Le monarque et la fleur des sables

« Il était une fois un roi seul et mélancolique qui régnait sur un pauvre royaume où il n’y avait guère que du sable et des oiseaux. Et encore ! Ceux-ci ne s’attardaient que le temps de se rafraîchir dans l’eau des salines.

C’était le soir. Le roi se promenait comme à son habitude seul avec son chien dans les marais immenses, dorés et silencieux près de la mer. Il aimait ces moments de calme, propices à faire éclore dans son cœur des passions rêvées… Cerbère, son compagnon fidèle, courrait devant lui, haletant et fébrile.

Soudain le chien qui s’était approché d’un buisson parfumé poussa un hurlement. Une terrible liane lui enserrait le cou prête à l’étrangler. Le roi bondit un couteau à la main et le libéra. Alors qu’il s’apprêtait à tailler en pièce la mauvaise herbe volubile, le buisson, comme giflé par une féroce tramontane, cria :

– Non ! Ne me tue pas…

Une fleur aux yeux en étoile regardait le roi implorant sa clémence.

– Quel est ce sortilège ? dit le Roi.

– Je suis Scammonée, dit la fleur. Mon parfum est divin mais le mal habite mon âme. Hier encore, j’étais une nymphe vivant dans un grand chêne vert mais la sorcière des Asphaltes m’a changé en liane tueuse. Seul le baiser d’un papillon pourrait me rendre mon apparence d’autrefois. Penche-toi vers mes yeux en étoile et tu verras mon vrai visage.

Alors, le roi se pencha et il vit le plus beau visage du monde, rendu un peu flou par un flot de larmes. Amoureux fou de cette image, il décida de se rendre chez la sorcière pour abolir le maléfice.

Dès le lendemain, la sorcière qui était un peu voyante attendait le roi dans son château gris et noir, sur ses terres grises et noires où ne poussaient aucune plante. Dans cette étendue aride, accompagné de son chien rendu à la vie, le roi apparut et lança à la sorcière :

– Je suis ici pour que tu me rendes l’apparence de Scammonée !

– Que ta volonté soit faite, Monseigneur ! cria la sorcière dans un rire énorme.

En un souffle de temps, le roi se transforma en un immense papillon orange et noir et s’envola au plus haut des cieux.

Cerbère pour venger son maître dévora la sorcière des Asphaltes et le pays gris et noir se couvrit de mousses, de fougères, de sapins et de fleurs…

On raconte que le papillon retrouva la fleur et n’hésita pas à l’embrasser. La jolie nymphe repartit vivre dans son chêne vert et garda longtemps un papillon frétillant sur son épaule…

D’autres fleurs s’enroulent encore autour de cet arbre, attendant sans trop y croire, un baiser de papillon… »

C’est une promenade au Lido de Thau qui me donna l’idée de ce petit conte…

La scammonée de Montpellier (Cynanchum acutum L.) appartient à la famille des apocynacées, comme le frangipanier ou le laurier rose. Son nom signifie « étrangle chien » à cause probablement de sa toxicité. On l’appelle « Stanglewort » en Angleterre et « Herbe des francs » en Égypte. On la reconnaît à ses feuilles glauques en forme de cœur et ses fleurs en petites ombelles pédonculées. Elle aime les sols pierreux ou sableux. C’est une espèce protégée en région PACA.

Elle est l’hôte du papillon Danaus chrysippus.

Christian GRENOUILLET est biologiste et conteur. Il anime des balades contées autour des plantes sauvages en Auvergne et Occitanie et est à l’origine de la création d’un jardin de simples à la fontaine Saint Julien de BRIOUDE (Haute-Loire)

Remerciements :

Xavier et Mathieu de l’ADENA, maison des Barmas.
Tela Botanica : page eFlore de la scammonée de Montpellier