Lettre ouverte à Pierre Dupont, disparu le 22 janvier 2017

Hommage.

Hommage.

Pierre Dupont
Pierre Dupont

Cher Pierre,

À bientôt 92 ans, vous venez de nous quitter. Votre connaissance botanique, écologique et phytogéographique, qui s’étendait sur l’ensemble du domaine atlantique européen, en particulier au delà du Massif des Pyrénées, restera dans toutes les mémoires de ceux qui vous ont lu [[Notamment : DUPONT P., 2015 – Les plantes vasculaires atlantiques, les pyrénéo-cantabriques et les éléments floristiques voisins dans la péninsule ibérique et en France. Royan : Société Botanique du Centre-Ouest. 495 p.]] ou côtoyé sur le terrain.

Le hasard (ou un clin d’œil) du calendrier fait que l’annonce de votre décès nous parvient le 2 février 2017, journée internationale pour la protection des zones humides. Comme pour nous rappeler l’importance du travail que vous avez consacré à ces milieux, en particulier dans les grands marais et les estuaires de la façade atlantique française. Vous les avez parcourus en long et en large et vous en connaissiez la flore et la végétation sur le bout des doigts, leur écologie aussi. Vous en avez décrit le fonctionnement général, vous y avez déniché de grandes raretés botaniques, milité pour leur protection, vous en avez dressé l’inventaire floristique, méticuleusement et méthodiquement.
Dans ces zones humides dont l’étude vous passionnait, vous aviez à cœur de comprendre et de montrer comment l’activité humaine, conjuguée à celle des facteurs du milieu et du climat, façonne les paysages, dans une diversité infinie de formes, de couleurs et de nuances.

Dans la lignée d’Henri Gaussen, dont vous aviez été l’élève, la cartographie floristique, en tant qu’outil de visualisation et de transmission des connaissances, est ainsi devenue l’un de vos axes de travail principaux ; d’abord dans le cadre de l’élaboration de l’atlas de Flora europaea, puis par le biais des atlas floristiques [[DUPONT P., 2001 – Atlas floristique de la Loire-Atlantique et de la Vendée. Etat et avenir d’un patrimoine. 2 tomes. Nantes : Editions Siloë, SSNOF, CBN de Brest. 175 + 559 p.
DUPONT P., 1990 – Atlas partiel de la Flore de France. Paris : Muséum national d’histoire naturelle, 442 p.]] que vous avez initiés et conduits, en lien avec de nombreux botanistes, amateurs pour la plupart.

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Vous aimiez transmettre cette connaissance, aux générations d’étudiants et d’étudiantes que vous avez formé.e.s en tant que professeur à l’université de Nantes notamment, mais aussi à celles et ceux qui pouvaient agir, à un titre ou à un autre, en faveur de la conservation de la nature. Car, si vous étiez un phytogéographe hors pair, vous étiez aussi un homme engagé qui n’a jamais ménagé son temps et sa peine pour tenter de convaincre que protéger la nature était – et reste – une évidence, un besoin vital, une nécessité absolue pour les humains et les non humains. Dès les années 1960, à l’heure où l’on ne parlait ni de développement durable, ni de stratégie pour la biodiversité, ni de schéma de cohérence écologique ou de coopération territoriale, vous aviez compris (et nous avez enseigné) que l’action de conservation se jouait à tous les niveaux : sur le terrain auprès des gestionnaires, et notamment des agriculteurs que vous avez eu à cœur de comprendre, d’accompagner et de former, mais aussi auprès des responsables des collectivités locales et des services de l’état pour qui vous avez mené un nombre impressionnant d’expertises, souvent à titre bénévole.

Cet engagement, qui n’a pas joué en la faveur de votre carrière universitaire, nous en tirons pourtant des bénéfices collectifs incontestables. Certes vous avez « perdu » un certain nombre de combats difficiles comme celui contre le barrage d’Arzal dans les marais de la Vilaine, dont vous avez tellement regretté la construction et la perte consécutive de centaines d’hectares de prairies inondables subhalophiles. Mais en revanche, c’est grâce à vos études et à votre ténacité qu’on doit aujourd’hui la survivance de nombreuses zones d’importance majeure pour la biodiversité. On pense bien sûr aux marais de Donges et de l’estuaire de la Loire, dont vous avez aidé, avec le Parc naturel régional de Brière, à définir les conditions d’une bonne gestion. On pense aussi aux dunes de la Tresson en Vendée pour lesquelles, en lien avec le Conservatoire botanique national de Brest, un projet d’aménagement particulièrement destructeur a été stoppé. On pense encore à la dune vendéenne de la Belle Henriette, haut lieu de la biodiversité littorale atlantique dont vous n’aviez de cesse de rappeler l’importance d’une protection contre les effets négatifs du tourisme de masse, et qui est aujourd’hui classée en réserve naturelle nationale.

La liste exhaustive de vos actions en faveur du patrimoine naturel est impossible à dresser ici mais il nous faut rappeler un point essentiel : votre soutien actif à la préparation de la mise en place du premier Conservatoire botanique en France, porté au début des années 1970 par Jean-Yves Lesouëf et soutenu par la Société pour l’étude et la protection de la nature en Bretagne (aujourd’hui Bretagne Vivante), dont vous étiez alors vice-président.

Plus tard, à nos côtés en 1987, vous avez été l’un des artisans du premier colloque national consacré à la conservation de la flore, colloque à la suite duquel les démarches ont été engagées auprès du Ministère en charge de l’environnement pour que soit créé un réseau de Conservatoires botaniques nationaux (CBN). Trente ans plus tard, la France est riche de 11 CBN, dont les élu.e.s et les salarié.e.s déploient les valeurs que vous portiez et le projet que vous défendiez : développer les connaissances sur la flore et la végétation et les mettre au service de la conservation des espèces et des milieux « naturels » en employant pour ce faire tous les moyens nécessaires : information du public, accompagnement des gestionnaires et appui aux services des collectivités et de l’état.

Vous avez, tout au long de votre carrière, été d’une grande discrétion, souvent absent des podiums, par choix ou non. Mais vous nous laissez en héritage une œuvre considérable, dont nous rendrons compte à une autre occasion. Surtout, vous laissez derrière vous de nombreuses femmes et hommes qui suivent le sillon que vous avez tracé il y a plus de 60 ans. À travers nous, vous êtes bien vivant.

Monsieur Dupont, merci pour tout !

Sylvie Magnanon,
pour l’équipe du Conservatoire botanique national de Brest.

Photographies : Hermann Guitton et Guillaume Thomassin (CBN de Brest)

Ce texte sera publié dans le numéro 31 de la revue E.R.I.C.A., à paraître en mai 2017.

1 commentaire

  1. Je suis également touché par le décès de Pierre Dupont. C’est toute une mémoire de la botanique armoricaine et de France qui disparaît. Et de notre jeunesse aussi.

    Je crois qu’il faut aussi rappeler son militantisme pour l’enseignement de la botanique, et de toutes les autres disciplines naturalistes, à l’Université. Si je me souviens bien, il avait fait une intervention à ce sujet au deuxième colloque de Brest sur les plantes menacées de France (1997).

    Quelqu’un aussi qui prenait le temps de faire de longs courriers pour remercier des correspondants bénévoles, discuter de leurs observations, dire ce qui était intéressant et pourquoi, attirer l’attention sur des problèmes de détermination… Avant de les transmettre à Brest.

    Quelqu’un qui a notamment élaboré la Liste des espèces protégées en région Pays de la Loire (1993) et sans doute très largement contribué à la liste nationale. Toujours actuelles.

    Quelqu’un qui est tout de même l’un des auteurs de « Flore et végétation du Massif armoricain » !

    Quelqu’un qui s’intéressait à la distribution des plantes en Europe et ailleurs, pas seulement dans un cadre administratif franco-français.

    Ou tout simplement qui venait partager des herborisations sur le terrain.

    Bref, quelqu’un qu’il n’est pas du tout question d’oublier.

    Comme disent certains : « On continue et on ne lâche rien ! ».

    Franck Hardy

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