Narcisse, fleur du tết à Hanoï
J’avais publié en octobre 2021 un article consacré à une coutume très en vogue dans le sud du Vietnam, notamment à Ho-Chi-Minh-ville, qui consiste à orner les maisons d’abricotiers en fleurs, souvent loués pour l’occasion (voir ici), à l’époque du tết, le nouvel an vietnamien. Aujourd’hui, je vous propose de faire connaissance avec une autre espèce végétale en vogue, cette fois à Hanoï, dans le nord du pays, à la même époque : le narcisse.
Il s’agit plus exactement du narcisse à bouquet, Narcissus tazetta, appelé en vietnamien « thủy tiên », qui signifie « nymphe », qui correspond en réalité au chinois 水仙 [shuǐxiān], nom sous lequel cette espèce est connue dans l’Empire du Milieu. Au Vietnam (et en Chine du Sud-Est), ce narcisse est apprécié pour son élégance, son parfum entêtant et pour la beauté de sa fleur, avec ses pétales immaculés et le pistil d’un jaune éclatant de sa fleur. Dans ces régions, le narcisse fleurit à la fin de l’hiver et au début du printemps. A l’époque du nouvel an vietnamien, il est présent dans presque toutes les maisons de Hanoï, placé d’abord devant les tablettes des ancêtres comme offrande, puis sur la table du salon où il est présenté à l’appréciation des visiteurs pendant la période du nouvel an.
Certains, en Chine comme au Vietnam, sont experts dans la taille du bulbe : cette taille permet de donner aux feuilles et aux fleurs une configuration particulière. Les plus talentueux sont capables de faire en sorte que leurs narcisses fleurissent exactement à minuit, lors du réveillon du nouvel an. Le narcisse ne vit que cinq à six jours, et symbolise dès lors le caractère éphémère du monde.
Au Vietnam, un conte vient expliquer l’origine du narcisse :
Il était une fois un vieil homme fortuné qui, au moment de sa mort, réunit ses quatre fils pour leur faire part de ses dernières volontés. Il leur enjoignit de s’aimer et de s’aider mutuellement, et confia au fils aîné, comme c’était de coutume, le soin de partager équitablement l’héritage entre les quatre fils.
Le père mourut, les quatre frères le pleurèrent longtemps et lui firent des funérailles dignes de son rang. Une fois le deuil achevé, ils tinrent réunion pour régler la succession.
Le frère aîné, responsable du culte familial des ancêtres, se garda la plus grande maison et prit pour lui trois acres des meilleures terres de la famille. Les deuxième et troisième frères prirent aussi chacun une belle maison et trois acres de terre. Pour le quatrième frère, il ne resta qu’une pauvre bicoque et un bout de terrain inculte. Mais le benjamin, se souvenant des recommandations de son père, n’éleva aucune protestation. Le partage fait, chacun regagna son domaine.
Arrivé chez lui, le quatrième frère voyant la pauvreté de ses possessions, pensant au dur labeur qu’il lui faudrait fournir pour tirer quelque chose de sa terre ingrate et pensant à son père, se mit à pleurer amèrement. Apparut soudainement le Bouddha, qui lui demanda la raison de son chagrin. Le quatrième frère expliqua qu’il pensait à son père décédé et qu’il était découragé à l’idée du travail qu’il devrait fournir pour tirer sa subsistance et celle de sa famille de sa terre inculte.
« Cette terre contient des graines d’égoïsme. La convoitise est le fruit de l’égoïsme des hommes, de leur désir de posséder, sans jamais se soucier des besoins d’autrui, » expliqua le Bouddha. « Mais sois rassuré, je vais faire en sorte que ces graines d’égoïsme donnent des fleurs magnifiques. » Cela dit, le Bouddha disparut.
Le quatrième frère se mit alors à arroser et à sarcler la terre avec le plus grand soin. À sa plus grande surprise, au bout de quelques jours, il vit sortir de terre des tiges portant de superbes fleurs blanches et jaunes, que l’on appela « nymphes ». Il alla vendre les fleurs au marché, et eut un tel succès qu’il fut incapable de répondre à la demande.
Par la suite, tous les ans, il cultiva soigneusement les bulbes et, à la sortie de l’hiver et au début du printemps, alla vendre ses fleurs. Il fit ainsi fortune.
(Le récit ci-dessus est librement adapté du recueil de contes bilingue vietnamien-anglais Vietnamese Stories for Language Learners – Traditional Folktales in Vietnamese and English (Histoires vietnamiennes pour les étudiants – Contes populaires en anglais et vietnamien) de Tri C. Tran et Tran Le, publié en 2017 par Turtle Publishing, p. 176, « The story of Narcissus))
En Chine, une autre légende raconte l’origine des narcisses : deux sœurs, appelées Ehuang et Nüying, épousèrent l’empereur Shun, l’un des empereurs légendaires de la haute antiquité chinoise. Lorsque l’empereur mourut, de désespoir, elles se jetèrent dans la rivière Xiaoxiang, la principale rivière de la province méridionale du Hunan. Leurs âmes furent transformées en fleurs qui poussèrent sur le bord de la rivière et auxquelles on donna le nom de nymphes.
On dit aussi que leurs pleurs allèrent maculer les bambous qui poussaient au bord de la rivière, donnant ainsi naissance à une espèce de bambou tacheté, Phyllostachys bambusoides f. lacrima-deae, appelée en chinois « bambou tacheté » (斑竹 [bānzhú]) ou encore « bambou des concubines de la rivière Xiaoxiang » (潇湘妃竹 [xiāoxiāng fèi zhú]).
3 commentaires
Charmant conte vitenamien.
Vous m’avez donné envie de me procurer le recueil des contes bilingues vietnamiens – anglais.
Merci à vous
A moi aussi, Philippe, vous m’avez donné envie de me procurer ce recueil de contes vn
Merci pour tous vos articles
Câm-Hông Viret
Merci pour ce magnifique conte .Ces fleurs sont vraiment très belles .On a envie de lire d’autres contes aussi beau.Avez-vous d’autres légendes ? Merci pour tout.