Cannabis, normes, légitimités et gestion des interdits dans le Rif (Maroc)
Faisant la synthèse des témoignages qu’il a recueillis auprès des acteurs de la filière cannabis et de ses propres observations effectuées sur le terrain entre 1978 et 2019, à l’occasion d’une vingtaine de missions dans le Rif, Jamal Bellakhdar apporte aux chercheurs travaillant sur cette thématique un matériel ethnographique d’un grand intérêt, et ce d’autant plus qu’il se décline sur une période de 40 ans et qu’il livre à notre entendement la parole des voix les moins audibles dans le face à face tendu qui oppose les légitimités traditionnelles et les légitimités normatives d’État.
Chez les populations du massif rifain – une société dans laquelle religion et cannabis occupent tous deux une grande place – un conflit oppose depuis un peu plus d’un demi-siècle les acteurs de l’économie locale aux autorités administratives et religieuses sur la question de savoir si l’activité canna-bique est conciliable ou pas avec les commandements de la religion, le droit moderne, la morale et la santé publique.
Sur le plan idéologique, cette situation conflictuelle peut être appréhendée comme résultant du choc de deux légitimités opposées, l’une se réclamant de l’obligation d’observance des interdits institutionnels auxquels personne au sein d’une communauté ne peut échapper, l’autre d’une situation spécifique et d’un droit historique qui octroient de facto une franchise légale.
Traversant plusieurs sphères, notamment l’économique, le sacré et le poli-tique, ce que l’on peut observer dans ce cas de figure, c’est une opposition radicale entre les légitimités traditionnelles et les légitimités normatives d’État. Ce qui est transgression pour les légalistes n’en est pas vraiment une aux yeux du sous-groupe dissident qui estimera qu’il a juste usé de son bon droit, en vertu d’une pratique historique conférant une légitimité au moins égale à celle qu’on lui reproche de bafouer.
L’espace est en effet pourvoyeur de ressources dont l’existence transforme en cartel d’intérêts le sous-groupe qui les exploite, conduisant à la production de normes et de valeurs spécifiques, pas toujours bien acceptées par le grand groupe même si le consensus communautaire n’est pas remis en cause dans son intégralité. Car un espace économique singulier, devenu facteur fédérateur d’un sous-groupe, peut très vite évoluer en espace contesta-taire rompant avec les anciennes solidarités communautaires et se transformer en cause de dislocation des ensembles plus grands, un risque que ces derniers se refusent généralement à courir. De son côté, ignoré dans sa revendication à bénéficier d’un assouplissement de la règle communautaire, cet espace peut rapidement faire renaître des particularismes ethniques ou régionaux jusque-là dormants et attiser d’anciens griefs.
Nous ne portons pas de jugement sur la validité ou la non validité des points de vue exprimés par les uns ou par les autres car notre but ici n’est pas d’intervenir dans le cœur de ce débat, L’objet que nous nous sommes donné est simplement de tenter de spécifier, à partir de nos observations ethnographiques et de nos déductions, les différents points de vue en lice et de les formaliser pour les rendre accessibles à l’analyse sociologique.
Jamal Bellakhdar, pharmacien, docteur en sciences de la vie, chercheur en ethnobotanique
Titre de l'ouvrage Cannabis, normes, légitimités et gestion des interdits dans le Rif (Maroc)
Auteur(s) Jamal Bellakhdar
Éditions, date de publication Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales, collection "Cahiers Libres" n° 8, janvier 2021
Nombre de pages, format ...102 pages, format 120 x 180
ISBN ISSN 2351-9134
Prix indicatif 50 Dh/ 5 euros
http://www.sciencepo.ma
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