendre ici qu’un tradithérapeute, c’est un initié à une tradition spécifique, plus ou moins phytothérapeute, et jamais, bien évidemment, un aventurier de la crédulité populaire – s’exerce aujourd’hui dans un milieu, sinon gravement dégradé, du moins en sévère mutation. Bien des concepts, hier pertinents, vacillent. Non seulement la pluviosité a connu, en cinquante ans, un net recul, mais encore la population a quadruplé et le cheptel quintuplé : les anciens équilibres qui autorisaient un relativement libre prélèvement des ressources naturelles ne sont plus d’actualité et de nouvelles stratégies s’imposent. D’autres expertises, vécues sous d’autres cieux, peuvent, à cet égard, nous être de grande utilité. Des associations européennes, notamment, ont accumulé des savoirs précieux en matière de reconquête de la biodiversité et de conduite de jardins médicinaux, fort rares en milieu saharo-sahélien, où le nomadisme fut une donnée traditionnelle longtemps prépondérante. Certaines d’entre elles ont de vraies volontés de partage et d’échange : il nous faut établir avec celles-ci de puissants réseaux de communication et d’action. La PREFIMEDIM compte déjà, au sein de ses membres actifs, une association française de ce type et espère développer cette coopération intercontinentale en proposant ses programmes, dès leur élaboration, à la concertation internationale.
Il est fortement probable que cette stratégie générale fasse apparaître de nouvelles compétences en Mauritanie. Les plantes médicinales et vétérinaires ne seront plus l’apanage des tradithérapeutes et des bergers. Des approches moins empiriques, plus quantifiables, plus redevables de méthodologies modernes, vont, inévitablement, se développer. En matière de gestion environnementale comme en matière médicale, la recherche dite « scientifique » entend rationaliser un domaine non moins méthodiquement étudié mais longtemps à la frontière entre les mondes sensible et subtil. Faut-il s’en inquiéter ? Faut-il combattre, freiner, voire gauchir, cette intrusion ? Ou, tout au contraire, l’accompagner, l’enrichir de données oubliées, en pleine confiance d’une tradition forte et cohérente ? La PREFIMEDIM n’entend pas prendre position en ces sujets, mais bien d’offrir une plate-forme d’échanges et de rencontres entre tous, sans jamais négliger sa raison d’être et d’activités : la bonne santé des mauritaniens en réconciliation croissante avec leur environnement. A l’heure de la mégalopole nouakchottoise, ce n’est pas le moindre des défis.
Pour tous renseignements,
Adresse courriel : prefimedim@emailasso.net
Le président, Sylli Gandega : (00 222) 648 36 58
Le secrétaire général, Ian Mansour de Grange : (00 222) 665 61 48