Archéologie botanique
Découverte de planches d’herbier de 1914. Une histoire que nous fait partager avec beaucoup de passion Yves Yger, membre du réseau.
« J’ai trouvé, au cours de mes pérégrinations en vide-greniers, un document étrange, qui tout de suite m’attira. Pour deux euros, j’acquis l’éternité.
Sur la chemise en papier fort figure en haute typographie majuscule : « Etude de Me DUPLESSIX, Notaire à Rennes. »
Déjà toute une histoire ! Le bureau sent l’encaustique et le papier, on s’assoit sur des fauteuils tapissés, Maître Duplessix n’est pas là aujourd’hui, voyez son premier clerc, Monsieur Ménardeau. Encrier en laiton et buvard à bascule.
Au mur, quelques scènes de chasse, un tableau de l’école française, un portrait dans le style de Nicolas Poussin, quelques lavis peut-être dessinés par Madame, ou par leur fille Simone, dite Sicette, un bouquet sur le guéridon, quelconque.
J’ouvre avec douceur le précieux dossier.
Quelques feuilles de papier jauni protègent un trésor : les fragments d’un herbier ! Six planches seulement, mais quelle étrangeté ! Je déplie lentement les feuillets, et voici qu’apparaissent en majesté les chères plantes. L’herbier est en cours d’exécution. Une seule planche est réellement achevée : « Thalictrum médium, ou Pigamon », est inscrit à l’encre noire, d’une fine écriture, sous le charmant rameau harmonieusement disposé sur la feuille. Il semble qu’on ait hésité sur l’identification car, au crayon noir, on a ajouté après « médium », la question « ou minus ? ». Le botaniste hésite, preuve qu’il est novice, et veut être précis. Il cherchera demain.
On a fixé la plante à l’aide de trois bandelettes, dont les bords crénelés trahissent l’origine philadélique.
Sur d’autres planches, on a utilisé le papier gommé, collé toujours de biais. Je me souviens des bouteilles au liquide lent et jaunâtre, au bouchon de caoutchouc orangé qui faisait comme une bouche de travers, et qu’on retournait en appuyant sur le papier, souhaitant que sourde la perle de colle qu’on allait alors étaler. Parfois, rien ne sortait, et il fallait rouvrir l’orifice au moyen d’une épingle ou d’un coupe papier. Alors la précieuse bave arabique remplissait son office. Et Maître Duplessis pestait contre cette colle sèche sur le coupe papier, que d’ailleurs on lui avait emprunté « sans son aval », grondait il, terrible.
Sous le nom de la plante, une indication précise, émouvante : « Cauterets, 1914 ».
L’écriture est féminine. Madame ? Sicette ?
Cet été là, on partit dans les Pyrénées. Lourdes, où l’on resta trois jours, Cauterets. L’Hôtel des Bains. Une excursion au pont d’Espagne. On avait récolté tant de fleurs que l’on mettrait en presse le soir même, au fond de la malle, dans un épais papier gris, presque noir, légèrement absorbant, prévu à cet usage. Il faisait chaud, et l’on but au retour une orangeade en terrasse, malgré les consignes de Monsieur qui avait bien dit de limiter « les frais annexes » -m’avez vous bien compris ?-
Un anglais charmant nous fit beaucoup rire en jouant avec son chapeau.
D’autres planches, sans indication de lieu de récolte, ni date : « Composées : Inula hirta ? », trop grande plante qui occupe toute la page ; quelques anonymes, joliment conservées, d’autres prêtes à être fixées, quelques noms sur un morceau de papier : « Thlaspi arvense », « Véronica lerpyllifolia », « Lamium purpuréum ».
Et voilà une autre sous chemise, plus intéressante. On y a noté en titre au crayon noir « Plantes prêtes à fixer ».
Trois spécimens attendent, posés, un peu mélangés, sur une feuille du papier presque noir :
« Phalangium Liliago, La Réauté ( la Méauté ?), Juin 1914 »
« Dianthus Armeria, Vern, Août 14 »
« Thymus serpilium », sans indication de lieu ni de date.
L’identification de ces trois dernières est inscrite sur une bandelette de papier Joseph, délicatement collée « en drapeau » autour de chaque tige. L’écriture est très belle ; mais pourquoi s’est on arrêté là ? Qui, quelle force a interdit de fixer définitivement les espèces préparées pour l’herbier ? C’est pendant l’automne 14 qu’on desserra la presse à fleurs, sortant une à une les planches avec tendresse, et qu’on s’apprêta à les rendre immortelles.
Mais quelque chose l’empêcha. Une nouvelle ? Un départ ? Un amour ? Peut être simplement la langueur des jours ?
Non, je crois que cela devait être important.
Voilà. C’est tout. Un peu de vie, 1914.
Je referme respectueusement le dossier de Maître Duplessix.
Il y eut ces années là, par tout le pays, tant de larmes. »
Yves YGER
Yves.yger@laposte.net
2 commentaires
Un herbier partiel d’une « Belle Epoque ». En effet l’été 1914 voit la disparition d’un monde et peut-être celle de ce début d’herbier. Non faute de combattants mais peut-être pour cause de combattant. Il est comme tel, émouvant en son état juvénil. Et puis l’écrin des lignes de M. Yger lui convient à merveille, il donne vie à ces feuilles séchées, à ces feuillets jaunis. Qui a dit que la botanique pouvait être ennuyeuse ?
Ce texte me touche et j’en remercie l’auteur. Je connais bien cette démarche hésitante qui consiste à tenter de nommer les plantes alors que l’on étudie seul, sans la direction bienveillante d’un aîné ou d’un maître savant.
Ici, la précision des mots pour décrire les sensations, les odeurs, les matières n’a d’égale que la pudeur qui entoure la découverte fortuite d’un destin sans doute dramatique ou du moins brisé. Quel est le poids de la préoccupation botanique dans la tourmente d’une guerre?
Comme un p’tit coquelicot…