Gymnocoronis spilanthoides, astéracée nouvelle pour la France

Francis Zanré partage avec le réseau une actualité sur l'espèce Gymnocoronis spilanthoides.

Dans le cadre de mes prospections floristiques sur la ville du Mans, j’ai découvert, début août, une astéracée inconnue de moi, en pleine floraison, croissant en masse sur un fond vaseux de la rivière Sarthe, en aval d’une écluse, sur une cinquantaine de mètres carrés (photo 1). La plante est glabre et atteint une hauteur de 1,50m. Ramifiée en tête, elle porte des capitules blancs de 1 à 2 cm (photo 2 & 3), la tige est glabre, molle, striée, fistuleuse. Les feuilles simples et lancéolées, sont dentées et pétiolées (fig. 1). La croissance est très rapide : 10 à 15 cm par semaine. Elle ne passe donc pas inaperçue !

La station présente un profil immergé à exondé : dans l’eau, la plante, moins développée, est accompagnée de Nuphar lutea, Ceratophyllum demersum et Sagittaria sagittifolia ; sur l’atterrissement, dont le recouvrement atteint 100%, on note la présence de Salix atrocinerea, Polygonum lapathifolium et Bidens frondosa, en faible quantité. Selon l’éclusier, la plante serait apparue l’an dernier.

La détermination avec Flora Gallica est inefficiente : la plante n’y est pas mentionnée, pas plus que dans le reste de a littérature française. Une recherche sur Pl@ntNet conduit à Gymnocoronis spilanthoides (D. Don ex Hooker) DC, 1838 avec une probabilité de 99,61% ! L’examen des échantillons à l’aide de Flora Argentina confirme la détermination. Son synonyme est G. attenuata DC. Elle porte le nom vernaculaire de ‘faux hygrophile’ dans les pays francophones ou ‘thé du Sénégal’ dans les pays anglo-saxons (photos 1, 2 & 3).

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Photos 1, 2 et 3 par Francis Zanré

Il s’agit d’une espèce sud-américaine présente en zone tropicale à basse altitude (0 à 500 m), dans les eaux peu courantes, où elle fleurit de novembre à décembre. Le nom de genre fait référence à la forme du fruit, dépourvu de pappus (fig. 1).

L’espèce comprend en 3 variétés en Argentine (nord), Bolivie, Brésil (sud), Paraguay, Pérou et Uruguay. Il existe 3 autres espèces au Mexique. Elles se distinguent aisément de notre taxon par leurs feuilles sessiles (versus pétiolées pour G. spilanthoides) et de formes différentes. Il s’agit de G. latifolia (= G. matudae), G. nutans et G. sessilis (flora mesoamericana, King & al., 1974). Seul G. spilanthoides est répandu hors du continent américain par suite de son utilisation en aquariophilie (Mazza & al. 2015, Ardenghi. & al, 2016). Il manifeste un caractère invasif depuis une quarantaine d’années en zone Pacifique (Australie, Chine, Inde, Japon, Nouvelle Zélande). En Europe elle a d’abord été signalée en 1998 en Hongrie, puis 2015 en Italie (Lombardie), 2017 aux Pays-Bas. En Italie, l’enquête de Mazza & al. (2015) recense 54 sites internet proposant la plante aux aquariophiles. Les sites francophones sont beaucoup moins nombreux. Par son grand développement, le faux hygrophile nécessite un grand aquarium.

Sur recommandation de l’Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (EPPO/OEPP 2017), l’Union Européenne ne tarde pas à l’ajouter à la liste des espèces exotiques envahissantes (EEE) en 2019 (Règlement d’exécution (UE) 2019/1262).
Notre observation suscite diverses interrogations : comment est-elle arrivée au Mans, et surtout en restant inaperçue ailleurs ?

Le déversement direct d’eau d’aquarium dans la rivière parait exclu vu les difficultés d’accès motorisé aux rives locales de la Sarthe.

On ne peut exclure le rejet dans les égouts d’eau d’aquarium contenant des propagules de la plante. Les eaux traitées de la station d’épuration du Mans (STEP) se déversent 3 km en amont, mais on peut douter de la survie des fragments végétaux ou graines aux différents traitements : dégrillage, dessablage, aération, décantation, filtration biologique et floculation, avant rejet au milieu naturel. L’arrêté préfectoral du 16 mai 2018 autorisant les rejets de la STEP stipule que l’eau rejetée au milieu naturel ne doit pas contenir plus de 30 mg/litre/24H de matière en suspension. Il est à remarquer que des placettes potentielles (atterrissements) s’offraient sur le parcours en aval de la STEP pour son installation, qui n’a pas eu lieu.

Des apports par la navigation seraient envisageables : la Sarthe est navigable en aval du Mans et fréquentée par les plaisanciers mais n’est pas en communication avec le Bénélux.

Cependant Le Mans est aussi un lieu de séjour d’oiseaux migrateurs. Une colonie de mouettes stationne sur un banc de sable à proximité de l’écluse. J’ai noté un oiseau bagué en Pologne le jour de la découverte du faux hygrophile. Des centaines de mouettes, de provenances diverses, dont certaines peuvent être identifiées par leur bague, hibernent sur la rivière (comm. pers. Ch. Kérihuel, 11/08/2022). La bague (diamètre intérieur 8 mm pour une patte de 6 mm), est un porte- bagage plausible pour des fragments végétaux voire pour une graine (longueur 1,7 à 2 mm, diamètre 0,8 à 0,9 mm, selon Ardenghi & al. (2016) ; sinon des propagules peuvent rester collés aux pattes. Une distance de 700 km (de la Hollande jusqu’au Mans) peut être franchie en une seule étape par une mouette. Des oiseaux migrateurs en provenance de Hongrie (située à 1400 km) sont aussi signalés dans le nord de la France (comm. pers. Camille Duponcheel, 14/08/2022).
Le faux hygrophile supporte des climats plus rudes que celui de sa région d’origine. Il se reproduit par ses graines qui restent sur place ou sont emmenées par le courant, mais il se propage surtout par des fragments qui font bouture. Les akènes ont une durée de vie de plusieurs années et peuvent survivre à un gel modéré. Le taux de germination (en laboratoire) dépasse 60% dès que la température atteint 15° et l’amplitude journalière 10°C (Ardenghi & al, 2016). Sur le site, je n’ai observé que des plantes adultes et pas de d’akènes mûrs.

Les organismes compétents (EPPO 217, OFB & UICN France, 2020) lui reprochent de gêner les activités humaines (navigation, irrigation) et de provoquer l’anoxie de l’eau et de prendre la place des autochtones. Le faux hygrophile est pourtant moins dynamique que les jussies (Ludwigia peploides & grandiflora). Par ailleurs, on ne fait pas ces reproches au nénuphar jaune et surtout au cornifle (Ceratophyllum demersum), plantes indigènes. La différence d’attitude dans cette approche traduit un « état idéal de la nature, les espèces exo­tiques n’ont pas leur place, car elles viennent perturber l’ordre établi » […] « Le langage souvent guerrier et xénophobe employé à l’égard des espèces exotiques n’est pas sans rappeler celui utilisé vis-à-vis des immigrés » (Lévêque & al., 2012).

Pour la petite histoire, début août, le Conseil départemental, en charge des voies navigables de la Sarthe, a fait faucarder des centaines de mètres cubes de cornifle et de nénuphar dans le canal St-Georges, long de 700 m, à 2 km en amont : les déchets sont en tas sur la berge sur plus de 100 m (4). Les lieux de baignades de deux plans d’eau ont dû être traités de la même manière en début de saison (1)(2)(3), et cela quasiment chaque année.

errata : Le faux hygrophylle a bien été ajouté à la liste des EEE par l’Arrêté du 10 mars 2020 portant mise à jour de la liste des espèces animales et végétales exotiques envahissantes sur le territoire métropolitain, annexe I-3

Si l’administration met sa puissance en marche, le Gymnocoronis spilanthoides ne fera qu’un court séjour en France ! Par conséquent, j’encourage les naturalistes à prospecter rapidement les rives des cours d’eau, la plante étant en pleine floraison, d’autant que par ces temps de canicule, ces lieux sont rafraîchissants et on y trouve encore de quoi herboriser.

Mes remerciements aux ornithologues Camille Duponcheel et Christian Kérihuel, ainsi qu’à Gérard Hunault pour sa relecture.

 

Extraits de presse

Webographie

  • EPPO/OEPP (2017) Pest risk analysis for Gymnocoronis spilanthoides. EPPO, Paris.
    https://gd.eppo.int/download/doc/1127_minids_GYNSP.pdf
  • Flora argentina/Instituto de Botanica Darwinion, Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas (Conicet)  http://www.floraargentina.edu.ar
  • Flora mesoamericana  http://legacy.tropicos.org/Project/FM
  • New Zealand Conservation network, Gymnocoronis spilanthoides https://www.nzpcn.org.nz › species
  • OFB & UICN France. 2020. Gymnocoronis spilanthoides.  Base d’information sur les espèces exotiques envahissantes. Centre de ressources Espèces exotiques envahissantes. UICN France et Office français de la biodiversité. (sur internet)
  • Pl@ntNet https://identify.plantnet.org/fr/the-plant-list/identify
  • Règlement européen EEE RÈGLEMENT D’EXÉCUTION (UE) 2019/1262 DE LA COMMISSION du 25 juillet 2019 modifiant le règlement d’exécution (UE) 2016/1141 pour mettre à jour la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union
    List of Invasive Alien Species of Union concern – Environment – European Commission ». ec.europa.eu. Retrieved 2020-12-13. https://ec.europa.eu/environment/nature/invasivealien/list/index_en.htm
  • Ardenghi N. M. G., Barcheri G., Ballerini C., Cauzzi P. & Guzzon F. 2016: Gymnocoronis spilanthoides (Asteraceae, Eupatorieae), a new naturalized and potentially invasive aquatic alien in S Europe. – Willdenowia 46 (2) pp265 – 273. doi: http://dx.doi.org/10.3372/wi.46.46208
  • King, R M and Robinson, Harold Ernest. 1974.
    « Studies in the Eupatorieae (Asteraceae)—CXXVII. Additions to the American and Pacific Adenostemmatinae: Adenostemma, Gymnocoronis, and Sciadocephala. »Phytologia 29, 1–20.
    https://doi.org/10.5962/bhl.part.13095.
  • Lévêque Christian, Tabacchi Eric, Menozzi Marie-Jo, 2012 Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) « Science s Eaux & Territoires » 2012/1 Numéro 6 | pages 2 à 9 DOI 10.3917/set.006.0002 https://www.cairn.info/revue-sciences-eaux-et-territoires-2012-1-page-2.htm
  • Mazza Giuseppe, Aquiloni Laura, Inghilesi Alberto Francesco, Giuliani Claudia, Lazzaro Lorenzo, Ferretti Giulio, Lastrucci Lorenzo, Foggi Bruno and Tricarico Elena
    Aliens just a click away: the online aquarium trade in Italy
    Management of Biological Invasions (2015) Volume 6, Issue 3: 253–261
    doi: http://dx.doi.org/10.3391/mbi.2015.6.3.04

7 commentaires

  1. Merci pour cette information très complète !

    Cependant, il faut aussi prendre note de la capacité de bouturage de l’espèce, donc merci aux botanistes locaux de prendre soin de ne pas participer à la dispersion de l’espèce, y compris sous forme de graines.

    L’occasion aussi de rappeler qu’une réglementation récente est apparue pour les espèces envahissantes, qui interdit le transport d’un certain nombre d’espèces (voir les listes sur votre DREAL préférée).

    1. bonjour
      le nom vernaculaire anglais n’est pas plus judicieux que le nom français ou allemand !

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