L’artiste-peintre et naturaliste Anna Maria Sibylla Merian #MissionBotanique

Dans un contexte où les sciences restent hermétiques aux femmes et où les voyages scientifiques sont rarissimes, Anna Maria Sibylla Merian (1647-1717), artiste-peintre et naturaliste allemande, est une singularité au sein de l’histoire naturelle. Son expédition au Suriname à la fin du 17e siècle, en solitaire, fut le point d’orgue d’une vie consacrée à la description et à l’étude de la faune et de la flore.

1. Biographie

Anna Maria Sibylla Merian (artiste inconnu). Wikimedia Commons
Anna Maria Sibylla Merian (artiste inconnu). Wikimedia Commons

Fille de Matthäus Merian l’Ancien et de Johanna Sibylla Heim, Anna Maria Sibylla Merian naquit le 2 avril 1647, à Francfort-sur-le-Main. Ayant grandi au sein d’un cercle social artistique, elle développe rapidement un talent pour la peinture, le dessin et la gravure, et produit ses premières aquarelles à l’âge de 8 ans. Fascinée par les chenilles, qu’elle observe et capture dans les parcs et jardins de Francfort, Merian s’emploie à dessiner ses observations scientifiques. Ainsi, à l’âge de 13 ans, elle peint déjà ses premières images d’œufs, de chenilles, de papillons et de plantes, qu’elle regroupe dans un carnet en y annotant le régime alimentaire, le comportement et le moment des métamorphose de ses sujets d’études. Un carnet retrouvé à la fin du 20e siècle, indique que Merian avait parfaitement connaissance du cycle de vie des papillons, dans un contexte où la théorie aristotélicienne de la génération spontanée était encore largement répandue et quelques années avant les travaux de Francesco Redi sur le sujet (1668).

Déménageant à Nuremberg avec son mari et ses deux filles, Merian continue son travail sur la métamorphose des insectes et publie en 1679 le résultat de ses investigations : La merveilleuse transformation et l’étrange nourriture florale de la chenille, un ensemble de gravures annotées ayant la particularité de représenter les insectes associés à leurs plantes hôtes. Merian met ainsi en évidence la spécificité du régime alimentaire de certaines espèces de lépidoptères, et définit des couples prédateur-proie comme le Paon-du-jour (Aglais io) avec la grande ortie (Urtica dioica). Dans chacune de ses œuvres, la plante occupe la majeure partie de l’espace et est tellement bien dessinée que son identification se fait naturellement. Les espèces décrites, sauvages comme cultivées, restent somme toute communes et déjà connues des botanistes.

Âgée de 38 ans, Merian divorce en 1685 et part vivre avec ses deux filles chez son beau-frère, dans une communauté jésuite en Hollande. Elle découvrit là-bas une collection entière d’espèces de papillons provenant du Suriname, une des nombreuses colonies de l’empire commercial hollandais. Ces espèces, très peu connues, différaient radicalement des spécimens que Merian avait observés jusqu’ici, de par leurs couleurs et leurs tailles. Après un passage à Amsterdam et quelques années de recherches infructueuses au sujet de ces lépidoptères tropicaux, Merian quitta l’Europe, accompagnée de sa fille cadette, en direction du Suriname. Elle est alors âgée de 52 ans.

2. Voyage au Suriname : 1699 – 1701

Après deux mois de voyage difficiles, Merian et sa fille accostèrent à Paramaribo en juillet 1699, pour ce qui constitue l’un des tous premiers voyages scientifiques de l’histoire. Son travail de naturaliste commença autour de la capitale où elle entreprit, comme à Francfort, de dessiner les plantes sauvages et cultivées dans les jardins de la ville et dans la jungle environnante.

Carte du Suriname. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Carte du Suriname. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Elle y ajouta cette fois, en plus des insectes hôtes, des espèces d’amphibiens, de reptiles ou d’arachnides. Moquée par des colons européens ne s’intéressant qu’à la culture du sucre, Merian se rapprocha des esclaves africains et amérindiens, grâce à qui elle put rejoindre Providentia à l’intérieur des terres. Elle découvrit ainsi les propriétés curatives et médicinales des espèces végétales locales : Merian racontera plus tard que les femmes réduites en esclavage utilisaient une plante spécifique pour induire un avortement, afin que leurs enfants ne subissent pas le joug de l’esclavage à leurs tours.

L’artiste-peintre effectua également un travail que nous pourrions qualifier aujourd’hui d’éthologie. Merian décrit et expliqua entre autres le système de procession des chenilles, les ponts créés par les fourmis coupe-feuille et les avantages liés à la morphologie des doigts de grenouilles. Elle démontrera que chaque espèce de papillons, au stade de chenille, dépend d’un petit nombre de plantes pour sa nourriture et qu’en conséquence, les œufs sont pondus près de ces plantes. Merian contracta le paludisme, mais poursuivit malgré tout son périple, étudiant et dessinant les espèces animales, végétales et minérales qu’elle croisa. Elle repartit du Suriname en juin 1701, avec dans ses bagages dessins, aquarelles, insectes, coquilles, carnets de notes et à peu près tout ce qu’elle put emporter avec elle.

Planche 27 de Metamorphosis insectorum Surinamensium. Au centre, Solanum mammosum par Maria Sibylla Marian. Wikimedia Commons
Planche 27 de Metamorphosis insectorum Surinamensium. Au centre, Solanum mammosum par Maria Sibylla Marian. Wikimedia Commons

De retour à Amsterdam, Merian travailla durant trois ans sur ce qui deviendra l’œuvre la plus importante de sa vie, Metamorphosis insectorum Surinamensium, qu’elle finança en vendant ses toiles. Cet ouvrage, contenant 60 gravures en couleurs réalisées à partir de ses dessins, offrit aux naturalistes et artistes de l’époque les portraits étonnamment réalistes de centaines d’espèces animales et végétales exotiques.

La plupart des insectes, amphibiens et reptiles étaient inconnus des naturalistes. Concernant les plantes, si les espèces importées d’Amérique du Sud comme la grenade ou la figue étaient familières à ses contemporains, l’œuvre de Merian présenta des espèces végétales peu ou pas connues, tel que la Carmantine Rouge (Pachystachys coccinea).

3. Héritage

Bien que principalement appréciés pour la qualité artistique de ses illustrations à sa sortie, Metamorphosis insectorum Surinamensium et les travaux de Merian furent utilisés, cités et parfois même plagiés à de nombreuses reprises au cours du siècle suivant. Des naturalistes européens comme René Réaumur ou John Ray avaient parfaitement connaissance de son travail. Carl von Linné cita Merian plus d’une centaine de fois à travers Species Plantarum (1753) et Systema Naturae (1758), ignorant même certaines planches de Metamorphosis insectorum Surinamensium car n’ayant aucunes connaissances des espèces décrites.

Ses œuvres furent, des siècles durant, une référence dans le domaine de l’illustration scientifique. Outre la qualité artistique de ses travaux, Merian prouva qu’il était possible et pertinent de représenter de petits animaux et insectes en amplifiant leurs tailles, tant qu’ils restaient proportionnels à leur environnement. Elle fut d’ailleurs la première à dessiner les espèces qu’elle étudiait dans leurs milieux naturels.

Le monde scientifique a reconnu sa contribution importante au développement des savoirs et plusieurs espèces ont été baptisées en son honneur, dont Metellina merianae (1763), Salvator merianae (1839) ou encore Pseudi merianae (1841).

Tombé dans l’oubli au 19e siècle, le travail de Merian fut redécouvert et honoré il y a une cinquantaine d’années. Son portrait fut imprimé sur les billets de 500 Deutsche Mark en Allemagne et sur des timbres en Allemagne et aux États-Unis.

Les dessins de plantes, serpents, araignées, iguanes et coléoptères tropicaux exécutés de sa main sont aujourd’hui encore considérés comme des chefs-d’œuvre et sont collectionnés par les amateurs du monde entier.

4. Bibliographie

  • Catherine M. Nutting (2011) Crossing Disciplines: The Fruitful Duality of Maria Sibylla Merian’s Artistic and Naturalist Inheritances, Dutch Crossing, 35:2, 137-147, DOI: 10.1179/155909011X13033128278597
  • Maria Sibylla Merian (1647-1717) as a Botanical Artist, William T. Stearn, Taxon, Vol. 31, No. 3 (Aug., 1982), pp. 529-534.
  • Maria Sibylla Merian: Recovering an Eighteenth-Century Legend, Sharon Valiant, Eighteenth-Century Studies, Vol. 26, No. 3 (Spring, 1993), pp. 467-479.

L'auteur de cet article

Cet article a été écrit par Alexandre Pierre.

Il vous est proposé dans le cadre de la #MissionBotanique lancée par Tela Botanica. Plusieurs articles sur l’histoire de la botanique vous sont proposés dans le cadre de cette campagne de communication.

12 commentaires

  1. Merci beaucoup pour votre article très passionnant. Existe-t-il un lien entre cette artiste etla fondation Merian à l’origine du Parc « grun 80 » près de Bâle ? J’habite dans l’est de la France et j’ai déjà
    Souvent eu l’occasion de m’y rendre. Un véritable poumon vert . Il date d’une quarantaine d’annees.
    La ténacité de cette femme me passionne, elle est allée au bout d’elle même. Cordialement. Marck R.

    1. Bonjour,

      Merci pour votre commentaire, ça me touche beaucoup !

      Concernant la fondation Merian à l’origine du parc, c’eût été trop beau. J’ai la tristesse de vous annoncer qu’il s’agit de Christoph Merian, banquier et homme d’affaire ayant vécu au 19e siècle. La vie est injuste.

      En revanche, si vous avez l’occasion de vous rendre sur Vénus, un cratère porte le nom d’Anna Maria. Et je suis presque certain qu’aucun banquier ne fera aussi bien 🙂

      Alex

  2. Merci pour vos recherches. Je la connaissais, mais mal. Il y a quelques années, le jardin de Kew a exposé des dessins , mais c’était l’heure de fermeture! Je n’ai pas pu l’admirer vraiment.
    C’est aussi une de ces maitresses-femmes, intrépides, pour voyager au Suriname à son époque.
    Je vois que les sources sont anglaises. Quand un éditeur français osera-t-il s’en emparer?

    Mme Flageollet, Grenoble

  3. J’ai consacré une page de Pl@ntUse à cette artiste, et entrepris de mettre ses illustrations et de les identifier. Mais il est faux de mettre « crédit Wikipédia ». D’abord, ce n’est pas Wikipédia, mais Wikimedia Commons, qui est un éditeur de médias et pas un auteur. Le portrait est d’un artiste inconnu, et l’illustration de Solanum mammosum est de Maria Sibylla Marian, pas de Wikipédia !

    Toutes ses illustrations sont sur Wikimedia Commons, à la catégorie Metamorphosis insectorum Surinamensium – Merian.

  4. Petite participation à votre article : plasticienne j’ai réalisé une nouvelle série sur le thème des abeilles qui reprennent l’esthétique des planches anciennes de Maria Sibylla Merian, que j’admire. Cette série aux crayons de couleur évoquant toutefois une nouvelle réalité : la mortalité des abeilles par la pollution des substances chimiques et les pesticides utilisés dans l’agriculture. A découvrir : https://1011-art.blogspot.com/p/vous-etes-ici.html

    Mais aussi dans le même esprit, les dessins du confinement sur le monde aquatique : https://1011-art.blogspot.com/p/ordre-du-monde.html

  5. A signaler un livre très documenté et richement illustré, édité à ses frais par Suzel Crouzet-Henry, passionnée par la vie et la personnalité de la botaniste (également entomologiste): « Entre Nature, Art et Science, Maria Sibylla Merian ».
    Vous pouvez trouver ses références et vous procurer l’ouvrage en tapant le nom de Suzel Crouzet-Henry sur google

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