Glanes étymologiques : Pourquoi appelle-t-on Avena sterilis une avoine qui n’est pas stérile ?

L’épithète n’est pas fréquente dans les noms botaniques. Parfois, elle s’applique à des individus mâles d’une espèce dioïque, comme Carex sterilis Willd. Pendant longtemps, on a ignoré le rôle du pollen. Nombre de jardiniers qui cultivaient le fraisier capron, Fragaria moschata Weston, espèce dioïque, éliminaient les individus « stériles », en fait mâles, et constataient ensuite que les fraisiers « fertiles » (femelles) ne produisaient plus de fraises.

Dans le cas de Dioscorea sterilis O. Weber & Wilkin, espèce dioïque, seule la fleur basale des cymules mâles est stérile. Quant à Jaegeria sterilis McVaugh, ce sont les fleurs ligulées qui sont stériles.

J’ai repéré un cas où l’espèce semble vraiment stérile : il s’agit de Yucca sterilis (Neese & S.L. Welsh) S.L. Welsh & L.C. Higgins, qui se multiplie par rhizomes. Et plusieurs hybrides interspécifiques ont été qualifiés de sterilis, ce qui est exact.

Pour Miconia sterilis Gleason, l’auteur dit qu’il ignore s’il décrit un individu mâle d’une espèce dioïque ou une forme tératologique. Quant à Monanthotaxis sterilis P.H. Hoekstra , tous les exemplaires d’herbier sont stériles, malgré les efforts des auteurs pour trouver du matériel fertile. Dans ces deux cas, les espèces devront d’ailleurs garder leur nom même si l’on trouve des individus fertiles, d’après les règles de nomenclature.

Autre cas assez curieux, celui de Poa sterilis M. Bieb. : « Habitat in Tauriae collibus apricis sterilibus » [Vit en Crimée sur des collines stériles exposées au soleil]. Dans ce cas, c’est le milieu qui est stérile, pas la plante.

Venons-en maintenant à Bromus sterilis L. et Avena sterilis L. Linné a repris le nom Bromos sterilis de Mathias de L’Obel (Icones, 1591, 1 : 32). Mais tant le brome que l’avoine produisent des graines en abondance, et sont même des adventices agressives. Il faut aller chercher le sens chez Virgile. Il ne faut pas oublier en effet que les botanistes anciens étaient pétris de culture gréco-latine. Or Virgile exprime l’idée deux fois :

– « Grandia saepe quibus mandauimus hordea sulcis, infelix lolium et steriles nascuntur avenae » [Souvent, dans les sillons où nous avions confié des orges superbes, il ne croît plus que la triste ivraie et les avoines stériles] (Bucoliques, 5, 37).

– « interque nitentia culta infelix lolium et steriles dominantur auenae » [et au milieu de brillantes cultures s’élèvent la triste ivraie et les avoines stériles] (Géorgiques, 1, 154).

En latin, sterilis signifie « infécond, stérile ». Mais ici, le sens plus exact est donc « qui ne donne pas de grains utiles à l’homme », par opposition au blé et à l’orge. Car il faut rappeler que dans la Rome antique, l’avoine était pour Pline (18, 149) « la première de toutes les dégénérescences du blé » et de l’orge, et que Caton (37, 5) recommandait de l’arracher des champs de blé.

Or Avena sterilis L. est l’ancêtre sauvage d’Avena sativa L., cultivée aujourd’hui. Belle carrière pour une plante « stérile ».

Pour finir, Linné a donné l’épithète à une autre plante, Fragaria sterilis L., devenu Potentilla sterilis (L.) Garcke. Il a repris ce nom à Caspar Bauhin (Pinax, 1671 : 327). Cette plante donne bien des graines, mais pas de fruits charnus (donc utiles à l’homme), par opposition aux autres Fragaria.