(Bien) observer les bambous pour les identifier

Savez vous regarder les bambous ? À la mode, à la mode ...

Si les bambous sont principalement originaires des contrées sub-tropicales et tropicales d’Asie, d’Océanie, d’Afrique et d’Amérique, certaines espèces sont cultivées avec succès dans les zones tempérées.

Et s’il n’y a aucune espèce indigène en Europe ou en Amérique du Nord, nombreuses sont celles qui y ont été acclimatées, ou sont en cours de l’être, principalement pour les besoins de l’horticulture (usages ornementaux). Et ce sont désormais des plantes de parc et jardin assez largement diffusées.

Nous sommes donc maintenant habitués à les rencontrer un peu partout, d’autant plus que les principales espèces plantées, appartenant surtout au genre Phyllostachys, s’échappent facilement et certaines se naturalisent, surtout en climat océanique chaud [1].

De plus, de nouveaux usages agricoles et techniques se développent [2][3], rendant encore plus importantes les occasions de rencontre dans un futur relativement proche.

Mais que savons nous des bambous ?

Même parmi les botanistes expérimentés, ceux qui connaissent bien ces espèces sont encore rares. Certes il s’agit de plantes présentant, de prime abord, des caractères relativement homogènes : des tiges dures, présentant des nœuds à partir desquels naissent des branches portant des feuilles lancéolées. Voilà l’image bien sommaire et surtout très floue que nous avons tous plus ou moins en tête quand on évoque cette sous-famille des Poacées.

Combien d’espèces y-a-t’il en France continentale ?

Flora Gallica (2014) liste en clé les 8 genres suivant : Arundinaria (~Indocalamus, Pleioblastus), Chimonobambusa, Phyllostachys, ×Pseudosasa, Sasa, ×Sasinaria (~Sasaella), ×Semiarundinaria et Shibataea. Parmi ceux-ci, seuls ceux marqués en gras disposent d’observations dans la base de donnée SiFlore de la fédération des Conservatoire Botaniques Nationaux, [4]. Ceux soulignés disposent de quelques (rares) observations (parfois une seule) dans la base de données de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel [5], encore faut-il préciser qu’au sein du genre Sasa, les deux espèces ne disposent que d’une observation chacune dans les bases de données précitées.

Les bambous les plus couramment observés en France sont donc de loin les Phyllostachys, suivis à la traîne par Pseudosasa japonica, ce dernier surtout dans les vallées des grands fleuves et dans les Landes de Gascogne.

Au sein du genre Phyllostachys il existerait selon Plants of the World Online, Kew [6] 63 espèces acceptées. La Flora of China [7], que Flora Gallica considère comme relativement exhaustive, est (à ma connaissance) la seule clé de détermination accessible en ligne, certes en anglais, mais aussi illustrée. Elle couvre 51 espèces. Dans Flora Gallica, 8 espèces « plantées en grands massifs ou en alignement, [et s’échappant] facilement » ont été mises en clé (mais le texte précise qu’environ 40 autres espèces sont ponctuellement cultivées !) :

NB : les nombres entre crochet indiquent les nombres d’observations sur Tela Botanica (bdtfx), SiFlore*, INPN* et iNaturalist (en France) à la mi-mai 2024 (* sur SiFlore et INPN on a compté le nombre de mailles figurées sur la carte) :

  • P. aurea [8, 0, 35, 110]
  • P. aureosulcata [2, 0, 3, 4]
  • P. bambusoides (= P. reticulata) [3, 34, 49, 2]
  • P. flexuosa [0, 1, 8, 0]
  • P. nigra [7, 12, 29, 13]
  • P. violascens [0, 0, 0, 0]
  • P. viridiglaucescens [2, 0, 20, 0]
  • P. viridis (= P. sulphurea var. viridis) [4, 0, 1, 0]

Tela Botanica reprend ces 8 espèces et y ajoute P. edulis : le bambou moso, l’un des plus importants bambous (géant) d’un point de vue économique en Chine et au Japon, mais très rare en France, à priori du fait de la rareté des sols adaptés à ses exigences [8]. Notez bien : SiFlore dispose de quelques observations de P. edulis (sous le nom de P. heterocycla) principalement dans le sud-est.

Complétons donc nos nombres d’observations pour Phyllostachys edulis et Pseudosasa japonica :

  • hyllostachys edulis (= P. heterocycla)[2, 12, 0, 0]
  • × Pseudosasa japonica [2?*, 20, 142, 18] (* 0 obs’ dans bdtfx, 2 obs’ dans isfan mais non géolocalisées)

Il en résulte que les bambous les plus couramment rencontrés pourraient être (sous réserve que les observations soient correctement identifiées, ce qui est probablement loin d’être le cas de la plupart des observations sur les sites de science participative) :

Ph. aurea, Ph. bambusoides, Pseudosasa japonica, Ph. nigra, sont les bambous les plus observés, et dans une relative moindre mesure Ph. viridiglaucescens.

Ph. aureosulcata, Ph. viridis, Ph. edulis et Ph. flexuosa sont relativement rarement observés.

et Ph. violascens n’est pour ainsi dire jamais observé ou identifié.

NB : de manière assez amusante « Bambusa vulgaris« , le nom d’une espèce acceptée originaire de la péninsule indochinoise, est utilisé assez fréquemment pour enregistrer (en France métropolitaine !) une observation de bambou inconnu sur le site iNaturalist [9] ce qui est une erreur grossière. Cette espèce dispose par ailleurs de plus de 500 observations sur l’INPN … mais pour les territoires de la Guyane, de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion où elle effectivement présente [10] ! Mais je m’égare. En cas d’impossibilité d’identifier une espèce de bambou, il est plus raisonnable de recourir au nom de la sous-famille les englobant tous : Bambusoideae.

Mais alors, venons en au fait : comment identifier nos Phyllostachys métropolitains ?

Ci-dessous je ne propose pas de clé : celle de Flora Gallica en français est assez bien faite, les anglophones n’oublieront pas de jeter un œil à la Flora of China, notamment sa clé des Phyllostachys, et les italophones seront sans doute intéressés par ce petit guide de terrain pour le Piémont.

Ce qui suit est donc simplement un ensemble de critères, autant que possible illustrés, pour quelques-unes des espèces que j’ai pu observer. Il n’y a donc ici aucune vocation à couvrir l’ensemble des espèces métropolitaines.

Avertissement

Je ne suis pas un spécialiste des bambous, juste un botaniste qui a décidé de s’intéresser à ces plantes et je regrette qu’il n’y ai pas plus de documentation et d’illustration disponibles. Peut-être donc que j’aurai mal compris ou mal interprété certains caractères présentés ci-dessous. Si des personnes un peu plus aguerries en observation et identification des bambous voient ou tout au moins soupçonnent des erreurs, merci de ne pas hésiter à me les signaler, afin que je les vérifie et les corrige.

Parlons d’abord de la gaine caulinaire

Chez les bambous on distingue deux types de feuilles :

  1. celles pour lesquelles tout le monde sera d’accord de les appeler « feuilles » au premier coup d’oeil : elles se trouve aux extrémités des branches, et
  2. celles, plus surprenantes, croissant directement sur la tige principale (= sur le chaume) et dont la gaine est grande, bien visible, embrassant complètement la tige (le chaume), souvent de la taille de l’entre-noeud qu’elle cache, et le limbe foliaire est réduit, soit à une triangle ou une languette rachitique lors de l’émergence du chaume, soit à une fine lanière d’au plus 1 à 2 cm de large sur les plus grandes espèces lorsque le chaume est à hauteur d’œil d’un adulte. Pour parler de ces feuilles on les désigne donc généralement sous le terme de gaines caulinaires (dans Flora Gallica), ou en anglais « culm sheath« , et leur limbe (« sheath blade » ou tout simplement « blade » en anglais) est qualifié en français de limbe imparfait.
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Sur le chaume émergeant, les gaines (caulinaires) paraissent disposées comme des écailles. Chez les Phyllostachys elles tombent assez rapidement, les plus basses avant même le développement complet du chaume. Au contraire chez Pseudosasa, les gaines restent fixées au chaume.

Sur ces gaines caulinaires – qu’on observe de préférence à hauteur d’yeux adultes et non pas sur les pousses tout juste émergentes – il convient de regarder :

  • la présence ou l’absence d’éventuelles oreillettes (en anglais « auricles« ) et/ou de longues soies (en anglais « oral setae« ) à la jonction entre le haut de la gaine et la base du limbe imparfait.
  • la ligule porte également des caractères diagnostics : on notera son rapport largeur / longueur et la présence éventuelle d’une pilosité (+ ou – grande que la hauteur de la ligule ?) et sa couleur (blanche, brune ou violette ?)
  • On s’intéressera également à la couleur de la gaine (verte, paille, rose, lie-de-vin, etc. ?),
  • ainsi qu’à son éventuelle pilosité (glabre, partiellement ou complètement poilue),
  • et enfin à l’éventuelle présence de taches dont on notera, le cas échéant, la taille relative, la densité relative et l’homo- ou hétérogénéité des formes.

Le limbe imparfait est également à observer : est-il plat, ondulé ou froissé ? quelle est sa couleur ? Reste-t-il toujours dressé ou bien est-il ensuite réfléchi ou horizontal ?

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Nombre de branches par nœud

1, 2, 3 ou beaucoup ? Il s’agit d’un critère permettant de distinguer différents genres entre eux : à noter !

× Pseudosasa japonica

Plante atteignant environ 3m de haut. Branches majoritairement par 1 sur chaque nœud, (parfois par 3 dans le haut de la plante). Gaines caulinaires ne tombant pas mais restant durablement accrochées au chaume, donnant parfois au peuplement un aspect « rayé » ou « bariolé ». Gaines caulinaires pourvues de poils +/- sclérifiés pénétrant facilement dans les doigts (c’est vraiment désagréable !). Feuilles relativement grandes, celles d’un même rameau +/- dans un même plan, disposées telles qu’elles évoquent vaguement une palme ou une main.

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Phyllostachys

Branches normalement par deux sur chaque nœud, rarement une seule sur les premiers noeuds ramifiés vers le « bas » de la tige surtout en contexte ombragé, rarement deux branches bien développées + une troisième plus maigrichonne : vérifier plusieurs tiges.

Entre-nœud présentant généralement un sillon aplati ou canaliculé, surtout au dessus de l’insertion des branches. Ce sillon est cependant très souvent manquant : regarder donc de nombreuses tiges.

Espèces à développements variables : de 2 à 12 m de hauteur en France (d’après Flora Gallica) : noter la hauteur approximative du peuplement observé est donc un indicateur important.

NB : De manière générale, les observations sont à faire sur des peuplements adultes, matures, n’ayant pas subit de bouleversement récent (broyage ou coupe importante) : lorsqu’ils sont affaiblis les nouvelles pousses peuvent être plus chétives que la normale et ne pas présenter les caractères typiques de l’espèce. On proscrira toute observation de plante en pot ou récemment plantée (depuis moins de 3 à 5 ans).

Phyllostachys aurea

Bambou caractérisé par la présence (sur quelques chaumes seulement au sein du peuplement, pas tous!) d’entre-nœuds basaux courts, plus ou moins irréguliers (cloisons souvent obliques), souvent renflés. Absence d’oreillette et de soie au sommet de la gaine caulinaire.

Espèce de taille moyenne donnée de 2 à 6 m dans Flora Gallica, dans le sud-ouest très souvent observée autours de 5-6m. Chaumes vers-jaunâtres à jaune d’or.

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Phyllostachys bambusoides = P. reticulata

Le « Giant timber bamboo » est sans doute l’un des plus grands en France. Souvent autours de 10m dans le sud-ouest (donné dans Flora Gallica jusqu’à 12m), pour 4-5 cm de diamètre. Ses gaines de couleur paille à brunes sont velues, maculées de sombre et pourvues d’oreillettes et de soies. Ses entre-nœuds sont pruineux à la chute des gaines : un anneau de pruine se conserve très fréquemment juste en-dessous de chaque noeud pendant au moins un an, donnant au peuplement un aspect « annelé ». Ses chaumes sont d’un vert franc, d’abord pruineux-vif, puis virant au vert bouteille – grisonnant avec l’âge. Les parties exposées au soleil sont d’un jaune d’or (sommet des tiges, tiges en bordure de peuplement).

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Phyllostachys nigra var. nigra

Presque trop facile : le bambou noir porte bien son nom … sauf lorsqu’il est jeune : il sort d’abord vert puis se couvre progressivement de taches d’un brun-jaunâtre qui s’obscurcissent et s’agrandissent jusqu’à couvrir complètement le chaume de noir au bout de une ou quelques années.

Ses (vraies) feuilles sont assez fine par rapport à celles des autres Phyllostachys. Cette espèce présenterait différentes variétés de tailles moyennes à grandes (information à creuser).

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Phyllostachys nigra var. henonis

C’est la variété piège dont les chaumes restent verts toute leur vie. Gaines caulinaires poilues, brun-pourpres (soit entièrement soit au moins au sommet), pourvues d’oreillettes et de soies, limbe normalement dressés, entre-nœuds pubescents durant quelques semaines après la chute de la gaine.

Phyllostachys aureosulcata

Gaines caulinaires glabres, verdâtres à pourpres, striées de bandes claires, à limbe normalement dressé. Entre-nœuds pubescents juste après la chute des gaines puis scabres. Tiges vertes avec le sillon jaune, ou jaunes avec le sillon vert, ou toutes jaunes.

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Conclusion

Les bambous méritent d’être observés avec plus d’attention et de soin. Je sais que ce petit guide arrive un brin tard dans la saison (la période optimale d’observation étant avril-mai). J’espère néanmoins qu’il vous aura donné envie d’aller observer et photographier les bambous autours de chez vous.

À propos de l’auteur

Je suis ancien botaniste professionnel, reconverti au maraîchage et continuant d’herboriser pour le plaisir. Les graminées sont mon péché mignon. Ce guide n’a pas d’autre ambition que de vous donner l’envie de mieux observer les bambous. Je suis preneur de toute suggestion d’amélioration. Toute recommandation en terme de ressources (livres, articles scientifiques, galerie photos, petits guides faits maison, etc.) m’intéressent : n’hésitez pas à les signaler en commentaire !

1 commentaire

  1. Bonjour,

    Le jardinier paysagiste s’intéresse à certaines caractéristiques des bambous :

    espèces traçantes / non traçantes
    espèces tenant en bacs / espèces de parcs ou de très grands jardins / espèces couvre-sol
    espèces à floraison périodique / espèces à floraison inconnue (en France)

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