Robinson Crusoé et la botanique

Et si nous parlions de Robinson Crusoé ? Ce personnage de roman a longtemps fait rêver de terres lointaines, ce qui n'est pas de trop en ces temps troublés.

J’ai d’abord vu mentionner Robinson Crusoé à l’occasion du nom botanique Flindersia R. Br. (1814), une Rutaceae. Cette plante est dédiée à Matthew Flinders (1774-1814), navigateur et explorateur britannique, qui s’est engagé dans la marine après avoir lu Robinson Crusoé. Il a participé au deuxième voyage à Tahiti du capitaine Bligh, avec le botaniste Robert Brown. Il a cartographié la Tasmanie et l’Australie (qui lui doit son nom), et est resté prisonnier des Français six ans à l’île Maurice.

Comme l’on sait, Robinson Crusoé est un roman d’aventures anglais de Daniel Defoe, publié en 1719 et traduit en français en 1720. L’intrigue du roman se déroule sur une île déserte à l’embouchure de l’Orénoque (Vénézuéla), où Robinson, après avoir fait naufrage, vécut pendant 28 ans. Durant son séjour, il fit connaissance d’un « sauvage » qu’il nomma Vendredi (Friday). L’histoire s’inspire librement de la vie d’Alexandre Selkirk. Celui-ci est un corsaire écossais qui avait été abandonné par son capitaine, mais sur l’une des îles Juan Fernández (au large du Chili), où il est resté seul quatre ans. En 1966, le Chili a renommé l’une de ces îles Alejandro Selkirk et une autre Robinson Crusoe, pour promouvoir le tourisme.

Sur ce, je suis tombé sur le nom Robinsonia DC. (1833), une Asteraceae. Augustin Pyramus de Candolle a donné ce nom en allusion au personnage de roman, pour une plante des îles Juan Fernández. Il existait déjà un nom Robinsonia Scop. (1777), dédié au médecin anglais Tancred Robinson, mais ce nom a été rejeté.

Cinquante ans plus tard, Baillon a nommé Vendredia Baill. (1882) une plante qu’il considérait différente des Robinsonia, mais qui est aujourd’hui un synonyme., L’éponyme est bien sûr Vendredi, le fameux compagnon de Robinson Crusoé.

Woodes Rogers (1716, p. 205-206) donne quelques précisions sur les plantes qui ont permis à Alexandre Selkirk de survivre, en plus des crabes et des chèvres férales que des marins avaient laissées sur les îles.

« Les Arbres de Piment font le meilleur bois de charpente qu’il y ait sur ce côté de l’Isle , qui en est tout rempli, & nous en fimes des buches pour le chaufage. Les Chous y sont excellens & en grande quantité ; la plupart des Arbres qui les portent se trouvent au sommet des Collines, où il faut grimper avec beaucoup de précaution, parce qu’elles sont fort raboteuses, & qu’il y a des trous. Il y avoit aussfi quantité de Navets fur la premiere Plaine, où le terroir est noirâtre, & Mr. Selkirk nous dit qu’ils avoient très-bon goût dans nos Mois d’Eté, qui sont ici ceux de l’Hiver ; mais comme nous étions en Automne, ils étoient déja grénez ; de sorte que nous n’en pûmes cueillir que les feuilles vertes , qui mêlées avec du Cresson , dont les Ruisseaux abondent, servirent beaucoup à guérir nos Malades, attaquez du Scorbut…

[Au printemps,] on y trouve alors quantité de bonnes Herbes, du Percil, du Pourpier, &c. On y voit d’ailleurs une Plante, qui a quelque ressemblance avec la Matricaire, dont l’odeur est plus forte & plus cordiale que celle de la Menthe. Nos Chirurgiens en firent d’excellentes Fomentations, & tous les matins l’on en parsemoit nos Tentes. »

Les arbres de piment sont un Schinus (peut-être Schinus patagonica (Phil.) I. M. Johnst. ex Cabrera. Le chou en arbre est une endémique, Dendroseris litoralis Skottsb. (1921) ou Sonchus brassicifolius S. C. Kim & Mejías (2012), une Asteraceae, petit arbre à grandes feuilles ovales et fleurs pendantes orange, dont les feuilles sont effectivement comestibles. Les autres plantes sont plus difficiles à identifier.

L’histoire ne dit pas comment Selkirk a reconnu que ce « chou » était comestible, mais on peut penser qu’il a pris exemple sur les chèvres qui le broutaient avidement.

Rogers, Woodes, 1716. Voyage autour du monde, commencé en 1708 et fini en 1711 : traduit de l’anglois : où l’on a joint quelques pièces curieuses touchant à la rivière des Amazones & la Guiane. 2 tomes. Amsterdam, chez la Veuve de P. Marret.

10 commentaires

  1. Bonjour Michel Chauvet,

    L’arbre à piment d’Alexandre Silkerk n’est pas un Schinus sp. Si Schinus molle est présent sur l’île Robinson Crusoe, il est d’introduction très récente (début des années 2000) dans un des jardins du village de San Juan Bautista. Le « piment » dont parle Alexandre Selkirk est probablement une Myrtaceae endémique, Nothomyrcia fernandeziana (Hook. et Arn.) Kausel (ex. Myrceugenia fernandeziana (Hook. & Arn.) Johow.), arbre le plus présent dans les forêts de l’île, localement appelé luma.

    Quant au « chou en arbre », il ne s’agit absolument pas de Dendroseris littoralis, pour plusieurs raisons : Rogers parle d’un arbre au sommet des montagnes, hors Dendroseris littoralis est une espèce de la frange littorale, uniquement connu actuellement de l’île de Santa Clara (à proximité de Robinson Crusoe) et dont nous ne savons pas s’il était originellement présent sur l’île Robinson Crusoe. Les pieds actuellement présents, uniquement au niveau du village, sont tous issus de culture. Ce n’est pas non plus un arbre, mais un arbuste qui atteint dans la nature 2-2.5 m (parfois bien plus en serre) auquel il n’est sans doute pas nécessaire de grimper … pour récupérer quoi ?

    Une précision est amené un peu plus tard par Lord George Anson, de passage sur l’île en 1740, qui parle lui de « chou palmiste », nom donné au Sabal palmetto (Walter) Lodd. ex Schult. & Schult.f. (Arecaceae). Les « chous » de Rogers font donc référence à un palmier ! en l’occurrence l’unique espèce du genre endémique Juania Drude : Juania australis (Mart.) Drude ex Hook. f., dont le coeur était consommé, possiblement les fruits (?) et dont le bois, veiné blanc et noir, servait à faire de l’artisanat.

  2. Merci de ces rectifications. J’ai trop fait confiance à Wikipedia, et je ne suis pas spécialiste des îles Fernandez… Et puis je ne savais pas comment trouver un spécialiste ! Voilà qui est fait.

    Cela dit, avez-vous des sources pour étayer vos données ?

    Dans la foulée, que serait cette « Matricaire, dont l’odeur est plus forte & plus cordiale que celle de la Menthe » ?

    Merci d’avance.

    1. Pour la référence à Lord Anson, voir Lord Anson’s voyage round the world; performed in the years 1740, 41, 42, 43, 44.

      Pour la flore, voir le Catalogue de la flore de l’archipel publié en 2006 avec mon collègue Philippe Danton :
      https://www.researchgate.net/publication/271754095_Nouveau_catalogue_de_la_flore_vasculaire_de_l'archipel_Juan_Fernandez_Chili_Nuevo_catalogo_de_la_flora_vascular_del_Archipielago_Juan_Fernandez_Chile

      Nous avons publié en 2020 une « Monographie de la flore vasculaire de l’archipel Juan Fernandez. Essai de valorisation pour sa préservation » (2 vol., 1600 p.), pour l’instant en tirage limité et qui attend une amélioration de la situation pour une édition au Chili, en espagnol.

      Pour la Matricaire, nous n’avons pas de réponse claire. Matricaria chamomilla est présente, mais bien sur impossible de savoir si elle l’était du temps de Selkirk. Il pourrait s’agir aussi d’une espèce médicinale du continent, disparue, baptisée « matricaire » par les occidentaux, et évidemment, le mot « Matricaire » pourrait faire référence à tout autre chose qu’une Asteraceae …

      Cordialement

    1. Bonjour M. Evrard,
      Merci pour l’info, mais Avranches est un peu loin de chez moi, habitant dans les Hautes-Alpes !
      Au passage, petite correction sur ce que j’ai vu sur vos images : il ne s’agit pas de Ochagavia littoralis, du continent, mais de Ochagavia elegans, endémique de l’archipel.
      Cordialement
      C. Perrier

  3. Bonjour
    je laisse Christophe Perrier repondre à Michel Chauvet. Difficile de trouver plus expert en  » Joan Fernandez ». il vous parlera de Philippe Danton.
    Je vous conseille le livre « les iles de Robinson, tresor vivant des mers du sud, entre legende et realité  » de Philippe Danton, Emmanuel Breteau et Michel Baffray chez Nathan 1999 avec le soutien des Laboratoires Yves Rocher
    Et , il faut retrouver sur Tela Botanica , ce que je n’ai pas reussi à faire , le carnet de voyage aux Juan Fernandez que j’ai publié avec Philippe danton en 2002 suite à un voyage avec la SBF . Il y a la confirmation que Dendroseris littoralis (tres tres gros pissenlit) n’est que dans le village principal , en plante d’ornement , tres visité par les colibris.!
    Michel Cambornac

    1. Bonjour à tous,

      Quel bonheur de parcourir votre échange, me replongeant moi-même dans mes souvenirs de cet exceptionnel voyage dans l’archipel Juan Fernandez (et plus précisément sur l’île de Robinson Crusoe).
      Si besoin, j’ai gardé précieusement le carnet de ce voyage, publié dans le bulletin de la SBF.

      Très cordialement.
      Romaric

  4. Le hasard fait que j’ai découvert que la ville de Plessis-Robinson doit son nom indirectement à Robinson. Suite à la publication de « Le Robinson Suisse ou Histoire d’une Famille Suisse Naufragée » par Johann David Wyss en 1812, inspirée par le roman de Daniel Defoe, Joseph Gueusquin a construit une « tour de Robinson » au Plessis Piquet. Le succès de sa guinguette a été tel que la ville a finit par être rebaptisée Le Plessis-Robinson. Voir : https://latourrobinson.pagesperso-orange.fr/indexhistoirerobinson.html

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