Jaque et jacquier
La jaque, ou pomme jaque, est le fruit d’un arbre originaire d’Inde et du Bengladesh, de la famille des Moracées, connu en français sous le nom de jacquier (Artocarpus heterophyllus). Cet arbre atteint une hauteur de 10 à 20, voire 30 mètres. Les fruits du jacquier sont très appréciés au Cambodge ; en khmer, l’espèce est appelée « khnao », ou « khnol » (ខ្នុរ). En chinois, elle est connue sous le nom de « bōluómì » (波罗蜜), le caractère « mì » signifiant « miel » : c’est en effet en raison de leur saveur sucrée de leur arille pulpeux que les jaques sont très appréciées. Le fruit est en général d’assez grande taille, les plus grands spécimens pouvant atteindre un poids d’une quarantaine de kilogrammes ; pour sa commercialisation, sur les marchés ou dans les supermarchés, le fruit est le plus souvent ouvert et les arilles qui entourent les graines sont extraits et disposés en barquettes, le plus souvent sans la graine. L’arille peut être consommée nature, ou entrer dans la composition de divers desserts. Au Cambodge, il est émincé et mélangé à du riz glutineux agrémenté de crème de coco.
Le jacquier a pour particularité d’être cauliflore : les fruits grandissent directement sur le tronc ou sur les plus grosses branches.
Le bois du jacquier est d’une belle couleur jaune et possède un grain fin. Il est dès lors fort apprécié en ébénisterie et, au Cambodge, il est également utilisé pour fabriquer des instruments de musique. La Flore de la République Populaire de Chine précise encore que l’on peut extraire du bois jaune du jacquier de la morine, composé organique de couleur jaune-orangé utilisé en teinture et pour l’impression sur tissu.
En médecine cambodgienne traditionnelle, d’après Mathieu Leti et al., « le latex est utilisé contre les furoncles, les abcès ; la racine, en cas de maladies de la peau, d’asthme ; la feuille, pour favoriser la cicatrisation des blessures ». (cf. Flore photographique du Cambodge, p. 378) En médecine chinoise traditionnelle, l’arille est jugé désaltérant, et faciliterait le dégrisement et la digestion.
Le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), donne du mot « jaque » (et non « jacque ») la définition suivante : « fruit du jacquier dont la pulpe blanche et farineuse est consommable après cuisson ». Cette définition laisse un peu sur sa faim : elle semble ignorer totalement l’arille. Mais c’est pourtant cette chair qui est surtout consommée, la consommation des graines, riches en amidon, étant quant à elle devenue anecdotique. La définition donnée par le CNRTL trouve peut-être son origine chez Alexandre de Rhodes (1591-1660), missionnaire jésuite qui vécut au Tonkin et en Cochinchine entre 1624 et 1645. Dans ses Divers voyages et missions du P. Alexandre de Rhodes en la Chine et autres royaumes de l’Orient, avec son retour en Europe par la Perse et l’Arménie, le tout divisé en trois parties, il donne du jacquier la description suivante : « C’est en cette terre où il y a grande quantité de ces arbres qui portent de gros sacs tout pleins de châtaignes. Un seul est capable de charger un homme, aussi la providence de Dieu a voulu qu’ils ne viennent pas sur les branches qui ne pourraient pas les porter, mais ils sortent du tronc même. Le sac est une peau fort épaisse que l’on coupe, et on trouve dedans quelquefois cinq cents châtaignes, beaucoup plus grosses que les nôtres. Mais ce qu’elles ont de meilleur est la peau fort blanche et fort savoureuse, que l’on tire avant de cuire la châtaigne. »
Dans la poésie vietnamienne, enfin, la jaque aurait encore une connotation érotique. Cela est parfaitement illustré dans un poème de Hồ Xuân Hương (胡春香, 1772-1882), poétesse vietnamienne très célèbre, notamment à cause de ses pièces érotiques. Ce poème, écrit en chinois et en vietnamien (nôm) s’intitule « La Jaque » (《波罗蜜》). Je vous en propose ci-dessous ma traduction à partir de la version en chinois :
« Le corps de ta cadette est comme une jaque
Joufflus quartiers, chair abondante, peau pleine de piquants
Si le fruit te plaît, seigneur, que n’y plantes-tu ton pieux
Au lieu de le caresser et d’en faire couler le nectar »
Signalons pour l’anecdote l’existence au Cambodge d’un dessert appelé « graine de jacquier » (គ្រាប់ខ្នុរ [kroap khnao]), dans lequel n’entre pas la moindre parcelle de jaque. C’est un mets à base de haricots mungo. Ce dessert doit son nom à une vague similitude de forme et de couleur avec l’arille du jacquier.
9 commentaires
Et à la Réunion…. On le consomme en carri, battu c’est à dire haché quand il est vert avec du boucané, des oignons, de la tomate et des épices. Quant aux graines il parait que certains les mangent bouillies ou grillées.
J’ajoute qu’on prend soin de s’enduire d’huile les mains et les lames des couteaux qui vont servir à « battre » le fruit vert. Faute de quoi, en fin d’opération, on se retrouve englué dans le latex collant qui en découle…
j’ai mangé des graines bouillies ou grillées en amazonie, ce n’est pas terrible mais ça nourrit..
il y en à aussi au brésil et en amérique du sud en général, ça s’appelle jacka, on y mange les graines
il y à aussi l’arbre à pain Artocarpus altilis de la même famille où on cuit la chair, ce dernier existe aussi en indonésie où il rentre dans la composition de plats cuits au lait de coco. quand à la référence érotique je me demande s’il ne s’agit pas plutôt du durian Durio zibethinus, qui est notoirement aphrodisiaque et a des épines, d e plus il ressemble vraiment au jacquier, avec ses arilles etc<
J’ai lu avec intérêt votre article détaillé et savant, mais je voudrais savoir sur quelle source vous vous appuyez pour écrire le fruit du jaquier au féminin. Je n’ai pour ma part trouvé ce mot employé qu’au masculin, notamment dans les anciens dictionnaires ou encore dans le Trésor de la langue française : le jaque.
Bonjour,
Vous avez apparemment raison. Le CNRTL dit aussi que « jaque » est masculin.
Je l’ai vu employé au féminin sur plusieurs pages web. La confusion vient peut-être qu’on parle aussi de pomme-jaque, cette fois au féminin.
En tout état de cause, je vous remercie pour cette remarque tout à fait judicieuse.
Effectivement, les mentions historiques en français donnent le mot pour masculin. Voir l’article d’Arveiller : http://uses.plantnet-project.org/fr/Jaque_(Arveiller).
Cela dit, les autres langues romanes en font un féminin, à commencer par le portugais, qui est la première langue à avoir introduit le mot jaca. On a en espagnol jaca ou yaca, et en italien giaca, au féminin.
Par ailleurs, on ne peut dire qu’il y avait en français un usage bien établi pour un fruit inconnu, hormis de quelques voyageurs. L’avantage du féminin est que cela fait entrer le mot dans la longue liste des couplets nom du fruit au féminin / nom de l’arbre au masculin. On a donc jaque / jaquier, comme on a cerise / cerisier. Je l’utilise donc au féminin.
Jen profite pour signaler la parution d’un livre de référence, Mitra, Sisir, 2023. Jackfruit. Botany, Production and Uses. CABI. J’y ai écrit le chapitre sur la botanique et l’histoire.
Voici le lien vers la description du livre de CABI : https://www.cabidigitallibrary.org/doi/10.1079/9781800622319.0000
J’ai mangé du Jaca à Sao Tomé & Principe et lors de la préparation du plat j’ai pu remarqué que c’était effectivement très collant.