Le sauvage est notre avenir

Notre société a peur, ignore, abhorre, refuse le sauvage. Pourtant, sans l'extraordinaire dimension qu'il apporte à la nature, sans ses rôles, où allons nous ? Cette courte tribune publiée dans Reporterre plaide pour que demeure ce qui est l'essence même de la vie sur terre.

Notre « civilisation », explique l’auteur de cette tribune, se définit par son mépris, sinon le dégoût, des « choses de la nature ».

L’auteur de Nos forêts en danger, publié aux éditions Atlande en 2017, est forestier, écologue et s’investit dans de nombreuses ONG régionales et nationales traitant de la forêt et de ses enjeux. Il fait aussi partie de l’Agence régionale pour la biodiversité en Nouvelle-Aquitaine et des experts forêts du comité français de l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature.

« Un jour viendra où l’on jugera notre société non à la manière dont elle a dominé la nature, mais à la part de sauvage qu’elle aura été capable de sauvegarder » Robert Hainard, cité dans À la découverte de la France sauvage, de A.Persuy, Le sang de la Terre, 2013

Cette citation de Robert Hainard illustre parfaitement une des questions fondamentales posées par l’arrogance de notre « civilisation » et la totale déconnexion des choses de la nature que montrent une majorité de nos contemporains : qu’une malheureuse herbe s’entête à conquérir quelques bas de murs, quelques bordures de trottoir en ville, la voici immédiatement condamnée par des citadins en mal de béton. Qu’un téméraire renard ose poser les pattes nuitamment sur quelque artère urbaine, l’indignation sélective de certains ne manque pas : un animal SAUVAGE en ville ? Vous n’y pensez pas !

Cyanus segetum Hill
Bleuet,Cyanus segetum Hill par Martine Bénézech - Tela Botanica CC BY-SA

Quant à ceux qui se hasardent en pays étranger, c’est-à-dire en forêt, bien souvent leur hardiesse se limite à faire cent mètres à côté de la voiture… Mais certains regardent sans doute sur leur iPhone, tablette ou écran télé des documentaires animaliers confortables : pas d’odeurs ni de météo désagréable : une nature offerte et aseptisée ! Tout ce qui échappe à la maîtrise humaine, au contrôle, à la mise en équations, perturbe

Parler de boisements en libre évolution, c’est-à-dire livrés au lent déroulement des mécanismes naturels, à la course lente du temps et à ses stigmates, fait horreur à certains : tout ce qui échappe à la maîtrise humaine, au contrôle, à la mise en équations, perturbe. Jusqu’à certains professionnels de la nature : qui n’a vu des terrains « protégés » affublés de panneaux informatifs sophistiqués, voire de sculptures et autres éléments d’aménagement, comme si la simple contemplation était suspecte de ringardise ?

La friche, le marais, le lierre, la ronce, le bois mort, la lande, autant de mal aimés, d’incompris, de vilipendés, car synonymes, révélateurs d’espaces perdus… mais perdus pour qui, au fait ? Les promoteurs, les bétonneurs, les aménageurs ? Certes pas pour l’ortie, le petit mammifère, l’araignée, le passereau et le papillon, la fleur sauvage et le silence réparateur.

En un autre siècle, des civilisations autres que la nôtre étaient qualifiées de sauvages, donc de primitives, termes se rejoignant dans l’opprobre et le déclassement : alors même que ces peuplades n’avaient que très rarement détruit leur environnement, destruction qui est une des belles preuves de civilisation que notre société productiviste persiste à étaler au gré de ses appétits. Savoir admirer la magie des plumes, des rameaux, des herbes et des vents, des épines et des ombres, des mousses

Nonobstant le « bon sauvage » cher à Rousseau, nous avons partout méprisé, écrasé ce qui n’était pas nous, imposé notre pouvoir, notre religion, notre technologie, ivres de puissance et de fatuité.

L’animal sauvage est réputé res nullius [sans maître, mais appropriable]. Il est livré « au plus tirant » ! traqué et tué au gré des lobbys et de ceux qui ne voient en lui qu’objet de loisir, en lui déniant tout droit d’existence.

Il est alors grand temps de célébrer le sauvage, de savoir admirer la magie des plumes, des rameaux, des herbes et des vents, des épines et des ombres, des mousses et de leur espace de libre expression, ce jardin de nature qui vit s’épanouir l’incroyable diversité du vivant.

Nous en sommes comptables : le sauvage, que d’aucuns voudraient rejeter dans le passé, est notre avenir, si tant est que nous soyons encore demain ouverts à l’émerveillement de l’altérité.

8 commentaires

    1. Je souhaitais faire un commentaire similaire mais vous m’avez coupé l’herbe (mauvaise ?) sous les pieds.
      Très joli plaidoyer.
      Didier.

  1. Paysagiste pendant trente ans, formaté en quelque sorte « maître de la nature dans les jardins » je me suis cru longtemps artisan au service de la nature.
    D’un bout de nature entre quatre murs, peut-être, mais surement pas de LA nature.
    Sensibilisé depuis peu à la merveille du vivant sauvage, je mesure ma fausse route.
    Je n’ai aucun regret car je pense avoir fait moindre mal que ce que j’aurais pu faire dans d’autres activités professionnelles, mais je me dis aujourd’hui : « Si j’avais su !!! »
    Il faut absolument, aujourd’hui, faire en sorte que tous le monde sache.

  2. Votre plaidoyer est excellent, mais attention ! Les guêpes, les frelons, les vipères, les champignons vénéneux font partie de la nature (en deux ans, j’ai deux fois failli marcher à côté d’une vipère), et un arbre mort d’une forêt en libre évolution peut toujours vous tomber dessus. Les amis de la nature doivent en prendre leur parti ; ne pas nier une certaine peur mais la maitriser.

    Il y a aussi la question des espèces invasives. Le vison d’Amérique achève de remplacer le vison d’Europe ; de nombreuses espèces de plantes venues d’ailleurs menacent la flore indigène, par exemple celle des bords de route. Faut-il les détruire, ou bien laisser la nature évoluer dans sa grande sagesse, sans intervention de notre part ? Il y a des arguments des deux côtés.

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