Glanes étymologiques: calcitrapa, Tribulus, Trapa, des plantes qui nous veulent du mal ?

On doit à Linné l'introduction de l'épithète calcitrapa pour son Centaurea calcitrapa L. (1753). Ultérieurement, les botanistes ont donné cette épithète à pas moins de 18 espèces, la plupart à fortes épines. Linné cite Charles de l'Ecluse (1601, Rariorum plantarum historia, Livre 4, VII) : Carduus muricatus vulgo Calcitrapa dictus [Chardon épineux, appelé populairement Chausse-trape].

Pour le français chausse-trape, le Französisches Etymologisches Wörterbuch (2, 65) donne les attestations suivantes : chauche-trepe, fin XIIIe, chausse-trape, 1400, calcatrippa, gloses du Xe, et ajoute : « ces chardons sont si piquants que, quand on marche dessus avec les pieds nus, on sursaute ». Le mot serait formé de chauchier, calcare, « marcher dessus », et treper, trippon, « sauter » (dérivé : trépigner). Il existe aussi en italien.

C’est donc un nom populaire apparu au Moyen-Age, cité par les botanistes pré-linnéens, et retenu par Linné.

Un deuxième sens existe, celui de « piège pour animaux, muni de pointes ». Ce sens serait un calque sémantique du latin tribulus. Venons-en donc à Tribulus. Là, c’est un mot qui nous vient du grec ancien, τρίβολος – tribolos, qui a pu désigner Fagonia cretica, Trapa natans, Tribulus terrestris et Xanthium spinosum, toutes plantes à fruits hérissés de pointes.

Les botanistes pré-linnéens, comme Bauhin (Pinax, 1623, 194) distinguaient le Tribulus terrestris (qui a gardé ce nom) et le Tribulus aquaticus. Pour ce dernier, Linné a créé le genre Trapa, et l’a appelé Trapa natans (1753). Linné semble avoir emprunté le nom au français trappe, par analogie avec chausse-trape, équivalent sémantique de tribulus, qui signifie aussi « engin à quatre pointes que l’on jetait devant ses ennemis ».

Reste une curiosité : une autre espèce, Valeriana calcitrapae L. (1753), aujourd’hui Centranthus calcitrapae, n’est pas du tout piquante, et de plus, calcitrapae est au génitif. Pour comprendre cette bizarrerie, il faut remonter à Bauhin, que cite Linné :

Caspar Bauhin, 1671, Pinax, 164 : Valeriana foliis calcitrapae [Valériane à feuilles de chausse-trape]. Bauhin cite de Charles de l’Ecluse, 1601, Rariorum plantarum historia, LIV, Chap. XXXVII : Valeriana annua seu æstiva. instar foliorum Calcitrapem vulgo appellatem, sive Cardui muricato capite [Valériane annuelle ou d’été, appelée Calcitrapa pour ses feuilles, ou Chardon à tête épineuse]. Linné a donc gardé le génitif calcitrapae d’après Bauhin. Le sens est devenu obscur, mais c’est donc « valériane à feuilles de chausse-trape ».

Les liens vers toutes les références sont sur Pl@ntUse.

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Fleur à bractées épineuses de Centaurea calcitrapa

7 commentaires

    1. Merci de ton appréciation. Quand j’ai lu ton nom, cela me disait quelque chose. Bizarre de retrouver une camarade de promotion cinquante ans après… Je vois que les plantes t’intéressent ?
      Amicalement,

  1. Merci beaucoup pour cette recherche savante, très originale et passionnante – peut-être pour d’incorrigibles érudits ? Je me suis imaginé donnant cette précision dans un groupe botanique, et j’ai compris tout de suite que je serais pédantesque ! A la lecture en revanche, je ne boude pas mon plaisir, d’autant que l’introduction amusante autour la chanson de Pauline Carton que beaucoup d’entre nous ont encore à l’esprit, est d’une élégance du meilleur goût.
    Joël Michel

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  2. Je suis un peu en décalage, en commentant l’article sur le palétuvier sous la rubrique calcitrata. Mais entretemps, j’ai mieux compris qui était Michel Chauvet était et j’ai recopié la recette des choux de Bruxelles au haddock !

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