Plumier et les bégonias

On lit partout que c'est Charles Plumier qui a créé le nom Begonia en l'honneur de Michel Bégon, intendant général de St-Domingue (Haïti) au XVIIIe siècle. J'ai voulu vérifier dans les publications de Plumier, et n'ai rien trouvé. Qu'en est-il vraiment ?

En fait, c’est Tournefort qui a utilisé le premier le nom Begonia dans ses Institutiones rei herbariae de 1700 (p.660, pl. 442). Il crédite Plumier de la création du nom, que ce dernier a peut-être utilisé dans ses dessins non publiés :

Begoniam appellavit Clariss. Plumerius tanquam perenne observantiæ suæ monumentum erga illustriss. D.D. Bégon, Regi ab intimis consiliís & rei nauticæ præfectum in orâ Santonum.

[L’illustre Plumier l’a appelé Begonia pour rappeler sa considération durable envers l’illustre D.D. Bégon, conseiller personnel du Roi et intendant de la marine à l’embouchure des Santons [Rochefort].] trad. MC.

Linné a repris ce nom de Begonia dans son Species Plantarum de 1753, en citant Tournefort. Sous l’espèce Begonia obliqua, il cite sept espèces de Plumier.

De plus, dans Hortus cliffortianus (1738, p. 76), il fait l’éloge de Plumier à propos du Plumeria :

Dictum fuit hoc genus in honorem egregii istius Botanici, vereque Tournefortii Americani, Caroli Plumieri, qui triplici itinere plantarum captus amore, novasque visendi desiderio, sexies infido mari longissimo itinere sese ausus fuerit committere, quique fere solus fuit, qui aliquid in arte præstitit inter tot americanarum plantarum descriptores. Utinam prodirent plures Plumerii americani.

[Ce genre a été ainsi appelé en l’honneur de ce botaniste, vrai Tournefort américain, Charles Plumier, qui, prix d’amour des plantes lors de trois voyages, en examinant de nouvelles par désir, a entrepris par six fois un long voyage sur une mer peu sûre, bien qu’il fût presque seul, et qui a excellé dans l’art pour tant de descriptions de plantes américaines. Pourvu que se révèlent plusieurs Plumier américains.] trad. MC.

On voit donc que le rôle de Plumier était tout à fait reconnu par Tournefort et Linné. Mais sa postérité botanique est bien mince par rapport à sa réputation de son vivant. Comme l’écrit Fournier, « il est venu cinquante ans trop tôt ». Les nombreux noms qu’il a créés sont attribués à Linné, point de départ de la nomenclature botanique. Et les botanistes ont pris la fâcheuse habitude de délaisser les auteurs pré-linnéens, plongeant Plumier dans l’oubli.

On ne peut citer les publications de Plumier sans parler de Tournefort. Celui-ci a puisé dans les publications et les dessins de Plumier pour ses Institutiones rei herbariae de 1700, où il décrit les genres. Juste après, Plumier publie Nova plantarum americanarum genera (1703), où il ajoute de nombreux genres à ceux de Tournefort (mais pas le Begonia, puisqu’il avait déjà été décrit par Tournefort). Il ajoute en annexe un Catalogus plantarum americanarum, où il décrit des espèces dans des genres déjà publiés par Tournefort, dont six Begonia.

Dans le Nova plantarum americanarum genera, Plumier crée 69 noms en l’honneur de botanistes connus, dont : Bauhinia, Clusia, Commelina, Cordia, Dioscorea, Fuchsia, Hernandia, Lobelia, Lonicera, Magnolia, Malpighia, Maranta, Matthiola, Parkinsonia, Pereskia, Pisonia, Tabernæmontana, Ximenia. Plumier est le premier botaniste à avoir repris la tradition de nommer des plantes d’après des personnes, tradition qui se limitait auparavant à l’antiquité et à la mythologie, et qu’il a étendue aux botanistes. Linné a accepté ces noms quand ils étaient bien formés suivant ses critères, ce qu’il explique en détail dans sa Critica Botanica (1737). Il ne retenait par exemple que les noms de famille, et a transformé Eresia en Theophrasta, Coa en Hippocratea, Valdia en Ovieda

Plumier crée aussi 31 noms dérivés de noms vernaculaires, dont : Cainito, Inga, Mangles, Isora, Bonduc, Vanilla, Calaba, Ceiba, Sapota, Monbin. Mais pour Linné, c’étaient là des « noms barbares » inacceptables, dont il a relégué certains en épithète spécifique. Il faut attendre Miller (1754) pour reconnaître Ceiba, Inga et Vanilla comme noms de genre.

Ce n’est pas tout. Il y aurait au Museum national d’histoire naturelle environ 4800 dessins de plantes par Plumier. Voici ce qu’en disait son biographe Paul Fournier en 1932 :

« N’est-il pas profondément regrettable que de tels trésors restent inconnus ? C’est l’occasion de reprendre le vœu de Triana et Planchon, inexaucé depuis soixante-cinq ans : « Il serait digne assurément d’un gouvernement ami des sciences et fier de ses gloires, de publier l’œuvre originale de Plumier, œuvre aussi remarquable par la beauté des dessins que par l’exactitude des descriptions. Alors seulement on poserait une base solide au premier édifice de la flore des Antilles, véritable monument que l’incurie des contemporains de Plumier laissa vaguement esquisser par des étrangers au lieu de le montrer en pleine lumière comme un chef-d’œuvre national » ».

Près de 90 ans plus tard, ces dessins mériteraient d’être scannés et mis en ligne. Ce serait le meilleur hommage que l’on puisse faire à Plumier, botaniste précurseur mais aussi dessinateur infatigable.

Mais revenons-en aux bégonias. Si Plumier est le premier a avoir décrit les Begonia sous ce nom, une recherche rapide permet de trouver deux illustrations antérieures. L’une est de Hernández , réalisée avant 1577, mais publiée en 1651. L’autre vient du Hortus Malabaricus de van Rheede, publié en 1689.

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Totoncaxoxo coyollin, Hernández (1651)
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Tsjeria-narinampuli, ''Hortus Indicus Malabaricus'' (1689)

9 commentaires

  1. Très instructif, et pour en savoir plus sur les Bégonias et M Begon ;
    Visitez le « Conservatoire du Bégonia » à Rochefort (17) et vos bégonias d’appartement, de balcon ou de plate-bande vous paraîtront bien pâles !
    Et voyez le site de ce même conservatoire pour mieux connaître M Michel Begon
    « http://www.begonia.rochefort.fr/default.htm »
    Bonne visite et lecture
    Michel

    1. Je mentionne bien sûr le conservatoire de Rochefort dans ma page sur le genre Begonia. J’ai aussi reproduit la biographie de Plumier par Fournier. Mais j’ai essayé de contacter le conservatoire au début de ma recherche, sans succès.

  2. Une grande partie des manuscrits et des illustrations de Plumier sont bien numérisés sur le portail de la bibliothèque du Muséum national d’Histoire naturelle, par exemple le manuscrit Ms 10 «Synopsis botanica plantarum jam cognitarum… opera P. Caroli Plumier, Minimi, botanici regii. Anno 1703 », dont l’index permet bien de repérer la mention du bégonia :

     » https://bibliotheques.mnhn.fr/EXPLOITATION/infodoc/digitalCollections/viewerpopup.aspx?seid=MNHN_MS10  » ,

    et dont les fleurs et le fruit sont représentés : voir p. 133-134 (élément 231-232) et p. 160 = élément 258)

    On y retrouve aussi les manuscrits qui ont servi de base à la publication de son « Histoire des fougères de l’Amérique ».

    1. Merci pour ce lien. J’avais cherché sur le site du Muséum, sans trouver. Ce qui est bizarre, c’est qu’il y a deux pages de titre. La première porte Botanicum parisense, titre que je connaissais. L’autre plus loin porte Synopsis botanica plantarum…

      Cela dit, je ne vois ni index ni fiche bilbliographique. Le site ne numérote pas les pages, et je n’ai pas vu si on pouvait télécharger tout le manuscrit, ce qui est la seule façon de travailler correctement avec un site aussi mal fait.

      On ne peut pas non plus remonter à la liste de tous les manuscrits numérisés. Avez-vous l’adresse de Histoire des fougères de l’Amérique ?

    2. Il n’y a pas une à proprement parler une liste de tous les manuscrits, mais deux façons de chercher :

      – le catalogue Calames http://www.calames.abes.fr/pub/mnhn.aspx est le catalogue des archives et manuscrits. La notice du Ms 10 donne le lien vers sa numérisation.

      – la case Rechercher du portail des bibliothèques du Muséum https://bibliotheques.mnhn.fr/ permet aussi de chercher dans les collections numérisées (menu déroulant, au lieu du catalogue Muscat des imprimés). Une recherche avec « Plumier » dans cette bibliothèque numérique rapporte 370 résultats (beaucoup d’images isolées) , mais on peut restreindre aux manuscrits seulement , dont deux traitent de fougères : le Ms 1 Filicetum americanum, et Ms 8 Pteridographia

      Je suis d’accord avec vous sur le fait que d’autres bibliothèques numériques sont plus ergonomiques… D’un autre côté, le service de renseignements de la Bibliothèque centrale est très réactif, et en complément, à la Bibliothèque de botanique nous sommes toujours prêtes à aider les chercheurs à s’y retrouver dans ces collections pléthoriques.

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