Fleurs de Chine

Les hommes de lettres chinois ont souvent célébré dans leurs œuvres les beautés féminines. Parmi les expressions utilisées dans ce but, nombreuses sont celles qui font appel au monde végétal.

Il est mal vu en Chine de commenter l’aspect physique d’une femme (on dit « apprécier le visage et (de) parler des pieds », 品头论足 [pǐntóu lùnzú]). Malgré cela, les descriptions de la beauté féminine dans la littérature chinoise, notamment dans la poésie, sont innombrables. Et pour ces descriptions, les auteurs, pour leurs métaphores, font volontiers appel aux végétaux.

Fleurs sauvages et fleurs domestiques

Les femmes sont souvent comparées à des fleurs (花 [huā]), le plus souvent des fleurs qui exhalent un parfum délicieux (芳 [fāng]). L’expression « tableau des fleurs » (群芳图 [qúnfāngtú]) désigne stricto sensu les peintures florales, mais elle est parfois détournée pour donner son titre à un tableau représentant de belles femmes, comme par exemple le Tableau des fleurs du peintre contemporain Chang Gaoyuan (la photographie provient du site web de l’artiste) :

群芳图 de Chang Gaoyuan
群芳图 de Chang Gaoyuan

On parle aussi en Chine de fleurs domestiques (家花 [jiāhuā]) et de fleurs sauvages (野花 [yěhuā]), les premières étant les épouses légitimes, les secondes les maîtresses. Une expression malencontreuse dit que « les fleurs domestiques ne sentent pas aussi bon que les fleurs sauvages » (家花不如野花香 [jiāhuā bùrú yěhuā xiāng]). La chanteuse chinoise Tian Zhen, dans une chanson sortie en 1996 et intitulée Fleur sauvage (野花 [yuěhuā]), se compare à une fleur sauvage poussant dans la montagne et attendant que quelqu’un veuille bien la cueillir. Voici le clip :

Feuilles et fleurs de pêcher

« Feuille de pêcher » (桃叶 [táoyè) était le nom de la concubine favorite de Wang Xianzhi (344-386), fils du célèbre calligraphe Wang Xizhi. « Fleur de pêcher » vivait dans le quartier des courtisanes de Nanjing, et devait, pour rejoindre son amant, traverser la rivière Qinhuai. Wang Xianzhi composa pour sa concubine un poème fameux intitulé « L’embarcadère de Feuille de pêcher ». Le lieu supposé où embarquait la jeune femme est appelé l’embarcadère de Feuille de pêcher (桃叶渡 [táoyèdù]), et c’est aujourd’hui une attraction touristique à Nanjing. Dans la littérature chinoise, l’expression « feuille de pêcher » désigne souvent une courtisane. Par ailleurs, pour parler du succès qu’un homme à en amour, on parle aussi de « chance de fleur de pêcher » (桃花运 [táohuāyùn).

La cerise

Selon les canons de beauté de la Chine ancienne, les lèvres de la bouche d’une femme, pour être parfaites, devaient être rouge vif, rebondies et petites. Pour les Chinois, le fruit qui ressemble le plus à une bouche parfaite est la cerise (樱桃 [yīngtáo]). Dans les descriptions des beautés classiques, il est fréquent de dire que la personne décrite a une « petite bouche en forme de cerise » (樱桃小嘴 [yīngtáo xiǎozuǐ]). Pour décrire la couleur des lèvres d’une femme, on parlait aussi de « cerises écarlates » (朱樱 [zhūyīng]).

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On dit de l’actrice Yang Chaoyue qu’elle a une bouche en forme de cerise (Photographie du domaine public)

Le saule

La branche du saule, notamment celle du saule pleureur, Salix babylonica, présent en Chine, est connue pour sa flexibilité et sa finesse. Les anciennes Chinoises prenaient soin de tailler leurs sourcils de façon à ce qu’ils restent très fins, si bien que l’on parlait de « sourcils en forme de saule » (柳眉 [liǔméi]) ; quant aux yeux très bridés, ils étaient appelés « yeux en forme de saule » (柳眼 [liūyǎn]). On attribuait par ailleurs à la taille des femmes minces la flexibilité de la branche de saule, et l’on parlait de « taille de saule » (柳腰 [liǔyāo]).

Feuilles et branches de Salix babylonica (Photographie : Alvesgaspar, CC BY-SA 3.0)
Feuilles et branches de Salix babylonica (Photographie : Alvesgaspar, CC BY-SA 3.0)

La pêche

Le Larousse explique que l’on qualifie de « teint de pêche » une peau douce et veloutée, un teint rosé. Les anciennes Chinoises, quand elles se maquillaient, ornaient volontiers leurs joues de fard rouge, qui faisait penser à la couleur de la pêche mûre. On les décrivait alors comme ayant des « joues de pêche » (桃腮 [táosāi]).

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On raconte que les pêches d’immortalité volées par le roi des singes, Sun Wukong, dans le verger de l’empereur de Jade, étaient des pêches plates, Prunus persica var. platycarpa (Photographie : myself, CC BY 3.0)

L’abricot

La forme ronde de l’abricot est évoquée lorsque l’on parle d’une femme qui a de grands yeux ronds, on parle d’« yeux d’abricot » (杏眼 [xìngyǎn]). La couleur de l’abricot sert aussi à décrire les jeunes femmes qui ont les joues roses et qui semblent en plein santé : on parle alors de « visage d’abricot » (杏脸 [xìngliǎn]) ou de « joues d’abricot » (杏腮 [xìngsāi]). Et pour parler de l’infidélité d’une femme, on utilise la métaphore d’un « abricot rouge qui franchit le mur » : 红杏出墙 [hóngxīng chū qiáng].

La ciboulette et les pousses de bambou

Les doigts d’une belle Chinoise se doivent d’être longs et d’un blanc immaculé, comme l’extrémité inférieure d’un brin de ciboulette. Pour les décrire, on utilise volontiers des expressions telles que « ciboulette printanière » (春葱 [chūncōng]) ou de « doigts de ciboulette » (葱指 [cōngzhǐ]). On compare parfois aussi ces doigts à une pousse de bambou très fine et très blanche : ce sont des « doigts de pousse de bambou » (笋指 [sǔnzhǐ]).

La calebasse et le riz glutineux

Les dents des femmes se doivent d’être d’un blanc immaculé. Dans la poésie chinoise ancienne, les dents d’albâtre sont souvent comparées aux graines d’une calebasse (瓠犀 [hùxī]) ou à des grains de riz glutineux (糯米 [nuòmǐ]). Voici la description d’une belle femme dans le poème Une beauté (硕人 [shuòrén]) dans la première anthologie de la poésie chinoise, le Livre des Odes (《诗经》 [shījīng]) : « Des mains comme des pousses d’impérate, une peau comme du saindoux, un cou comme une larve blanche, des dents comme les graines d’une calebasse ». (手如柔荑,肤如凝脂,领如蝤蛴,齿如瓠犀).

Le lotus

L’habitude exécrable de bander les pieds des femmes est apparue en Chine à l’époque des Song du Nord (960-1127). Pour simplifier, disons que le but de cette abominable pratique était d’empêcher que les femmes puissent se déplacer seules (une femme aux pieds bandés, pour pouvoir marcher, devait s’appuyer sur l’épaule de quelqu’un), et donc de garantir ainsi leur moralité. Cette pratique a atteint son apogée à l’époque des dynasties des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911). Elle a été interdite après le renversement de la dynastie des Qing (1911), mais on pouvait encore rencontrer à Pékin, dans les années 1980, de vieilles femmes dont les pieds avaient été bandés.
Les pieds bandés (缠足 [chánzú]) ont longtemps été un critère de la beauté féminine en Chine et ont donné lieu une littérature abondante. On comparait ces pieds bandés à des « lotus d’or » (金莲 [jīnlián]) ; plus les pieds étaient petits, plus ils étaient appréciés, l’idéal étant d’avoir des « lotus d’or de trois pouces » (三寸金莲 [sāncùn jīnlián]). Le teint des belles était aussi parfois comparé à une fleur de lotus rose : « joues de lotus d’or » (金莲颊 [jīnliánjiá], ou 金莲腮 [jīnliánsāi]).

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Femme aux pieds bandés à Beijing au début du XXe siècle (Photographie : Firmin Laribe, 1855-1942, domaine public)

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