Séminaire ethnobotanique de Salagon
Qu’est-ce qui fait pousser les plantes ?
Le fait de multiplication et de croissance des plantes s’est manifesté aux humains dès les toutes premières origines avec autant d’évidence que la floraison et la fructification. Mais connaître un phénomène ne signifie pas qu’on en comprenne les causes. C’est surtout avec l’agriculture établie que se manifeste le souci de la bonne venue et de la croissance optimum du végétal. Cette attente suppose qu’on invoque et qu’on remercie. Toutes les civilisations agraires ont voué un culte aux divinités des céréales fondatrices. « On ne tire pas sur une fleur pour la faire grandir », dit un proverbe africain. Beaucoup cherchent encore à « sauter » la phase initiale du développement, évacuent la question du « faire pousser » pour aller d’emblée à la plante adulte ou à la production massive. Le 21ème séminaire d’ethnobotanique de Salagon souhaite poser cette question : qu’est-ce qui fait encore, de nouveau, par science, par patience, par miracle, pousser les plantes ?
Infos pratiques
- Adresse
- Salagon, Musée et Jardins, Route de Salagon, Mane, Forcalquier, Alpes-de-Haute-Provence, Provence-Alpes-Côte d'Azur, France métropolitaine, 04300, France
- Tarif
Trois tarifs :
- 40 euros pour les étudiants jusqu'à 26 ans
- 60 euros sans les repas
- 80 euros avec les 2 repas de midi
Le musée départemental de Salagon, ethnopôle régional situé à Mane (Alpes-de-Haute-Provence) est un lieu d’étude et de documentation tourné vers les relations sociétés/nature. Salagon est composé d’un musée d’ethnographie et de plusieurs jardins consacrés à des thèmes majeurs de l’ethnobotanique.
Lancé en 2001, le séminaire annuel d'ethnobotanique se poursuit chaque année, grâce au soutien renouvelé du Ministère de la Culture (Délégation à l’inspection, la recherche et l’innovation (DIRI, Direction générale des patrimoines) et du Département des Alpes-de-Haute-Provence.
Chaque année, la session fait l’objet de communications et de discussions. Cette année, le séminaire aura lieu les jeudi 12, vendredi 13 et samedi 14 octobre.
La thématique centrale est l’ethnobotanique du domaine européen, avec une visée plus particulière sur le domaine méditerranéen, mais le propos peut également porter sur des régions plus lointaines, permettant ainsi le comparatisme.
Cette année le séminaire s’intitule : « Qu’est-ce qui fait pousser les plantes ? ».
Il est ouvert à toute personne disposant déjà de bases en ethnologie et/ou en botanique, ou motivée par un projet de recherche personnel, dans tous les cas, impliquée par un investissement prioritaire dans les thématiques abordées au cours des journées.
Les responsables scientifiques du séminaire
Responsables scientifiques :
Élise Bain, ethnologue et coordinatrice du séminaire, Musée de Salagon.
Antonin Chabert, directeur du musée de Salagon, chercheur associé à l’IDEMEC (CNRS-UMR 7307, Aix-en-Provence).
Jean-Yves Durand, ethnologue, CRIA-UMinho (Portugal) et IDEMEC.
Raphaële Garreta, ethnologue, Conservatoire botanique national des Pyrénées et Midi-Pyrénées.
Pierre Lieutaghi, ethnobotaniste et écrivain.
Pascal Luccioni, maître de conférences de grec, Université Lyon III – HiSoMA.
Danielle Musset, ethnologue, ancienne directrice du Musée de Salagon.
Qu’est-ce qui fait pousser les plantes ?
La question « qu’est-ce qui fait pousser les plantes ? » entraîne rarement, en réponse, l’évocation des enzymes issus de l’hydratation de l’endosperme des semences sous l’action de la gibbérelline, ni celle des auxines, hormones de croissance qui régissent la pousse des tiges. On rappellera plutôt l’importance de l’eau et de la lumière, éléments premiers qui relèvent du cosmos davantage que du labo. Dans la pensée commune occidentale, que le XXIe siècle réactive, le végétal appartient à un registre de la nature auquel, sans bornage précis, se relient les espaces du sacré.
Ces relations fondatrices pour la compréhension humaine de la nature négligent l’inventivité propre du végétal, dans son propos permanent d’extension et de perpétuation.
Aussi tardif que modeste est « le geste auguste du semeur » au regard des centaines de millions d’années de coévolution : la dissémination et la croissance des plantes dépendent pour beaucoup d’acteurs non humains. Les fourmis déplacent et « sèment » des quantités de graines (certaines « cultivent » les champignons inférieurs dont elles s’alimentent, sur un compost de feuilles mâchées) ; oiseaux et mammifères les transportent dans les plumes ou les poils, en constituent parfois des réserves qui sont autant de « conservatoires », quand ils ne modifient pas les milieux par des actions physiques (labours des sangliers, favorables à certaines levées) ou chimiques : fumure azotée des abreuvoirs riverains, des sites où nichent les colonies aviaires.
En extrayant au printemps les glands alors germés de leurs cachettes, les geais, qu’intéressent seulement les réserves nutritives des cotylédons, brisent en partie les radicelles en développement ; il a été montré que ce stress favorise la production racinaire, que les jeunes sujets ainsi « conduits » ont de meilleures chances de grandir.
L’intervention animale ne concerne pas seulement les plantes sauvages : déjà attestée en Mésopotamie antique, toujours pratiquée en plusieurs régions du monde, la caprification consiste à suspendre des rameaux fructifiés de caprifiguiers (figuiers sauvages) dans les branches de certaines races cultivées incapables de mûrir leurs figues sans l’intervention du blastophage, la « guêpe du figuier ». L’insecte et l’arbuste sauvage vivent en symbiose : le premier pond et se développe exclusivement à l’intérieur des figues, celles-ci ne peuvent se développer sans la fécondation qu’il assure. Des races cultivées stériles ne mûrissent qu’après le stimulus au passage de la guêpe par « l’œil » du pseudo-fruit.
Quant aux alliances des racines avec le réseau mycélien du sol, liens qu’on explore attentivement depuis peu, ce sont des interrelations assimilables à des assistances mutuelles à la croissance et au maintien dans le et du milieu. D’un intérêt majeur dans la perspective de nouvelle gestion des cultures, et aussi des milieux naturels, ces symbioses, par assimilation aux échanges sociaux, nourrissent désormais un vaste imaginaire d’entente et de partage chez les humains. Les plantes (auxquelles les champignons ont cessé d’appartenir…) y gagnent énormément en exemplarité.
L’étude des discours, représentations, images, métaphores, etc., associés à ce processus d’émergence d’une nouvelle morale de la nature est au centre des interrogations du séminaire.
Qu’il s’agisse de la levée d’un hêtre ou d’un palmier, de la germination du sorgho des savanes ou du blé steppique, le fait de multiplication et de croissance des plantes s’est manifesté aux humains dès les toutes premières origines avec autant d’évidence que la floraison et la fructification. Mais connaître un phénomène ne signifie pas qu’on en comprenne les causes. Le monde ancien use de la nature dans la conscience permanente que des forces invisibles parrainent les métamorphoses, permettent aux humains d’en recevoir des bénéfices éventuels. Entre le semis ou la plantation et la récolte, il y a toujours l’intervention d’un ou d’une intermédiaire inconnaissable. Rituels et sacrifices remercient les puissances qui octroient le fruit ou le tubercule, celles qui enseigneront un jour à travailler le jardin ou le champ.
Les temps oublieux de toute reconnaissance, s’ils ont expliqué savamment les raisons de la germination et de la croissance, ont substitué aux étonnements quelque peu inquiets des recettes à produire dont il n’est pas sûr qu’elles soient plus intelligibles que les dévotions : quel agriculteur connaît les procédés d’obtention des semences hybrides, le mode d’action précis du Round Up, destructeur indirectement favorable à la croissance, la composition exacte du liquide qui, au verger, va bloquer la croissance des rameaux ? L’ancienne tutelle des dieux table toujours sur l’obéissance aveugle des dévots ; mais la crédulité a changé de nature.
Au XXIe siècle, la rencontre avec la plante comme être digne de respect, voire nanti de droits, exacerbe les paradoxes. Reconfigurée de fond en comble par la science (photosynthèse, capture du CO2, symbioses et communications, composés organiques volatils, etc.), la perception du végétal trouve de nouvelles expressions où le savoir savant rappelle moins les anciennes toutes-puissances qu’il ne soutient involontairement l’évolution des sensibilités, celles-ci parfois régressives. L’agriculture productiviste et la sylviculture monospécifique sont déclarées terricides en même temps que la permaculture s’efforce de faire oublier qu’elle ne remplace pas la pluie.
Impossible de recenser et décrypter les multiples expressions de l’attention à la levée et à la croissance des végétaux. Des plantes sauvages utiles dans les registres matériels et immatériels, aliments, remèdes, fleurs sacrées, etc., ont pu se voir « accompagnées », dans les milieux naturels, par les sociétés humaines préagricoles : les brûlis favorisent la croissance des ignames dans la forêt tropicale, en même temps qu’ils en facilitent la récolte ; certains y voient les prémices du jardin. Mais c’est surtout avec l’agriculture établie que se manifeste le souci de la bonne venue et de la croissance optimum du végétal. Cette attente suppose qu’on invoque et qu’on remercie.
Toutes les civilisations agraires vouent un culte aux divinités ou aux esprits tutélaires des céréales fondatrices. À la Déméter grecque, sœur de Zeus, marraine des blés et orges méditerranéens, répondent les Cintéotl et Chicomécoatl des Aztèques, divinités du maïs dont la célébration veut le sacrifice humain, ou encore Inari, dieu japonais dont le nom signifie « croissance du riz ». Dans plusieurs cultures asiatiques, le riz volé aux dieux est rapporté aux humains comme le feu par Prométhée. Pour des ethnies du Pacifique, les ancêtres résident dans les ignames cultivées, d’où le poids des alliances où l’on en échange les clones. Quant au monde chrétien, il plantera volontiers du buis ou de l’olivier béni aux quatre coins du champ — et ira, en catimini, faire l’amour dans les sillons pour inciter la Terre à des noces fertiles1.
« On ne tire pas sur une fleur pour la faire grandir », dit un proverbe africain. Oublieux du conseil, beaucoup cherchent encore à « sauter » la phase initiale du développement, évacuent la question du « faire pousser » pour aller d’emblée à la plante adulte ou à la production massive. Les jardineries vendent les pétunias ou les pélargoniums en vasques prêtes à suspendre. Quant aux oliviers, oubliés alors pour leurs fruits, c’est leur charge de temps (de siècles) qu’on achète. Les semences-artefacts d’origine hybride, si leur descendance dégénère, auront produit en une fois un tonnage fabuleux (jusqu’à 340 quintaux/ha chez le maïs).
À l’autre extrême, on collecte, multiplie et propage les « semences paysannes » ; et les glands des chênes sessiles méridionaux sont semés à Verdun dans l’espoir d’amorcer des lignées résistantes aux effets du réchauffement climatique2.
La germination et la croissance des plantes sont d’un temps étranger à celui des humains. Le persil, qui tarde à lever, est réputé rendre visite sept fois au diable avant de montrer sa première feuille3. La graine d’angélique devient stérile en quelques semaines. Le genêt à balais réapparaît de semence un siècle encore après la défriche. Un silène a pu germer après trente-deux-mille ans dans le permafrost sibérien4. Dans les régions tempérées, toutes les céréales et beaucoup de légumes sont des plantes annuelles qui restent en terre un an au plus. En même temps que les arbres (si possible) millénaires, désormais admirés et défendus, acquièrent un statut de grands ancêtres détenteurs de savoirs possiblement utiles aux sociétés piégées par leur propre impéritie.
Les humains exigent et simplifient à la fois. Le jardinier et l’agriculteur doivent disposer de semences fertiles, toutes ou presque aptes à la levée, et celle-ci réclame des soins attentifs. La part de hasard attachée à la réussite des graines sauvages est ici réduite au minimum. On a pris le contrepied de ce qui, dans les milieux naturels, est perçu comme quasi-fortuit. La mise en rang, au potager comme en forêt, facilite les tâches d’entretien et de récolte, montrant aussi que l’humain et son ordre emploient l’espace mieux que les tâtonnements sauvages.
Et puis le bouleversement du regard sur la nature réhabilite ce qui était perçu comme confusion. Permaculture et futaie jardinée valident les bienfaits du « désordre »5. Les agriculture, arboriculture et sylviculture, qui « faisaient pousser » les plantes comme on mène un troupeau docile, s’en remettent de plus en plus à l’ingéniosité propre du végétal, à ses facultés d’instaurer un partage aussi équilibré que durable entre l’organique et l’inorganique, entre les règnes, entre les siècles. La plante du XXIe siècle est en passe de devenir une esclave affranchie.
C’est dans cet imbroglio des discours et des recours que se repose la question initiale : qu’est-ce qui fait encore, de nouveau, par science, par patience, par miracle, pousser les plantes ?
Que ce soit dans la conduite du jardin et du champ, voire celle du pot de fleur, « faire pousser » les plantes (cultivées) suppose l’emploi des engrais.
Enseigné aux sociétés forestières par les premières semi-cultures sur brûlis, le pouvoir fertilisant des cendres (potassium, phosphore, mais aussi calcium vite en excès), bien connu de l’Antiquité, préfigure la fumure minérale NPK qui s’est substituée aux engrais organiques à partir de la moitié du XIXe siècle. Après la 1ère Guerre mondiale, le recyclage des nitrates de synthèse employés à la fabrication des explosifs a entraîné un bond de la production des engrais azotés, fait la fortune des firmes reconverties et de leurs actionnaires ; en même temps que régressait la fumure organique, elle-même apprise par l’observation de l’incidence des excrétions animales sur la croissance de la flore, sans doute dès les premiers temps de la sédentarisation. Tandis que, avec la crise écologique du XXIe siècle, dont l’agriculture industrielle est en partie responsable, on table sur des méthodes d’entretien, voire d’accroissement de la fertilité avec bien moins ou pas du tout de recours aux intrants.
Entre l’intervention forcenée de l’usine chimique et le “laisser faire la nature” du permaculteur, entre l’aspersion d’engrais liquide sur les céréales et le marc de café, dont, par similitude d’aspect avec le compost, on croit nourrir le Ficus benjamina, entre les préparations biodyamiques à la « bouse de corne » et la « ferme verticale » au soin des robots, les mises en œuvre, mais aussi les représentations, de ce qui favorise, hâte, dirige la croissance du végétal, sont multiples, évoluent à toute allure sous nos yeux. Elles restent à interroger indépendamment des aspects culturaux.
Depuis longtemps les plantes sont « conduites ». Le terme s’applique aux forêts, aux vergers, aux espaliers, aux jardins potagers ou floraux, etc., mais aussi bien à ces « riz sauvages » des marais nord-américains, liés en gerbes avant maturité et plus tard battus au-dessus des barques revenues dans les peuplements6.
Suite d’attentions entre semis et récolte, la conduite des plantes a longtemps privilégié, privilégie toujours le critère de productivité, qu’il s’agisse de bois, de fourrage, de fruits, de légumes, de fleurs, voire de l’herbe des gazons. Dans le cas des végétaux sauvages, elle intéresse non seulement les peuplements forestiers mais aussi les prairies de fauche et les pâtures, milieux naturels sous dépendance humaine forte, qui, délaissés, sont reconquis par les ligneux. De nos jours le terme peut s’appliquer aussi au suivi de certaines stations de médicinales menacées par des cueillettes excessives : grande gentiane, arnica, etc7.
Conduite encore, parfois pour le pire, la plante-simulacre des œuvres et des actes humains, ou passée de l’utile à l’esthétique. En taillant des massifs d’arbustes toujours verts, les « topiarii », jardiniers des Romains fortunés, sculptaient des monstres, des batailles navales ou des combats de gladiateurs. D’à peu près la même façon, on obtient des oliviers-caniches à plateaux étagés (taille japonaise niwaki, dite aussi « en nuage »), prisés des ronds-points méridionaux et des particuliers assez riches pour les payer des milliers d’euros pièce. Ils perpétuent sur un mode géant la pratique du bonzaï, contrainte miniaturisante où l’arbre, voire le bosquet, à force de restrictions nutritives et de tailles maniaques, survivent des décennies sur un guéridon.
Qu’est-ce qui incite à contrefaire le végétal ? L’envie de dominer la nature n’explique pas tout.
Les soins aux plantes cultivées vont du crachat dans le trou du plantoir jusqu’à la récolte mécanique ou manuelle, celle-ci valorisée aussi bien que la pizza au feu de bois. On pourra s’interroger sur ce qui répond à l’impératif de naturel, à l’obstination de l’artificiel, sur les investissements symboliques dans telle ou telle pratique ou préférence technique, alimentaire, militante, sur « avoir la main verte » (les pouces verts) ou pas, sur la culture clandestine du cannabis, caché entre les rangs de maïs, dans des clairières perdues, ou dans des sous-sols éclairés par des lampes que trahiront les émissions infrarouges, etc. — au risque de s’égarer parmi les multiples questions.
Mais où importe encore cette autre interrogation : qui conduit ? Tout le monde sait que, hormis sur le timbre éponyme de 1903, le geste auguste célébré par Hugo n’est pas celui d’une semeuse. Les rôles associés au semis et au suivi des plantes sont strictement distribués selon les genres, souvent encore. Même si, dans nos cultures, des déesses parrainent les plantes fondatrices, céréales ou olivier, la doxa ethnologique attribue le potager à la ménagère, le champ aux hommes — sauf tâches secondes comme récoltes non céréaliennes, jadis échardonnage, etc. Des Achuar, où les femmes, dit Philippe Descola, élèvent le manioc avec un coup de pouce des esprits, à la banlieue, entre jardin de sorcière et jardin ouvrier ou partagé, entre hectares de maïs et petite horticulture urbaine, cette répartition des fonctions évolue sous nos yeux, hésite, s’imprécise, se brouille : qui échange graines ou boutures, qui tond le gazon, qui arrange le bouquet, qui s’occupe des plantes dans l’appartement ? Qui sème le champ, taille la vigne ? Qui dessine le rond-point, organise les espaces verts ? Aussi ressassées semblent-elles, ces questions des attributions genrées dans la conduite et le soin du végétal concernent l’ethnobotanique du XXIe siècle.
Les nombreuses ramifications du sujet imposent de privilégier l’approche où le « pourquoi dans telles conditions socioculturelles » précède le factuel détaché de son contexte. Que les contestataires des gazons trop gros buveurs aillent planter des poireaux dans les trous des golfs est un fait social à prendre en compte, mais il ne se relie que de loin à la thématique retenue. Les bombes à graines censées compenser les méfaits des désherbants, et nourrir des abeilles, n’ont pas encore visiblement accru la flore adventice ; mais elles n’ont pas dit un dernier mot qui peut les convertir en invasives… Avoir envie que des plantes poussent suffit-il à leur installation ? Que les plantes ne poussent ni n’importe où ni n’importe quand est un paramètre rarement pris en compte par les semeurs de futur fleuri.
Les bouleversements actuels des relations avec la plante, propices à l’embroussaillement des idées, n’excluent pas l’émergence de nouveaux savoirs. On voit ainsi la bonne pratique horticole conseiller des « associations » entre légumes, légumes et aromatiques, etc. Ces « effets de voisinage » sont regardés comme favorables à la croissance, ou décourageant les pathogènes : carotte et poireau s’entraident de longue date, tomate et autres Solanacées apprécient la présence du basilic, la capucine éloigne les pucerons des Cucurbitacées, l’œillet d’Inde est un protecteur universel, etc. À l’inverse, des antagonismes (allélopathies) incitent à proscrire certains rapprochements comme épinard/betterave, pomme de terre/courge, oignon/haricot, etc.8
Comment ces observations se sont-elles construites et diffusées ? La part de la mémoire jardinière y est faible. Ici, pas de théoricien du non-théorisable analogue au Dr. Bach dans la genèse des élixirs floraux. Interviennent de surcroît des plantes américaines dont la plupart ne gagneront les jardins ou les champs qu’au XVIIe siècle, sinon plus tard. Quelles sont alors la part de l’observation, l’incidence de la projection dans la mise en place de ces savoirs dont il est dit par ailleurs que « scientifiquement parlant, on (n’en) sait pas grand-chose »9. Désormais intégrée aux pratiques de la permaculture, cette nouvelle attention aux sympathies et antipathies inter-végétales donne à voir les assises d’une construction empirique en cours, très intéressante à considérer.
Le passage à l’acte agricole initie la contrainte sur les plantes, fonde, a-t-on dit, celle sur les humains. Quand il est entrepris de semer, croiser, greffer, forcer — et sélectionner jusqu’au tératologique : rose à 1000 pétales, et, génétique aidant, maïs à 1000 grains par épi10 —, la domination sur le végétal paraît de moins en moins séparable du fait de domination sociale. Pour autant que l’idée de « révolution néolithique » reste encore un repère incontournable dans l’histoire des civilisations. Les céréales sauvages déjà récoltées pour la mouture il y a 30 à 50 000 ans en Australie se débrouillent toute seules, elles donnent une farine bien avant les premiers semis11.
La supposée linéarité de l’histoire agraire et des techniques associées, déjà contredite aux origines, trouve aujourd’hui, avec la prise en compte des « modèles naturels », de nouvelles raisons de vacillement. Toute la relation à la plante, imbriquée avec celle du monde, se transforme sous nos yeux ; l’ethnobotanique ne peut manquer cette opportunité !
Le rapport mode d’agriculture/type de société est interrogé depuis longtemps. Si l’ordre agraire et l’ordre jardinier diffèrent profondément, ce n’est pas encore assez pour voir les orgueils et les conflits dépendre seulement du premier. L’évolution possible de la relation au végétal vers autant d’attention à l’être qu’au produit, parallèlement à la critique de l’injustice constitutive des systèmes productivistes, pourrait bien faire reconsidérer toute la question.
Le 4 décembre, jour de la Sainte-Barbe, les méridionaux déposent dans une soucoupe, les mouillant un peu, les grains de blé achetés au profit d’une association caritative (en Allemagne, le même jour, un rameau de cerisier mis dans un vase doit fleurir à Noël). Ce « blé de l’Avent », jadis témoin participant de l’attente d’une naissance divine, s’est fait pratique machinale à la prise de pouvoir du Père Noël. Reste qu’une certaine espérance lève et verdit toujours au bord de la fenêtre ; aussi imprécise soit-elle, elle met dans la maison une attente moins fébrile que celle des cadeaux. Cependant, au lendemain de la fête, peu se rappellent l’obligation d’aller planter les pousses vertes dans un champ de blé, qu’entraînerait alors le petit élan de confiance.
Bien des symboles persistent dont on ne sait plus les attaches. Mais la fabrique du symbole, toujours innovante, sait renouveler ses matières premières ; l’atelier des plantes en témoigne sous nos yeux de façon exemplaire ; ce séminaire attend la nouvelle visite guidée.12
Pierre Lieutaghi
Jeudi 12 octobre 2023
Salle polyvalente de Mane
08:30 – Accueil.
09:00 – Ouverture du séminaire par Antonin Chabert, directeur du Musée de Salagon, et Élise Bain, coordinatrice du séminaire.
09:30 – Quand la vigne fait le bouc. Lecture philosophique et poétique d’une pathologie de la croissance végétale chez Théophraste et Virgile. Samuel Dumont, doctorant en philosophie ancienne, Sorbonne Université.
10:15 – Un père, quatre filles-mères et un fils. « Qu’est ce qui fait pousser les plantes ? » : une histoire de famille. Jean-Michel Rietsch, membre de l’Institut de recherche en Langues et Littératures Européennes (ILLE), Université de Haute-Alsace, Mulhouse.
11:00 – Pause.
11:15 – À la « bonne heure » des plantes : réflexions anthropologiques sur le rituel des rogations. Jacques Lucciardi, docteur en ethnologie et conseiller principal d’éducation.
12:00 – Repas.
14:00 – Peurs, violences et phantasmes : quand nos émotions font pousser les plantes. Thierry Thévenin, paysan-herboriste.
14:45 – Plantes identitaires, variétés locales, questions autour d’un renouveau. Martine Bergues, ethnologue, Département du Lot.
15:30 – Pause.
15:45 – Des choux et du Schubert : la musique pour faire pousser les plantes. Júlia Durand, doctorante en musicologie à l’Université Nova de Lisbonne, CESEM – NOVA-FCSH.
16:30 – Fin de la journée à la salle polyvalente de Mane.
16:45 – Pot à Salagon et visite libre des jardins, des expositions et de la librairie.
19:00 – Fermeture du site de Salagon.
Vendredi 13 octobre 2023
Salle polyvalente de Mane
8:30 – Accueil
9:00 – Des « armoires » à câpriers aux muscadières de Beaumes-de-Venise. Exemple de glissement de savoir-faire. De la culture des câpriers à celle de la vigne. Magali Amir, ethnobotaniste.
9:45 – Qu’est-ce qui fait pousser une « mer d’oliviers » ? L’oléiculture andalouse, entre plantations modernes et histoires familiales. Lucille Florenza, doctorante en anthropologie, Centre Norbert Elias, EHESS Marseille.
10:30 – Pause.
10:45 – Rapports scientifiques, ésotériques et anthropomorphiques au végétal dans la petite agriculture biologique de montagne. Jean Autard, doctorant contractuel en anthropologie,
EHESS Marseille.
11:30 – Altérités végétales et durabilité alimentaire. Florence Pinton, professeure de sociologie, AgroParistech, Umr Sadapt, UPSAY et Aurélie Javelle, IR en anthropologie de l’environnement, Institut Agro, Montpellier Supagro, UMR Innovation, UMR Sens.
12:15 - Repas
14:15 – Faire pousser les arbres fruitiers dans la moitié nord de la France dans les années 1525- 1562 : quelles pensées, quelles pratiques ? Anaïs Blesbois, doctorante en histoire médiévale, Université Paris-Saclay, UVSQ, DYPAC.
15:00 – De l’influence de la lune sur la pousse des végétaux. Jardiner avec la lune à l’aune du XXIe siècle. Émilie Demouselle, doctorante contractuelle, LITT&ARTS.
15:45 – Pause.
16:00 – A-t-on cru que planter le blé de la Sainte-Barbe faisait pousser les céréales ? Claude Marco, anecdobotaniste.
16:45 – Fin de la journée dans la salle polyvalente.
17:00 – Visite libre des jardins et de la librairie.
19:00 – Fermeture du site de Salagon.
Samedi 14 octobre 2023
Musée de Salagon
09:30 – Accueil au Musée de Salagon.
09:45 – Mais qu’est-ce qui fait donc pousser les champignons ? Sophie Lemonnier, conteuse, éducatrice à l’environnement spécialisée en ethnobotanique, auteure d’un ouvrage d’ethnomycologie cévenole.
10:30 – Cueillir des plantes en ville : dépasser les assignations végétales, valoriser le vagabondage. Fabien Roussel, maître de conférences en géographie, Université d’Artois, et Flaminia Paddeu, maîtresse de conférences en géographe, Université Sorbonne Paris Nord.
11:15 – Appréhender les trajectoires paysagères des espèces végétales cultivées comme démultiplicateur de diversité biologique : le cas des jardins partagés de Bordeaux Métropole. Morgane Robert, paysagiste DPLG, docteure en architecture et paysage, responsable de la recherche, SCOP SaluTerre, MCA ENSAP Bordeaux, UMR Passages 5319 CNRS
12:00 – Fin du séminaire. Repas pour celles et ceux qui auront retenu.