Rabindranath Tagore, Le Jardinier d’amour

Les fleurs occupent dans la société indienne une place très importante : elles servent à la décoration du corps et des maisons, sont offertes aux divinités, sont louées pour leur beauté et leur parfum. Un poème de Tagore illustre cela assez bien.

Rabindranath Tagore (1861-1941) est une figure majeure de la culture indienne. Compositeur, écrivain, dramaturge, poète, peintre, philosophe, il reçut le Prix Nobel de littérature en 1913. Écrivain prolifique, il fut l’auteur de nombreux romans et nouvelles, dont plusieurs furent adaptés au cinéma, ainsi que de plusieurs recueils de poèmes. La plupart de ses œuvres furent traduites en français pendant les années 1910 à 1930, et publiées chez Gallimard. C’est ainsi que son recueil poétique Le Jardinier d’amour fut traduit de l’anglais par Henriette Mirabaud-Thorens et publié à la NRF en 1920. Je vous propose de lire ci-dessous le premier poème de ce recueil, où les fleurs ont toute leur place, dans la traduction d’H. Mirabaud-Thorens (seules les notes données à la suite du texte sont de moi) :

LE SERVITEUR
Oh ! Reine aie pitié de ton serviteur.
LA REINE
L’assemblée est terminée et tous mes serviteurs sont partis. Pourquoi viens-tu à cette heure tardive ?
LE SERVITEUR
Mon heure vient quand celle des autres est passée. Dis-moi quel travail reste à faire pour le dernier de tes serviteurs.
LA REINE
Qu’espères-tu puisqu’il est trop tard ?
LE SERVITEUR
Fais-moi le jardinier de ton jardin de fleurs.
LA REINE
Quelle est cette folie ?
LE SERVITEUR
Je renoncerai à tout autre travail, je jetterai dans la poussière mes lances et mes épées. Ne m’envoie pas dans des cours lointaines. Ne me demande plus de nouvelles conquêtes : Fais-moi le jardinier de ton jardin de fleurs.
LA REINE
Quel sera ton service ?
LE SERVITEUR
Celui de tes loisirs. Je garderai fraîche l’herbe du sentier où tu marches au matin et où, à chacun de tes pas, les fleurs avides de mourir, bénissent le pied qui les foule.
Je te balancerai parmi les branches du septaparna(1) tandis que la lune, tôt levée dans le soir, s’efforcera à travers les feuillées de baiser ta robe.
Je remplirai d’huile odorante la lampe qui brûle près de ton lit et, de merveilleux décors de santal et de pâte de safran, je décorerai ton tabouret.
LA REINE
Qu’auras-tu pour ta récompense ?
LE SERVITEUR
La permission de tenir entre mes mains tes poings mignons pareils à de tendres boutons de lotus, et de passer autour de tes bras des chaînes de fleurs ; de teindre la plante de tes pieds du jus rouge des pétales de l’Ashoka(2) et d’y cueillir, dans un baiser, le grain de poussière qui par mégarde pourrait s’y être égaré.
LA REINE
Mon serviteur, tes prières sont exaucées. Tu seras le jardinier de mon jardin de fleurs.

Le recueil Le Jardinier d’amour est disponible sur Gallica.

Ci-dessous, une fleur d’ashoka :

Photographie : J.M.Garg, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons
Photographie : J.M.Garg, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

(1) Alstonia scholaris (synonymes : Echites scholaris, Nerium septaparna), connue en médecine ayurvédique sous le nom de « saptaparna ». Cf. https://www.sdach.ac.in/about-dravyaguna-vigyan/dravyaguna-vigyan-blogs/saptaparna/
(2) Saraca asoca, espèce des contreforts de l’Himalaya, considérée comme sacrée en Inde et au Sri Lanka, car, selon la tradition, c’est sous cet arbre que naquit le Bouddha (cf. Wikipedia)

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