Légende de Chine : le coucou et l’azalée

Où l’on explique pourquoi, en chinois, le coucou et l’azalée portent le même nom.

Les azalées (Ericaceae) forment la famille appelée en chinois 杜鹃花科 [dùjuānhuākē]. Elles sont largement répandues en Chine, et sont plus particulièrement nombreuses dans les zones montagnardes du sud-ouest du pays. Le mot 杜鹃花 [dùjuānhuā] (fleur dujuan) désigne plus particulièrement les azalées rouges. Rhododendron sanguineum, appelé en chinois « dujuan rouge sang » (血红杜鹃 [xuěhóng dùjuān]), pousse par exemple aux confins du Tibet et du Yunnan. Les azalées sont des fleurs d’agrément très appréciées des Chinois. Quant aux coucous, appelés populairement 布谷鸟 [bùgǔniǎo] (布谷  [bùgǔ] étant l’onomatopée du chant de cet oiseau, 鸟 [niǎo] signifiant oiseau), également nombreux en Chine, ils sont aussi connus sous le nom de 杜鹃鸟 [dùjuānniǎo] (oiseau dujuan). Deux légendes chinoises viennent expliquer l’homonymie de la fleur et de l’oiseau.

L’empereur Du Yu et son impératrice

Dans la haute antiquité chinoise (fin du XIe siècle avant l’ère commune), l’empereur Du Yu (杜宇 [dù yǔ]) régnait sur le paisible et prospère pays de Shu (région de l’actuelle province du Sichuan, centre-ouest de la Chine). Il vivait heureux avec l’impératrice, jusqu’au jour où un ministre félon l’empoisonna. L’empereur décédé, son âme se métamorphosa en coucou, appelé oiseau dujuan en chinois. Cet oiseau se lamentait jour et nuit, et ne cessait de pleurer jusqu’à en verser des larmes de sang. Les larmes de sang du coucou tombaient sur de belles fleurs blanches qui embaumaient le jardin de l’impératrice. Cette dernière avait pris l’habitude d’appeler son époux : « Reviens ! Reviens ! » (子归 [zǐguī], transformé en 子规 [zǐguī], devenue un autre nom du coucou en chinois). Quand la souveraine mourut de désespoir, son âme se transforma en azalée rouge, qui, par référence à l’âme de son époux, fut aussi appelée dujuan.

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L’azalée rouge sang, Rhododendrum sanguineum (Photographie : Daderot, CC0, via Wikimedia Commons)

L’empereur Du Yu, gardien de l’agriculture

L’empereur Du Yu dont nous parlions au paragraphe précédent œuvra tant et si bien qu’il apporta à son peuple une prospérité jusqu’alors inconnue. Revers de la médaille : le peuple était si heureux, si détaché de tout souci, qu’il en arrivait à oublier la saison des semailles. Apprenant cela, le bienveillant souverain entreprit de faire chaque année, au printemps, la tournée des régions de son pays pour rappeler aux paysans que le temps des semailles était venu. Les paysans prirent dès lors l’habitude d’attendre la venue de l’empereur pour semer, et si d’aventure l’empereur, pour une raison ou une autre, ne passait pas dans une région, les semailles étaient tout simplement oubliées.

L’empereur mourut à un âge avancé (la légende prétend qu’il régna deux cents ans) et se réincarna dans un oiseau appelé dujuan (coucou). Toujours soucieux du bien-être de ses sujets, tous les ans, au printemps, il prit l’habitude de parcourir les campagnes et de lancer son chant pour rappeler aux paysans qu’il était temps de semer. Mais le plus souvent, les paysans ignoraient l’oiseau, si bien que, de désespoir, le coucou pleurait des larmes de sang. Partout où tombait une goutte de son sang naissait une belle azalée rouge, que l’on appela aussi dujuan.

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Coucou gris, Cuculus canorus (大杜鹃 [dàdùjuān] « grand dujuan ») (GabrielBuissart, CC BY-SA 3.0)

Le grand poète Tang Li Bai (李白 [lǐ bǎi], 701-762) (connu aussi en français sous le nom de Li Po), a composé un quatrain qui fait allusion à la légende du coucou et de l’azalée :

Spectacle des azalées à Xuancheng
Au pays de Shu, j’ai entendu le chant du coucou, et à Xuancheng je contemple les azalées ;
A chaque cri, c’est un morceau de cœur qu’on m’arrache(1) ; en ce troisième mois du printemps, je me languis des trois Ba(2).

《宣城见杜鹃花》
蜀国曾闻子规鸟,宣城还见杜鹃花。
一叫一回肠一断,三春三月忆三巴。

(1) Le texte chinois dit « on me brise des entrailles » ;
(2) Les trois Ba sont trois régions qui composaient le territoire de l’actuelle province du Sichuan.

Li Bai aurait composé ce poème alors qu’il était de retour de son dernier exil, revenant du Sichuan, lors d’une halte dans la ville de Xuancheng (actuelle province de l’Anhui).

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